3-3 : Un débiteur -mendiant
A parcourir notre corpus d'un bout à l'autre, nous
constatons une sorte de
cohérence dans le récit. En effet, l'image
réelle du Président se dévoile progressivement et se
complète au fil de l'intrigue. C'est ainsi que nous découvrons en
lui un spécialiste de la gabegie qui se révèle comme un
débiteur insolvable auprès de ses salariés dont il va
par
ailleurs baisser drastiquement les salaires :
L'atmosphère s'alourdit brusquement, les sarcasmes
contre les militaires se transformaient en grimaces lorsqu'il fut
annoncé que le Chef de l'Etat avait fait appel au Fonds Monétaire
International et à la Banque Mondiale pour l'aider à se
dépatouiller d'une impasse des finances nationales qui s'apparentait
à la banqueroute (...) on apprit que les salaires des fonctionnaires
ainsi que ceux des
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employés des entreprises nationales seraient compromis
dans les mois suivants. (Mongo Beti 2000 :177)
En effet, gestionnaire indélicat de la chose publique,
le kleptocrate fainéant, du fait de son autocratie, n'est plus en odeur
de sainteté avec ses bailleurs de fonds qui, offusqués, vont le
sevrer de leurs aides : « -Le Président va de plus en plus loin
quémander des sous, ses vieux amis occidentaux refusaient
désormais d'aider un fainéant qui n'a jamais rien compris
à la bonne gouvernance. » (Mongo Beti : 23)
Il s'agit d'un Président fainéant qui a perdu la
confiance et la crédibilité auprès des financiers jadis
à son chevet d'ogre insatiable et indélicat. N'ayant plus d'aide
pour réanimer son économie moribonde, il va priver les
salariés de leurs dus pendant trois mois avant de les réduire au
trois quart :
Les salaires des fonctionnaires n'avaient pas
été versés depuis trois mois. Il se chuchotait d'ailleurs
que le Fonds Monétaire International et la banque Mondiale avaient
renoncé à traiter avec le gouvernement du dictateur, faute de
réaménagements politiques suggérés longtemps par
eux avec insistance mais en vain. (Mongo Beti : 201)
Michel Kounou relève fort à propos les dangers
qui guettent les Chefs d'Etat trompés par les pseudo aides au
développement lorsqu'il déduit :
Il faut donc être complètement amnésique,
pour ne pas comprendre que toutes les sommes d'argent supposées aider
l'Afrique ne sont que fictives, u simple jeu d'écriture auquel se
prêtent encore allègrement des dictateurs et politiciens
irresponsables ou stipendiés, ou simplement de meilleurs
élèves auto proclamés de la légion
néo-coloniale. ( Kounou 2007 : 284)
A lire le récit de Mongo Beti attentivement, le lecteur
comprend très bien que le Chef de l'Etat qui a des biens outre-
atlantiques où il se trouve plus à l'aise que dans son pays,
multiplie et diversifie ses cibles auprès desquelles il croit pouvoir
ressusciter son économie agonisante, mais en vain :
Georges, qui s'adaptait vite depuis quelques temps,
acquiesça de la tête tout en s'attablant. Deux clients, parlant
d'une table à l'autre, s'affrontaient en faisant assaut
d'éloquence et de science politique. L'un prétendait que le
Président revenait d'une cure à Baden-Baden, en Allemagne,
où il avait une clinique
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personnelle, l'autre affirmait que le Président
était de retour d'une visite à Brunei, émirat
pétrolier richissime dont le sultan, un homme très moderne, avait
promis une aide financière à notre Président, à
condition qu'il lui rende une visite d'allégeance et se convertisse
à l'islam. (Mongo Beti 2000 :22)
Notre corpus dévoile régulièrement les
facettes d'une image lézardée d'un Chef
d'Etat voyageur très instable dans son propre pays.
L'essentiel de sa vie se passe à l'étranger où il va
quémander de l'aider, se soigner ou se reposer.
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