2.2 : Un Président kleptocrate
Notre corpus soumet à nos lectures l'image d'un
Président en perte totale d'intégrité et de patriotisme.
Cet homme sans pouvoirs réels est un corrompu maladif que le narrateur
qualifie de « Malfaiteur » : « ...Ce sont alors les
officiers félons du tribunal militaire, les dirigeants corrompus de ce
gouvernement de marionnettes, qu'il faudrait juger immédiatement et
prendre sans délai, y compris évidement le chef de l'Etat, le
premier de ces malfaiteurs. » (Mongo Beti 194 :98)
Son irresponsabilité et sa délinquance sexuelle
se lisent très bien sur sa sexualité débridée qui
s'exprime dans un rite quotidien de licence de moeurs :
Le Chef de l'Etat se retira, abondamment
inélégamment les siens dans une lourde atmosphère de
perplexité. C'est seulement en s'unissant cette nuit-là à
une femme inconnue, comme il lui arrivait quotidiennement, qu'il arrêta
sa décision. Sa partenaire éphémère lui apparut
singulièrement crispée, froide, en un mot impropre à
l'acte d'amour. Le Chef de l'Etat en fut si dépité qu'il
préféra interrompre ses élans : (Mongo Beti : 147)
Sa partenaire éphémère la divinise,
faisant de lui un Dieu considéré comme tel dans l'imaginaire
populaire : «-Excellence, dit-elle, je vous supplie de ne pas
m'en
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vouloir ; vous êtes notre père à tous,
notre Dieu, je voudrais vous complaire, mais j'ai si peur. » (Mongo
Béti : 147)
Le Président kleptocrate est un dictateur
extrêmement corrompu qui vit aussi des piteuses retombées des
trafics et des fraudes de toutes sortes :« -Le Ministre sait pourtant
qu'on les accuse (les forestiers) de ne pas payer les taxes grâce
à toute sorte de trafics et fraudes, observa en chuchotant le Corce, ou
de les payer au Président et non à l'Etat, mais le Ministre
n'élève aucune objection, ça promet. » (Mongo
Beti 2000 : 139)
Il s'agit en effet, d'un Président qui a ouvert les
portes à toutes sortes de désintégrations :
Chez nous, le Chef de l'Etat fait dans l'évasion des
capitaux, Ministres et hauts fonctionnaires dans l'import-export et autres
business pas toujours honnêtes, curés et évêques dans
le maraboutisme, assurer et banquiers dans l'extorsion de fonds comme de
gangsters, les écoliers dans la prostitution, leurs mamans dans le
maquereautage, les toubibs dans le charlatanisme, les garagistes dans le trafic
de voitures volées, on fait tous dans l'escroquerie. (Mongo Beti :
224)
Toutes ces désintégrations sont incarnées
par le dictateur, tant sur le plan physique que moral :
Notre vraie colère, s'il e en advient une, n'est pas
dirigée contre l'oppresseur étranger, la multinationale qui ronge
notre peuple, le dictateur, homme sans classe et sans envergure, qui brade
notre patrimoine naturel, la caste vénale et corrompue de nos dirigeants
qui ont fait un loisir banal du détournement de fonds publics et de
l'évasion des capitaux, mais toujours contre l'ethnie rivale comme au
Moyen Age des autres continents. (Mongo Beti : 99)
Le Kleptocrate a initié un mode de financement de
certains de ses proches et il a aussi réussi à museler
l'intelligentsia du pays à l'aide des crédits bancaires de
complaisance :
Il vivait très confortablement, ayant
bénéficié, comme presque tous les notables du pays, de
crédits bancaires de complaisance, qui n'allaient pas sans la protection
au moins secrète du pouvoir, et qu'il n'avait d'ailleurs pas
remboursés, pareil à tant d'autres, la dictature usant et abusant
de cette technique pour tenir en laisse et museler à peu près
tout ce qui comptait dans notre intelligentsia. (Mongo Beti 1999 :22)
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Spécialiste de la gabegie, le kleptocrate se rassure que
les piliers de son régime
bénéficient eux- aussi des crédits
bancaires de complaisances et de l'exonération des taxes
douanières : « -Dis, ma petite amie se demanda comment
ça se fait que tu aies de si jolis trucs, toi ? Déclara Zam. Tu
es pourtant de l'opposition, non ? Tu n'as pas de crédit bancaire de
complaisance comme les piliers du régime et leurs amis, tu n'es pas
exonéré des taxes douanières ? » (Mongo Beti :
38)
Pour le personnage d'Eddie, il s'agit d'un dictateur qui a
fait de la gabegie un mode privilégié de
récupération de l'opinion :
-ce qui s'est vu, en revanche, riposta Eddie aussi sec, c'est
un certain factum, intitulé qui gouverne vraiment le pays ? Ecrit
à l'époque pour faire l'éloge du dictateur, que vous
créditiez alors d'esprit d'ouverture et de tolérance. On dirait
que vous avez oublié cette prestation, en ce cas vous seriez seul ; elle
vous valut beaucoup d'honneurs, et sans doute d'espèces sonnantes et
trébuchantes ; c'était alors la tradition. C'est trop facile ; on
sert la dictature à pied baisés pendant des années, on
prend soin durant ce temps de se remplir les proches en puisant dans les
caisses de l'Etat... (Mongo Beti 1999 :72)
Le récit de Mongo Beti montre que, le kleptocrate
dépensier ayant désolé les caisses de l'Etat avec sa caste
au pouvoir, a rendu cet Etat presque exsangue. Désormais,
il devient un débiteur auprès de ses
salariés et un mendiant auprès des financiers
extérieurs.
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