La politique chinoise de l'administration Bush après la répression place Tiananmen : l'interdépendance peut-elle apaiser les tensions politiques ? 1989-1993( Télécharger le fichier original )par Nicolas Le Guillou Université Jean Moulin Lyon 3 - Master 1 Science Politique - Relations Internationales spécialité Sécurité & Défense 2014 |
Chapitre 2 : Une conception adaptée aux évolutions des structures du système politique mondialNéanmoins, la théorie de l'interdépendance complexe de Nye et Keohane demeure adaptée à la lecture des rapports de force mondiaux et à leur évolution dans le système international. Section 1 : La validation d'une partie des hypothèses posées Rappelons très brièvement les hypothèses posées par R. Keohane et J. Nye que nous avons détaillées précédemment. Les deux auteurs postulent trois caractères nouveaux des relations internationales : l'existence de relation interétatique, transgouvernementale et transnationale, l'absence de hiérarchie des enjeux dans la politique mondiale et la diminution du rôle de la force militaire. Sur ces trois critères répondons d'emblée qu'au terme de notre étude nous en avons vérifié deux. Effectivement, au sein de la relation sino-américaine entre 1989 et 1993, les domaines se sont diversifiés, d'une borne idéologique avec la question des Droits de l'Homme à une extrémité sécuritaire avec les enjeux du commerce et de la prolifération des technologies balistiques. Les objectifs de politique étrangère sont ainsi devenus à leurs tours interdépendants, la défense des droits humains permettant aux Américains d'obtenir de la Chine une ouverture plus grande de son marché aux investissements étrangers. Les questions sécuritaires, économiques, commerciales, environnementales ont fraternisé et la défense de l'un peut contribuer à la promotion de l'autre. Le tout répondant à la logique inébranlable de la défense de l'intérêt national. Conjointement, les réseaux de chaîne de communication et de contact se sont multipliés entre la RPC et les Etats-Unis validant la première hypothèse de J. Nye et R. Keohane. Du plus haut niveau de l'Etat entre Deng Xiaoping et Washington jusqu'à l'étudiant chinois séjournant aux Etats-Unis en passant par les investisseurs privés, les entreprises ou l'envoi de délégation ministérielle, les rapports se sont complexifiés à tout les niveaux au cours de la période post-Tiananmen. En revanche, cette étude ne nous aura pas permis de confirmer l'hypothèse d'une diminution du rôle de la force militaire. Certes, les deux Etats n'y eurent pas recours l'un contre l'autre mais aujourd'hui, le renforcement et le maintien d'un arsenal nucléaire et conventionnel ne préfigurent ni d'un abandon de la force militaire ni d'un renoncement à son éventuel usage. Qui plus est, la Guerre du Golfe contribua largement à nourrir l'effort de défense chinois conscient après la réussite de l'opération américaine, de son retard en la matière. Les auteurs eux-mêmes nuancent largement cet aspect dans leur seconde édition. 83 Section 2 : Les effets des régimes internationaux Dans la conception de l'interdépendance complexe, R. Keohane et J. Nye portent une attention méticuleuse aux effets des régimes et des institutions internationaux sur le comportement des Etats. Bien qu'admettant que le degré d'efficacité de ces régimes peut varier, les deux spécialistes concèdent que l'existence de cadres institutionnels internationaux amène les Etats à coopérer. Pour cela, il faut reconnaître que l'implication progressive de la RPC dans les régimes financiers commerciaux ou de l'armement internationaux a en effet contribué à la restauration de sa reconnaissance internationale après Tiananmen. Son protocole d'accession au GATT, sa ratification du TNP, son intégration au sein de l'APEC ont adouci son image et rassurer au moins sur la forme les Américains. Dans le même temps, et c'est tout le paradoxe de l'interdépendance déjà cité, cela alerta les Etats-Unis sur les réelles motivations chinoises. Son intégration au sein de l'APEC notamment suscita des interrogations : simple volonté de reconnaissance internationale ou renforcement de son dispositif de sécurité régionale ? Section 3 : Nuancer l'aspect coopératif de la relation d'interdépendance : le comportement des Etats dominés par la peur du déséquilibre Cela nous amène donc à relativiser l'aspect coopératif de la théorie de l'interdépendance complexe. L'ambigüité qui se dégage dans la relation conduit les Etats à prendre parfois des mesures contre les objectifs de coopération et pour leurs intérêts. Tel fut le cas lors de la vente des F-16 américains à Taïwan. D'autre part, même les démarches en apparence coopératives peuvent parfois relever d'une toute autre logique. Ainsi, lorsque Pékin entreprit de recouvrir son statut à l'international après Tiananmen par son insertion dans les forums et régimes régionaux ou internationaux, sa conduite était davantage dictée par la nécessité de renforcer sa vulnérabilité que par une réelle volonté de coopération. Et pour cause, Pékin siégea auprès de Taïwan au sein de l'APEC, signe qu'elle fut davantage guidée par le pragmatisme que par des aspirations solidaires. Finalement, d'après nous, Power and Interdependence revisite la conceptualisation réaliste selon laquelle le comportement des Etats est sans cesse dominé par la peur d'un conflit armé369. Appliqué au cas de la relation sino-américaine post-Tiananmen, Power and Interdependence conjecture en dernier ressort que les Etats sont en réalité dominés par la peur d'un déséquilibre dans leur relation d'interdépendance. Cette présupposition exige alors de maintenir perpétuellement dans les rapports 369 NYE Joseph S., KEOHANE Robert O., « Power and Interdependence Revisited », International Organization, Vol. 41, n°4 (Autumn, 1987), p. 727. URL: http://www.jstor.org/stable/2706764, consulté le 13/04/2015. 84 un équilibre contradictoire : entretenir les liens de coopération tout en réajustant en permanence sa politique face aux avancées de l'autre afin de contrebalancer l'asymétrie latente. Tout en manifestant une volonté coopérative, l'acteur doit parfois conjointement agir à l'encontre des objectifs du rival. Cette délicate combinaison guiderait selon nous la politique extérieure et intérieure des Etats en situation d'interdépendance. |
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