La politique chinoise de l'administration Bush après la répression place Tiananmen : l'interdépendance peut-elle apaiser les tensions politiques ? 1989-1993( Télécharger le fichier original )par Nicolas Le Guillou Université Jean Moulin Lyon 3 - Master 1 Science Politique - Relations Internationales spécialité Sécurité & Défense 2014 |
Chapitre 1 : La pertinence des questions d'asymétrie de puissanceIl s'agit, selon nous, d'un des paramètres les plus intéressants de la théorie de l'interdépendance complexe de J. Nye et R. Keohane car ancré dans la réalité des rapports internationaux et plutôt loin de l'idéalisme libérale. 365 Ibid. Tout ce qui précède dans ce paragraphe est issu de l'ouvrage de MANN James, About Face: A History of America's Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. pp. 268-271. 80 Section 1 : Un modèle de théorie empirique En effet, R. Keohane et J. Nye dresse le portrait d'un monde interdépendant où finalement la coopération est peu susceptible de supplanter les conflits internationaux. A la lumière de ce qui vient d'être dit sur la relation sino-américaine post-Tiananmen, la conclusion des auteurs prend du sens : « rien ne garantit que les relations considérées comme interdépendantes soit caractérisées par un bénéfice mutuel »366. De cette réciprocité imparfaite découle une asymétrie de puissance porteuse d'une rivalité quasi inévitable entre les deux Etats. Dès lors, l'interdépendance devient le cadre d'évolution d'une relation où l'acteur vulnérable est en quête de puissance sur son partenaire. Les frontières entre politique intérieure et extérieure s'obscurcissent sur plusieurs domaines de la politique mondiale, les questions de politique interne affectant les enjeux internationaux. A cet égard, les deux instruments de mesure de la puissance dans l'interdépendance, la vulnérabilité et la sensibilité, apparaissent à même d'évaluer l'intensité des rapports de force entre les deux acteurs. Par le réajustement permanent de leur politique extérieure et intérieure aux comportements des autres acteurs du système, les Etats fournissent des données tangibles de leur degré de vulnérabilité aux changements externes. Section 2 : Eloquent dans le cas de la relation sino-américaine L'exemple sino-américain constitue à ce titre un exemple parfaitement éloquent. De la crise politique de Tiananmen aux ventes des F-16 américains à Taïwan dans les derniers instants du mandat de Bush, la stabilité de l'interdépendance sino-américaine n'a cessé d'être remise en cause. Si dans un premier temps elle apporta de l'équilibre à leur rapport et constitua un moyen détourné d'apaiser les tensions politiques, dans le même temps elle posa des éléments cardinaux de la rivalité actuelle. Qui plus est, par son caractère asymétrique, elle souleva des antagonismes et réveilla des perceptions malveillantes. C'est toute l'ambigüité d'un rapport interdépendant : la proximité apporte à la fois un sentiment de sécurité - l'acteur est visible, ses actions à priori prédictibles, sa promiscuité dissipant les suspicions d'agissement secret - et de méfiance, la contigüité accentuant l'impact et l'imminence des décisions du partenaire rival ainsi que la nécessité d'en contrer les effets. Dans le cas sino-américain tout débuta avec Tiananmen : après que les Etats-Unis, alors en situation de leadership, prirent des sanctions contre la Chine, Pékin, devenu vulnérable, tenta de fournir des garanties pour obtenir un retour à la normale et recouvrir son commerce avec son associé principal. Du même coup les leaders chinois, conscients de leur vulnérabilité aux 366 KEOHANE Robert O., NYE Joseph S., Power and Interdependence, op. cit. p. 10: « Nothing guarantees that relationships that we designate as «interdependent» will be characterized by mutual benefit. » 81 changements sur la scène intérieure américaine avec les débats sur le statut MFN, tentèrent d'élargir la marge de manoeuvre de la RPC en renforçant ses positions à l'échelle internationale. Dès lors, le cercle vicieux fut enclenché, les démarches des Chinois alimentèrent un sentiment de vulnérabilité potentiel chez les Américains. Le tout posa les jalons de la rivalité sino-américaine actuelle. Section 3 : La nécessité de distinguer toutefois plusieurs contextes d'interdépendance Ici nous pointons donc une faiblesse conceptuelle de la théorie de J. Nye et de R. Keohane. Pour dénouer ce caractère ambigu de l'interdépendance où la coopération est étroitement mêlée à la rivalité, il conviendrait en effet de délimiter plusieurs catégories d'interdépendance et d'en dégager les processus politiques. Cette solution est proposée par Stanley Michalak367 qui en définit 5 types. Le premier est caractérisé par une interdépendance importante mais équilibrée, symétrique et largement bénéfique aux deux parties malgré l'impact que peuvent avoir les fluctuations de l'un sur l'autre. C'est notamment le cas des relations commerciales entre pays développés. Le second cas de figure détermine une situation où le degré d'interdépendance est élevé, raisonnablement asymétrique et où les conflits peuvent donc provenir d'un partage des bénéfices modérément inéquitable. Cas de certains pays du Tiers monde. Un autre type d'interdépendance caractériserait des situations problématiques résultant d'externalités négatives, fruit de la politique domestique de certains pays et imposant des coûts importants pour grand nombre de pays. L'auteur prend le cas du déversement des déchets toxiques dans les océans. Un quatrième contexte considère qu'au sein de l'interdépendance proviennent des problèmes de dépendance. Ainsi, le cas de certains Etats à ambitionner d'établir des relations avec les pays de l'OPEC pour réduire leur dépendance. Enfin, un dernier cas de figure qui relève moins de la situation d'interdépendance concerne des situations de dépendance internationale, telle que les questions de famine368. S'agissant de la relation sino-américaine post-Tiananmen, celle-ci correspondait davantage au deuxième cas de figure ce qui n'enlève pas des perspectives d'évolutions. Ainsi aujourd'hui, celle-ci coïnciderait davantage au premier type d'interdépendance. Les questions d'asymétrie de puissance facilitent donc la compréhension des rapports globaux sino-américains post-Tiananmen mais caractériser et ordonnancer plus précisément la notion d'interdépendance comme Stanley Michalak le propose permettrait de chasser l'ambigüité et le flou qui l'entoure. 367 MICHALAK Stanley J., « Review: Theoretical Perspectives for Understanding International Interdependence », World Politics, Vol. 32, n°1 (Oct., 1979), pp. 141-143. URL: http://www.jstor.org/stable/2010085, consulté le: 13/04/2015. 368 Ibid. 82 |
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