Chapitre 2 : L'émergence progressive de la Chine
dans un monde interdépendant
Il sera ici question de plusieurs cas de figures, exemples et
cas concrets mettant en évidence cette émergence progressive de
la Chine dans les sphères intergouvernementales les plus importantes de
la politique mondiale. Effectivement, dès les années 1980 la
Chine participa plus activement aux institutions internationales.
L'intégration de la Chine dans ces organisations, dont certaines
représentant symboliquement les valeurs classiques américaines,
démontra que la politique extérieure chinoise devenait plus
multilatérale, plus coopérative, et s'inscrivait dans un monde
économique mondial libéral.
Section 1 : Le protocole d'accession au GATT et ses
enjeux
Les préparatifs de Pékin pour devenir membre du
GATT débutèrent assez tôt en 1982 lorsqu'elle devint
observatrice300. En 1986, la Chine soumit sa candidature au
Secrétariat du GATT ce qui impliqua de rendre son économie
conforme aux règles du régime de l'organisation301.
Cette arrivée potentielle au sein du GATT ne passait pas
inaperçue et bien que la Chine ne fût pas encore
296 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 336.
297 JUDET Pierre (sous la direction de Claude Aubert, Jean-Pierre
Cabestan et Françoise Lemoine), « La Chine après
Deng. La Chine monte en puissance »,
Tiers-Monde, 1996, tome 37 n°147, p. 483. URL :
/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1996_num_37_147_5054,
Consulté le 03 Février 2015. L'article offre d'ailleurs un
état des lieux assez synthétique des évolutions de
l'économie chinoise au début des années 1990 jusqu'en
1995.
298 FUNABASHI Yoichi, OKSENBERG Michel, WEISS Heinrich, An
emerging China in a world of interdependence: a report to the Trilateral
Commission, 1994, The Trilateral Commission, New York, p. 35.
299 JUDET Pierre (sous la direction de Claude Aubert,
Jean-Pierre Cabestan et Françoise Lemoine), « La Chine après
Deng. La Chine monte en puissance », art. cit. p. 484.
300 PERRY Susan, La politique chinoise des Etats-Unis
1989-1997, op. cit. p. 157.
301 Ibid., p. 158.
65
en 1986 l'économie la plus puissante, elle deviendrait
le pays à économie dirigée le plus
important302. Son accession fut cependant vivement discutée
dès le début notamment par les Américains. L'enjeu
était en fait de pousser la Chine sur la voie des réformes de son
marché pour ouvrir complètement l'économie
chinoise303. C'est exactement ce que le monde des affaires
souhaitait. De plus, et nous le verrons dans la section suivante, une
intégration de la Chine dans le GATT (devenu OMC en 1995) impliquait de
lui promettre le statut de la nation la plus favorisée de manière
inconditionnelle et permanente304. Or, depuis Tiananmen, ce statut
était particulièrement contesté par le Congrès et
fit l'objet d'intenses discussions. Le groupe de travail qui se réunit
à Pékin en Décembre 1989, six mois après les
massacres, tira ses premières conclusions en Février 1992. Les
progrès avaient été faits mais la procédure ne
reprit qu'en mars 1993305. Tiananmen avait produit ses effets mais
tout n'était qu'une question de temps. La communauté
internationale et particulièrement les dirigeants américains
avaient conscience que l'adhésion de la Chine au GATT contribuerait
à l'intégrer encore davantage dans l'économie mondiale et
à poursuivre ses réformes structurelles dans le sens d'un
marché plus libre. En adoptant les standards du GATT, les
bénéfices économiques seraient mutuels. Après les
discussions sur l'Uruguay Round en 1994, les discussions reprirent
entre Américains et Chinois, mais il fallut attendre Novembre 2001 pour
que son entrée à l'OMC soit effective.
Bien que l'entrée de la Chine au GATT fût encore
loin d'être concrète pendant le mandat de G. Bush, les
débuts de négociation en Décembre 1989 montrèrent
néanmoins une volonté de la part des Chinois de se fondre dans le
circuit économique libéral. D'autant que cette initiative
n'était pas isolée.
Section 2 : Les institutions financières et
commerciales internationales
Après avoir rejoint le système de Bretton Woods
en intégrant la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire
International en 1980, Pékin devint en 1992 le plus important
bénéficiaire des fonds de la Banque Mondiale306. De
même, à la fin des années 1980 la RPC rejoignit la
Banque
302 Ibid., p. 160.
303 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « PRC GATT Accession -
10th of May 1989 », Digital National Security Archive,
China and the U.S., 4p.
304 Un rapport du Congrès américain de Juin 1992
définit le statut MFN et spécifie les conditions de son
application. A ce titre, l'article 1 du GATT est rappelé p. 5 : celui-ci
oblige en effet à accorder d'importants privilèges commerciaux
aux pays membres : cf : U.S. LIBRARY OF CONGRESS, « Most-Favored-Nation
Status of the People's Republic of China - 17th of June 1992 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S., 17p.
305 PERRY Susan, La politique chinoise des Etats-Unis
1989-1997, op. cit. pp. 170-171.
306 BOTTELIER Pieter, « China and the World Bank: How a
Partnership », Stanford Center For International Develoment,
Working Paper n° 277, Avril 2006, p. 3.
66
asiatique de Développement et l'Association de
coopération économique de l'Asie-Pacifique (APEC) en
1991307. S'agissant de la Chine, adhérer à ces
organisations présentaient deux avantages de taille : gagner la
reconnaissance de la communauté internationale et maximiser l'apport de
ressources internationales afin de moderniser sa propre
économie308. Mais à bien des égards, ces
développements eurent aussi des effets bénéfiques pour les
Américains. Une Chine prospère, efficiente et active dans
l'économie internationale était d'abord plus à même
de satisfaire les besoins essentiels des Etats-Unis qu'une Chine dont
l'économie était à la traîne et
désorganisée. D'autre part, sur le plan des intérêts
vitaux américains, une Chine dont la réussite se faisait par
l'intégration économique paraissait moins dangereuse qu'une Chine
dont les succès résultaient de son autarcie. De manière
plus pragmatique, l'ouverture de la Chine à l'économie mondiale
offrait des possibilités de commerce intéressantes et profitables
pour les investisseurs américains pour les raisons
évoquées plus haut (deux économies
complémentaires). A ne pas négliger non plus, l'adhésion
de la Chine à ces organisations cultivaient l'espoir chez les classes
dirigeantes américaines qu'à termes, Pékin s'ouvrît
à la libéralisation politique309.
Section 3 : Les accords et régimes de maîtrise
des armements
Un autre aspect peut être moins évident mais tout
aussi important pour les intérêts américains concerne les
accords et régimes de contrôle des armements. N'oublions pas
qu'une des raisons principales d'adhésion des Etats à ce type de
régime répond à un besoin de préservation de leurs
intérêts par anticipation des actions des autres acteurs, et jouer
un rôle de contrainte sur les comportements des acteurs de la
scène internationale310. Au cours des années 1980 et
1990, Pékin s'engagea donc progressivement dans les régimes
internationaux de maîtrise des armements : l'Agence Internationale de
l'Energie Atomique (AIEA) en 1984, la convention sur les armes biologiques la
même année, une autre convention sur les armes chimiques en 1993,
et surtout le Traité de Non Prolifération en 1992311.
Entre 1992 et 1994, Pékin déclara ses intentions de respecter les
normes et directives du régime de contrôle de la technologie des
missiles créé en Avril 1987 (RTCM)312. Les Chinois et
les Américains comprirent en effet que ces ratifications pouvaient
contribuer à réduire les tensions internationales tout en
augmentant la stabilité du système,
307 FUNABASHI Yoichi, OKSENBERG Michel, WEISS Heinrich, An
emerging China in a world of interdependence: a report to the Trilateral
Commission, op. cit. pp. 42-45.
308 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 162.
309 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 336.
310 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 162.
311 U.S. EMBASSY IN CHINA, « Chinese Views on NPT
Extension - 25th of November 1992 », Digital National
Security Archive, Weapons of Mass Destruction, 5p.
312 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 83.
67
favorable au développement du commerce. Dans chacune
des deux politiques étrangères, bien que la hiérarchie des
enjeux se dissipait, les questions de sécurité
conservèrent de leur importance car directement liées à la
prospérité de leur économie. Une nouvelle configuration
dans les rapports s'organisa, retraçant les contours de la
théorie de l'interdépendance complexe. Au-delà de ces
enjeux mais répondant à la même complexification des
rapports, les relations s'animèrent autour de domaines jusque-là
inexistants.
|