La politique chinoise de l'administration Bush après la répression place Tiananmen : l'interdépendance peut-elle apaiser les tensions politiques ? 1989-1993( Télécharger le fichier original )par Nicolas Le Guillou Université Jean Moulin Lyon 3 - Master 1 Science Politique - Relations Internationales spécialité Sécurité & Défense 2014 |
Titre 1 : Les débuts d'une interdépendance économique prometteuseComme nous venons de l'introduire dans la dernière partie, la configuration contemporaine de la relation sino-américaine commença après les événements place Tiananmen. De même, le défi chinois de Washington dans sa forme actuelle hérita de la politique chinoise de George Bush : malgré le maintien d'une relation étroite, l'absence d'unanimité demeure au sein des classes dirigeantes américaines. En dépit de ces divisions, la Chine est devenue aujourd'hui le principal partenaire économique et commercial des Etats-Unis. Cette situation découle justement des premières politiques menées après Tiananmen. Chapitre 1 : Un commerce bilatéral sino-américain croissantAu sein de la relation d'interdépendance sino-américaine qui se tissait progressivement (se désectorisant insensiblement à plusieurs niveaux de politique), l'économie et le commerce prirent une ampleur particulière. Section 1: Un commerce nécessaire avec les Etats-Unis Après les sanctions prises par les Occidentaux contre la Chine après Tiananmen, les dirigeants communistes se retrouvèrent isolés sur la scène internationale. Au cours de l'année 1990, la Chine fut le seul marché important dans lequel les exportations américaines déclinèrent par 281 BOURDIN Juliette, Les relations sino-américaines de Tiananmen à la présidence de George W. Bush (1989-2006) : une analyse des enjeux économiques et stratégiques à la lumière de l'Histoire, op. cit. p. 156. 62 rapport au niveau de 1989282. A l'inverse, durant la même période, les importations chinoises augmentèrent de 27%283 ce qui contribua à accroître le déficit de la balance commerciale des Etats-Unis avec la Chine. Entre 1989 et 1992 le déficit tripla, passant de 6 milliards de dollar à 18284. Cependant, pour nourrir son économie croissante, l'expansion commerciale était devenue une condition critique pour la modernisation de l'économie chinoise285. Or pour maintenir un niveau d'exportations suffisamment haut, la Chine avait radicalement besoin des Etats-Unis, devenu déjà son plus grand marché d'exportation avec environ 25 à 30% de ses produits destinés au marché américain286. Une note d'information de Richard Salomon spécifie clairement que le commerce et les investissements sino-américains ont favorisé l'apaisement des relations287. A cette occasion l'assistant-secrétaire rappelle que des efforts doivent être fournis, d'autant plus du côté chinois compte tenu de sa situation économique (rappelant que la réduction de l'inflation a fait plonger la croissance industriel de 15-20% à 5% en 1990) et de l'engagement américain (premier marché pour les exportations chinoises, plus gros investisseurs en Chine, Japon inclus)288. Section 2 : Le commerce au coeur de la coopération stratégique Si la normalisation fut à l'origine le résultat de besoins stratégiques, très vite c'est donc le commerce qui devint dans un premier temps le moteur de cette coopération stratégique. Celui-ci servit effectivement de passerelle entre les deux pays pour compenser les fluctuations politiques. C'est ce qui se produisit après Tiananmen. Avec George Bush père, les Etats-Unis encouragèrent le développement des conditions d'une Chine plus stable, plus prospère, plus apaisée, au nom de la défense des intérêts économiques et sécuritaires américains. Il apparaît ici que les questions de sécurité, dès la période post-Tiananmen, ne dominèrent plus intégralement la relation, désormais centrée sur des problématiques touchant aux besoins de l'économie. Le commerce sino-américain jusqu'à aujourd'hui, connut deux périodes d'importantes croissances : les quelques années après 282 PERRY Susan, La politique chinoise des Etats-Unis 1989-1997, op. cit.32. 283 Ibid. 284 Bureau du recensement des Etats-Unis: https://www.census.gov/foreign-trade/balance/c5700.html, consulté le 07/05/2015. 285 XIAOXIONG Yi, « Chinas U.S. Policy Conundrum in the 1990s: Balancing Autonomy and Interdependence », Asian Survey, Vol. 34, n°8 (Aug., 1994), p. 676. URL: http://www.jstor.org/stable/2645257, Consulté le 26/02/2015. 286 Ibid. 287 Richard Salomon précise d'ailleurs l'ensemble des mesures que le Président Bush s'est efforcé de prendre depuis Tiananmen: maintien des prêts accordés par la banque d'Import-Export, vente de technologie avancée à Pékin, soutien américain à la Banque mondiale, soutien à son adhésion au GATT etc. cf U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Meeting with Chinese Foreign Minister Qian, November 30, The Deputy Secretary's Conference Room, 11.00 a.m. », Digital National Security Archive, 29 Novembre 1990, 26p. 288 Ibid. 63 1979, et l'ère post-guerre froide289. Une raison principale est la complémentarité de ces deux pays dans le domaine commercial. Tandis que la RPC constitue une réserve considérable de biens de consommation et de produits bons marché pour les Américains, à l'inverse pour la Chine, les Etats-Unis représentent une source vitale en équipement290. Section 3 : Les premières phases d'expansion du commerce sino-américain Une interdépendance économique se tissa assez rapidement entre les Etats-Unis et la RPC, à la faveur du nouvel ordre mondial. En plus de maintenir un contact étroit au niveau gouvernemental (dont nous avons détaillé les modalités dans notre deuxième partie), l'administration américaine et les dirigeants communistes chinois s'orientèrent vers l'ouverture économique et commerciale. Le développement du commerce bilatéral sino-américain démarra donc sur des bases fiables et solides. Parallèlement à la croissance chinoise exponentielle, (9 à 10% de croissance par an pendant les années 1980)291, le commerce bilatéral sino-américain s'envola de 20 milliards de dollar en 1978 à 115 en 1990, soit 15% de croissance par an. En supplément de ce commerce prometteur, l'investissement américain en Chine augmenta considérablement et particulièrement dans les zones économiques spéciales et dans les villes côtières ouvertes292. En effet, après avoir ouvert son marché en 1979, la RPC attira l'attention de bien des investisseurs293. Le rêve d'un « marché du milliard » naquit à cette période294 et l'immense marché que représentait la Chine fit rêver nombre d'Américains. Par conséquent dès 1979, les Etats-Unis devinrent les plus importants investisseurs en Chine après Hong-Kong, et Tiananmen n'empêcha pas la dynamique de progresser : de 271 millions de dollars d'investissement en 1987, les Américains investirent plus de 2 000 millions de dollar en 1993 surpassant ainsi les Japonais (1 300 millions de dollar en 1993)295. De multiples canaux, tel que le définit la théorie de l'interdépendance complexe, commencèrent ainsi à se développer entre les deux pays. Les questions militaires et sécuritaires sans s'effacer complètement s'intégrèrent finalement aux enjeux commerciaux. Le total des investissements étrangers en Chine, 289 GUO Baogang, GUO Sujian, Thirty years of China-U.S. relations: analytical approaches and contemporary issues, Lanham, Lexington Books, 2010, op. cit. p. 103. 290 Ibid. 291 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 336. 292 TAN Rosalina, « Foreign Direct Investment Flows To and From China », Philippine Apec Study Center Network, n° 99-21, 1996, p. 18. Table I.6. 293 GUO Baogang, GUO Sujian, Thirty years of China-U.S. relations: analytical approaches and contemporary issues, op. cit. p. 103. 294 JIWEN Yu, CHAUDIERE Hélène, JIUSHI Niandai, « Le "marché du milliard" est ouvert », Perspectives chinoises, n°3, 1992, pp. 26-29. URL :
/web/revues/home/prescript/article/perch_1021-9013_1992_num_3_1_1476 295 TAN Rosalina, « Foreign Direct Investment Flows To and From China », Philippine Apec Study Center Network, n° 99-21, 1996, p. 17. 64 quasi-inexistant en 1978 s'élevait à 20 milliards de dollar en 1990296. La Chine seulement 20ème pays commerçant au monde en 1982, passa au 13ème rang en 1992297. Le solde du commerce extérieur devint positif de 1990 à 1992 et le montant de ses échanges extérieurs représenta environ 20% de son PNB298. Les surplus accumulés par la Chine avec les Etats-Unis furent multipliés par 7,2 entre 1987 et 1992299. En 1992, les statistiques économiques chinoises plaçaient Pékin juste derrière les nations industrialisées. Ces contacts réguliers et étroits démontrèrent que le recours à la force serait davantage contre-productif que bénéfique. Un autre facteur de renforcement de cette interdépendance fit irruption dans la période post-Tiananmen : il s'agit de l'implication progressive de la Chine dans les organisations internationales. |
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