Chapitre 2 : La réaction américaine
A mesure que la situation se détériorait
à Pékin et dans les autres grandes villes chinoises aux mois
d'Avril et de Mai, la nécessité de réagir aux tourments
qui agitaient la RPC se fit de plus en plus sentir au sein de l'administration
américaine193.
Section 1 : La mesure du soulèvement chinois par
l'administration américaine
La position initiale des Etats-Unis fut de soutenir avec
prudence le droit de parole, de manifestation, (à condition que celle-ci
soit non violente) et d'inviter le gouvernement chinois à faire preuve
de retenue envers les manifestants194. Dès le 31 mai 1989, le
Sénat passa une résolution allant en ce sens afin de convaincre
le gouvernement chinois que la reconnaissance des Droits de l'Homme n'aurait
que des effets positifs pour le développement de la relation
sino-américaine. Ce
190 DAVID Charles-Philippe, Au sein de la Maison-Blanche, la
formulation de la politique étrangère des Etats-Unis,
op. cit. p. 415.
191 Ibid.
192 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 20.
193 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « TFCH01 Draft Whitehouse
[sic] Statement on Situation in China - 5th of June
1989 », Digital National Security Archive, China and the
U.S., 2p.
194 U.S. DEPARTMENT OF STATE, BUREAU OF EAST ASIA AND PACIFIC
AFFAIRS, « Student Demonstrations - 10th of May 1989 »,
Digital National Security Archive, Digital National Security
Archive, China and the U.S., 2p.
44
même texte du Sénat américain avertissait
néanmoins qu'en cas de répression armée par les
autorités, les Etats-Unis seraient dans l'obligation de réajuster
leur politique à l'égard de la RPC195. De
manière plus générale, jusqu'au point culminant de la
répression le 4 Juin 1989, le département d'Etat, le Pentagone et
les fonctionnaires de la Maison-Blanche ne virent pas dans les manifestations
chinoises d'Avril et de Mai les racines d'un soulèvement plus grand.
James Mann rapporte une conversation pertinente à cet égard entre
le Président Bush et son ambassadeur dépêché sur
place. Lorsque le Président américain lui demanda si le mouvement
devait être pris au sérieux, James Lilley demeura hésitant,
affirmant que bien que les manifestations avaient peu de chance de
dégénérer, celles-ci pouvaient constituer une
sérieuse menace pour le régime. Jusqu'à la
répression place Tiananmen dans la nuit du 3 au 4 Juin 1989, la position
américaine resta donc calquée sur ce constat
frileux196 ce qui n'empêcha pas l'émergence d'un
sentiment pessimiste sur l'issue des événements en Chine au sein
de l'administration américaine197.
Section 2 : L'élaboration de la prise de
décision
Au matin du 4 Juin 1989, les choses
s'accélérèrent. En bon réaliste, le
Président Bush était parfaitement conscient que sa
réaction à la crise politique de Tiananmen aurait des
implications complexes sur d'autres domaines de la politique mondiale. S'il
répondait avec trop d'indulgence à la répression, il
aurait encouragé les pays communistes d'Europe de l'Est de plus en plus
faibles à en faire autant contre leurs opposants. Il aurait aussi
donné du grain à moudre à ses détracteurs sur la
scène intérieure. Par effet miroir, s'il réagissait trop
durement à la crise, il aurait renforcé le nationalisme chinois,
l'anti-américanisme et brisé les liens qu'il avait tissés
lors de son premier voyage à Pékin en
Février198. Qui plus est, Washington avait besoin de
Pékin notamment pour ramener la paix au Cambodge et maintenir
l'équilibre stratégique face à l'URSS. N'oublions pas que
dans les premiers mois de son mandat, l'administration Bush continuait de
percevoir le monde à partir des postulats de la Guerre
froide199. En somme, le Président Bush devait trouver un
équilibre subtil pour exprimer à la fois son indignation,
sincère, tout en sauvegardant la relation, capitale à ses yeux.
L'élaboration de la réponse du Président américain
nécessita préalablement quelques tractations au sein de
l'administration. Le samedi 5 Juin au matin, le vice-secrétaire d'Etat
aux affaires asiatiques et pacifiques William Clark, présida un groupe
de travail d'urgence du
195 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Senate Passes Resolution
on China - 1st of June 1989 », Digital National Security
Archive, China and the U.S., 2p.
196 MANN James, About Face: A History of America's Curious
Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p. 186.
197 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 65.
198 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 21.
199 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 403.
45
département d'Etat, regroupant plusieurs membres de la
communauté du renseignement ainsi que quelques membres de
l'exécutif200. Aux termes du travail, le groupe recommanda de
prendre des décisions secondaires telles que la déprogrammation
de réunions prévues plus tard dans l'année notamment la
Commission commune du commerce, ou la commission commune des sciences et des
technologies ainsi que la suspension du « Peace Corps Program
» dont l'ouverture prévue en Juillet fut jugée
inappropriée dans un pays à la situation interne
chaotique201. Du côté du département de la
défense, Dick Cheney, son sous-secrétaire Paul Wolfowitz et le
vice-secrétaire aux affaires de sécurité internationale,
Carl Ford, se mirent d'accord pour que leur département supporte la plus
grande partie des sanctions appliquées à la RPC. Leur
raisonnement était le suivant : puisque l'APL était la grande
coordinatrice de la répression, il fallait logiquement suspendre tous
les liens qui auraient pu la renforcer. Concentrer les efforts sur un seul
département présentait aussi l'avantage de pouvoir maintenir la
relation dans les autres domaines (économiques,
commerciales...)202.
Section 3 : Les sanctions appliquées
Sur ces bases, le Président Bush élabora une
déclaration prudente. Déplorant l'utilisation de la force par le
gouvernement chinois et les victimes qui en résultèrent, le
Président américain veilla toutefois à mettre en garde
contre une réponse trop émotive qui irait à l'encontre de
la raison et de la mesure qu'imposait l'urgence de la situation. La note du
Président invitait donc à la fois les Américains à
apprécier la relation sino-américaine au travers d'une vision
à long terme tout en exhortant les leaders chinois à
rétablir l'ordre par la non-violence203. Les premières
sanctions annoncées furent les suivantes : la suspension de la vente et
du commerce des armes, des échanges militaires, la prolongation des
séjours des étudiants chinois sur le sol américain et une
offre humanitaire et médicale à travers la Croix-Rouge pour les
blessés de Tiananmen204. Dans le même temps, le
secrétaire d'Etat James Baker décida que Fang Lizhi,
l'astrophysicien dissident chinois, pourrait temporairement prendre refuge
à l'ambassade américaine à Pékin. Pour
l'administration Bush ces premières décisions visaient à
tester la réaction des dirigeants communistes chinois en espérant
que la situation politique progresse. Cependant, les jours qui
succédèrent au 4 Juin effacèrent définitivement ces
espoirs. Le 9 Juin, Deng Xiaoping fit une apparition publique au cours de
laquelle il accusa les manifestants de vouloir remplacer le système
socialiste par une République
200 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 65.
201 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « List of Bilateral
Cooperative Agreements and Our Recommendations », Digital National
Security Archive, 5 Juin 1989, 3p.
202 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 66.
203 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Statement by the President:
June 5, 1989 - 6th of June 1989 »,
Digital National Security Archive, China and the U.S.,
4p.
204 Ibid.
46
bourgeoise occidentale205. Le 15 Juin, trois
ouvriers furent condamnés à mort à Shanghai et trois jours
plus tard 8 manifestants à Pékin subirent le même
sort206 au motif d'avoir participé à ce que le
régime se mit à baptiser une « émeute
contre-révolutionnaire »207. Après la
répression, Pékin renforça effectivement son
autorité. Des images de détenus aux crânes rasés,
aux corps blessés prises avant leur condamnation ou leurs
exécutions, circulèrent aux Etats-Unis208. Ces
retransmissions effacèrent les espoirs de l'administration de voir la
réaction passionnée des Américains se dissiper. Face
à la détérioration continuelle de la situation en Chine,
l'administration Bush annonça une seconde vague de sanctions le 20 Juin.
Deux recommandations avaient été proposées au
Président par son secrétaire d'Etat Baker : geler les prêts
américains accordés à la Chine via la Banque mondiale et
suspendre tout échange sino-américain au plus haut
niveau209. Les deux recommandations furent acceptées ce qui
entraîna l'annulation de plusieurs visites diplomatiques prévues :
celle du secrétaire du Commerce, Robert Mosbacher, et du
secrétaire au Trésor Nicholas Brady, qui avaient
été programmées plus tard dans
l'année210. La deuxième proposition fut
néanmoins remaniée par le Président qui la limita aux
échanges cérémoniaux au niveau des secrétaires. A
la fin du mois de Juin, les sanctions américaines s'harmonisèrent
avec celles de la Communauté européenne, du Japon, de l'Australie
et de la Nouvelle Zélande, lesquelles étaient soutenues par les
condamnations exprimées par les gouvernements du monde
entier211. Le tout contribua non seulement à mettre en
péril, au moins temporairement, le développement
économique chinois mais surtout à l'isoler sur la scène
diplomatique mondiale.
Dans le même temps, on le remarque aisément,
Tiananmen plaça le Président Bush dans une situation
délicate où la nécessité de prendre des sanctions
pour répondre à l'indignation du Congrès et des
Américains devait être compensée par une diplomatie
suffisamment astucieuse pour maintenir le cadre stratégique de la
relation.
205 U.S. FOREIGN BROADCAST INFORMATION SERVICE, «
Translation of Deng Xiaoping's 9 June Speech - 20th of June 1989
», Digital National Security Archive, China and the U.S., 4p.
206 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « China Swift Justice;
Deng's New Balancing Act - 21st of June 1989 », Digital
National Security Archive, China and the U.S., 5p.
207 U.S. FOREIGN BROADCAST INFORMATION SERVICE, «
Translation of Deng Xiaoping's 9 June Speech », Digital National
Security Archive, 20 Juin 1989, 4p.
208 MANN James, About Face: A History of America's Curious
Relationship with China, From Nixon to Clinton, op.cit. p. 205.
209 U.S. OFFICE OF THE WHITE HOUSE, OFFICE OF THE PRESS
SECRETARY, « Statement by the Press Secretary - 20th of June
1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S.,
2p.
210 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 226.
211 U.S. DEPARTMENT OF STATE, BUREAU OF INTELLIGENCE AND
RESEARCH, « China Aftermath of the Crisis - 27th of July 1989
», Digital National Security Archive, China and the U.S., 13p.
47
Chapitre 3 : Le dilemme de George H. Bush : condamner la
répression chinoise et préserver la relation
Tel que le décrivent William Gates et David Skidmore
dans leur article212, une lutte autour de la politique chinoise
à adopter après Tiananmen se propagea entre le Congrès et
l'exécutif. Isolé, le Président Bush dût subir
d'intenses pressions.
Section 1 : Les pressions du Congrès et de l'opinion :
préserver le contrôle sur la conduite de la politique
américaine chinoise
Avant Tiananmen, les Américains s'étaient en
effet familiarisés avec les questions de politique
étrangère relatives au rôle de la diplomatie dans le
progrès des Droits de l'Homme et de la démocratie213.
S'agissant de la Chine, à une vaste majorité, l'opinion
américaine préférait que les valeurs démocratiques
l'emportent. La question était de savoir quelle politique
opérationnelle déployer pour y parvenir. Chez les
républicains comme chez les démocrates il y avait deux
écoles : l'une consistait à s'opposer à toutes les
attitudes contraires aux valeurs américaines (démocratie,
violation des Droits de l'Homme) en refusant les avantages que
l'Amérique pouvait dispenser au pays concerné214. A
l'inverse, certains pensaient qu'il était du devoir des Etats-Unis de
promouvoir des avancées en matière de Droit de l'Homme par une
politique d'engagement. Une fois que l'interdépendance (en particulier)
économique serait suffisamment grande, la préservation des
intérêts communs pourrait alors servir de monnaie d'échange
à la recommandation de changements dans le domaine des libertés
publiques. Tiananmen eut précisément pour effet de jeter à
nouveau ce débat sur la scène publique américaine. En
réponse à la déclaration du 5 Juin du Président
Bush, le Congrès, qui reflétait l'opinion publique, réagit
donc en appelant l'exécutif à prendre des mesures plus drastiques
telles que la suspension du commerce et des investissements ou l'interdiction
de l'exportation de biens de hautes technologies215. Tel que l'a
théorisé Robert Putnam dans sa théorie des jeux à
deux niveaux (« two level games »), le Président
américain devait donc à la fois satisfaire les exigences des
pressions chinoises pour une amélioration de la relation tout en
s'acquittant de ses
212 GATES William, SKIDMORE David, « After Tiananmen: the
Struggle Over U.S. Policy Toward China in the Bush Administration »,
Presidential Studies Quaterly, Vol. 27, n°3, Summer 1997, pp.
514-539.
213 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 402.
214 Ibid. p. 403.
215 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 66.
48
obligations devant le Congrès216. Pour
anticiper les effets du Sénat américain, Baker soumit donc une
seconde vague de sanction le 20 Juin qui ne suffit pas à faire taire
l'opposition démocrate. En effet, peu de membres du Congrès
soutenait la politique du Président relativement
isolé217. Sous l'impulsion du leader démocrate au
Sénat, Mitchell, un amendement fut voté pour instauré en
loi les sanctions déjà adoptées par le Président
Bush. Ce même amendement ajouta à la liste des punitions la
suspension des «Overseas Private Investment Corporation»
(une assistance pour la promotion des investissements américains en
Chine), l'annulation des activités du programme de développement
pour le commerce en Chine («Trade Development
Program»)218 ainsi que la suspension de la
délivrance d'autorisation d'exportation pour des satellites
américains qui devaient être lancés à partir de
fusées de lancement chinoises et de la mise en place d'une
coopération nucléaire programmée par un accord de
1985219.
Finalement, Tiananmen eut également des
conséquences directes sur le processus d'élaboration de la
politique américaine chinoise. Durant les deux décennies
précédent le drame, elle relevait quasi exclusivement de
l'exécutif américain. Les Présidents américains
successifs et leurs conseillers à la Maison-Blanche, au Pentagone et au
département d'Etat ayant en effet bénéficié de la
part de l'opinion publique et du Congrès, d'une marge de manoeuvre assez
large concernant la politique chinoise. Après la répression du 4
Juin 1989, les dynamiques changèrent. Dorénavant, le
Congrès et l'opinion ne laisseraient plus la politique américaine
chinoise être dictée par les seules volontés de
l'administration en place.
Section 2 : Garder le contact avec les hauts dirigeants
chinois
En entretenant des relations personnelles avec les hauts
dirigeants chinois, le Président Bush remplissait deux de ses objectifs
: tenter de conserver sa prééminence dans la formulation de la
politique chinoise tout en essayant de sauvegarder les rapports
sino-américains220. George Bush entendait surtout rester en
contact avec Deng Xiaoping qui, selon un télégramme du
département
216 PUTNAM, Robert D., 1988, « Diplomacy and Domestic
Politics: The Logic of Two-Level Games », International
Organization, 1988, pp. 427-60.
217 GATES William, SKIDMORE David, « After Tiananmen: the
Struggle Over U.S. Policy Toward China in the Bush Administration »,
Presidential Studies Quaterly, Vol. 27, n°3, Summer 1997, p. 519.
D'après les auteurs une large partie des plus influentes
personnalités de l'exécutif ont été formée
à l'école Kissinger. Fortement imprégnés d'une
pratique réaliste de la politique (realpolitik), Scowcroft, Eagleburger,
G. Bush s'opposèrent aux leaders du Congrès pour lesquels cette
culture politique apparaissait éloignée des valeurs
démocratiques américaines. L'article offre de manière
générale une excellente synthèse sur la lutte
idéologique, institutionnelle, partisane entre le Congrès et
l'exécutif.
218 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 66.
219 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States
and China since 1972, op. cit. p. 226.
220 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 22.
49
d'Etat, n'aurait pas pris part à la décision
d'intervenir dans la nuit du 3 au 4 Juin221, mais surtout demeurait
le seul interlocuteur crédible du moment (compte tenu de la lutte de
pouvoir au sein du parti) qu'il connaissait personnellement. Comme les
dirigeants chinois rejetèrent les tentatives de dialogue du
Président Bush notamment après que les Américains eurent
accepté d'héberger le dissident Fang Lizhi dans leur ambassade,
celui-ci, agissant en parfait homme d'Etat, prit l'initiative de rédiger
une lettre à l'intention de Deng Xiaoping222. Cette
dernière témoigna d'une amitié sincère et d'un
profond respect pour la Chine de Deng. Le Président Bush y évoqua
sa vision des choses ainsi que la situation interne dans laquelle il se
trouvait. La pudeur des écrits du Président américain
révélait avec éclat sa connaissance aigüe de
l'exercice du pouvoir en Chine. Son expérience lui permettait de
comprendre effectivement que des pressions de l'étranger
apparaîtraient insignifiantes aux yeux d'un dirigeant « qui
avait participé à la Longue Marche, survécu dans les
grottes de Yan'an et affronté simultanément les Etats-Unis et
l'Union soviétique dans les années 1960
»223. Cette lettre fut donc transmise à Deng le 20
Juin par le biais de Brent Scowcroft et de l'ambassadeur chinois Han Xu,
guidés par les consignes du Président américain souhaitant
que le tout se fasse sous le sceau de la plus haute confidentialité.
George Bush et ses conseillers savaient pertinemment qu'autrement, de tels
agissements auraient été condamnés par le Congrès
et l'opinion. Le 24 Juin, l'administration américaine reçut une
réponse personnelle de Deng Xiaoping qui acceptait l'idée
d'envoyer un émissaire secrètement224.
Section 3 : Le voyage secret de l'administration Bush
Après cette réponse, la rencontre s'organisa.
Scowcroft fut choisi par le Président pour le représenter, pour
des raisons évidentes : sa proximité avec George Bush et sa
familiarité avec les enjeux chinois225. James Baker insista
pour que son secrétaire-adjoint Lawrence Eagleburger soit du voyage et
que le département d'Etat bénéficie d'une place
d'importance dans cette rencontre. Afin que le voyage se fasse dans la plus
grande confidentialité, le cercle restreint de l'administration Bush
prit des dispositions d'exception. L'ambassadeur James Lilley reçut
l'ordre de ne pas envoyer de télégramme via le département
d'Etat. Robert Kimmit, sous secrétaire d'Etat aux affaires politiques
fut écarté de la confidence. La programmation ultime du voyage
eut lieu dans le bureau
221 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « TFCH01 Scenario for a Way
Out - 6th of June 1989 », Digital National Security
Archive, China and the U.S., 12p.
222 Une grande partie de la lettre traduite en français
est à lire page 114 à 116 dans l'ouvrage BUSH George, SCOWCROFT
Brent, A la Maison-Blanche : 4 ans pour changer le monde, Paris, Odile
Jacob, 1999, 618 p.
223 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 402.
224 BUSH George, SCOWCROFT Brent, A la Maison-Blanche : 4 ans
pour changer le monde, op. cit. p. 117.
225 Ibid., p. 118 : Brent Scowcroft avait rencontré
Deng à plusieurs reprises au cours de sa carrière : en 1975 lors
de la visite en Chine du Président Ford, de nouveau en 1981 et enfin en
Février 1989.
50
ovale de la Maison-Blanche réunissant Baker,
Eagleburger, Robert Gates (adjoint de Scowcroft) et Lilley. Tous se mirent
d'accord sur le message à transmettre aux dirigeants chinois :
l'Amérique souhaitait à tout prix s'engager à maintenir la
relation sino-américaine tout en invitant la RPC à comprendre la
situation interne américaine et les décisions qui suivirent. La
finalité étant d'amener la RPC à comprendre qu'elle devait
de son côté travailler à restaurer la
relation226. Le 30 Juin 1989, dans le plus grand secret, à
bord d'un avion cargo de l'US Air Force, Eagleburger et Scowcroft partirent
à destination de Pékin. Arrivés le 1er juillet,
ils furent reçus par Deng Xiaoping en personne227.
Après la première entrevue, Scowcroft conclut que Tiananmen avait
creusé un fossé entre les deux cultures américaine et
chinoise. Les Chinois éprouvaient de la rancoeur contre ce qu'ils
percevaient comme une ingérence dans leurs affaires intérieures.
La sécurité et la stabilité leur importaient plus qu'autre
chose tandis que les Américains s'attachaient à la défense
de la liberté et aux Droits de l'Homme228. Toutefois, le
message principal avait été entendu et accepté des deux
côtés : les Etats-Unis et la Chine s'engageraient à
sauvegarder leur relation. Un autre objectif de cette rencontre confidentielle
était de vérifier l'état du pouvoir communiste chinois.
Une des inquiétudes de George Bush était de savoir qui dirigeait
précisément la RPC et en conséquence, avec qui
communiquer. A cet égard, le voyage de Scowcroft et d'Eagleburger
rassura le chef d'Etat américain : Deng apparaissait comme un
interlocuteur crédible mais ce dernier précisa toutefois à
Scowcroft que les Américains à l'avenir, devraient traiter avec
Li Peng pour résoudre les problèmes de leur
relation229. Ceux-ci n'étaient pas des moindres et toute la
suite du mandat de Bush fut de s'efforcer à redéfinir le cadre de
la relation sino-américaine.
Titre 3 : Redéfinir la relation
sino-américaine : à la recherche d'un nouveau cadre
stratégique
La crise déclenchée par Tiananmen eut pour
conséquence première, comme toute crise d'ailleurs, de rompre
l'ordre antérieur et ses facteurs d'équilibres
caractéristiques, au profit d'un climat d'incertitude et
d'instabilité. Toute la difficulté de l'administration
américaine était donc de travailler à instaurer une
nouvelle balance dans les rapports. Ce défi lancé à
l'administration américaine était d'autant plus épineux
qu'au même moment le système international subissait ses plus
profondes modifications depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
226 Tout le paragraphe précédent p. 66.
227 Tous les détails et anecdotes du voyage et de la
rencontre sont finement décrits et racontés dans BUSH George,
SCOWCROFT Brent, A la Maison-Blanche : 4 ans pour changer le monde,
op. cit. pp. 119-124.
228 Ibid., p. 124.
229 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 83.
51
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