Titre 2 : Les premières prises de
décision américaines dans l'immédiat
après-Tiananmen
Avant d'aborder en détail les premières prises
de position américaines, nous avons jugé nécessaire de
dresser le portrait du cabinet G. Bush, son fonctionnement, ses
personnalités les plus importantes (s'agissant des affaires asiatiques),
sa gestion du processus décisionnel.
172 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Current Situation in
China Background and Prospects- 9th of June 1989 », Digital
National Security Archive, China and the U.S., 4p.
173 FEWSMITH Joseph, China since Tiananmen: from Deng
Xiaoping to Hu Jintao, New York, Cambridge University Press, 2008, page
35.
174 BERGERE Marie-Claire, « Tian'Anmen 1989 », art.
cit. p. 3.
175 U U.S. DEPARTMENT OF STATE, « China The Central
Committee Acts; Zhao's Out; Keeping the Door Open - 25th of June
1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S.,
3p.
176 Ibid.
177 FEWSMITH Joseph, China since Tiananmen: from Deng
Xiaoping to Hu Jintao, op. cit. p. 36. Pour qui voudrait approfondir sur
la politique interne chinoise post-Tiananmen, le chapitre 1 de l'ouvrage de
Joseph Fewsmith offre une brillante synthèse : voir pp. 21-48.
41
Chapitre 1 : L'appareil décisionnel sous George
H. Bush
George Bush succéda à Ronald Reagan en Janvier
1989, perpétuant ainsi l'influence de l'idéologie
républicaine au sommet de la Maison-Blanche. Pourtant, face aux
brûlants changements internationaux qu'il dût affronter, ce
Président, par son comportement et ses décisions, parvint
à imposer sa singularité.
Section 1 : Le Président
Son profil note Charles-Philippe David, était
comparable à celui d'un Kennedy, Johnson ou Nixon, qui ont passé
la plus grande partie de leur carrière au service du Congrès ou
du gouvernement178. Diplômé de l'université de
Yale, aviateur de la marine pendant la Seconde Guerre mondiale, élu au
Congrès pour la première fois en 1966 puis successivement
ambassadeur des Nations Unies sous Nixon, chef du bureau des
représentations en Chine, directeur des services de renseignements sous
Ford, enfin vice-Président sous Reagan, George Bush était un
professionnel de la politique. Maître stratège, formé
à l'école de Kissinger, l'homme fort des années 1970 aux
Etats-Unis, le style de sa présidence fut dominé par une
diplomatie personnelle basée sur les relations humaines au plus haut
niveau de l'Etat179. Pendant les 24 premiers mois de son mandat, il
visitera ainsi près de 29 Etats, soit davantage que Reagan en
8ans180. Son action présidentielle fut donc conçue en
fonction des rapports personnels afin de maintenir des communications
étroites et permanentes avec ses homologues étrangers mais aussi
les membres de son administration, les législateurs ou les
électeurs181. A cet égard, le Président
américain, dès le début de son mandat, exprima son
désir d'établir de bonnes relations avec Deng Xiaoping,
d'où son voyage diplomatique en Chine dès le mois de
Février. La vision de G. Bush comme celle de son conseiller Scowcroft
sur la relation sino-américaine restait néanmoins
stratégique dans ses fondements parce que basée sur leurs
préoccupations mutuelles au sujet des intentions et des capacités
militaires de l'URSS. Mais G. Bush croyait aussi que la relation
sino-américaine, en particulier l'interdépendance grandissante
entre les deux pays, était importante et nécessaire pour le
développement d'un système politique chinois plus
démocratique et plus ouvert182.
178 DAVID Charles-Philippe, Au sein de la Maison-Blanche,
la formulation de la politique étrangère des Etats-Unis,
Québec, Presses de l'université Laval, 1994, p. 412.
179 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 63.
180 DAVID Charles-Philippe, Au sein de la Maison-Blanche,
la formulation de la politique étrangère des Etats-Unis, op.
cit. p. 413.
181 Ibid., p. 414.
182 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of
US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 63.
42
Section 2 : Son entourage
L'équipe de politique étrangère de G.
Bush fut l'une des plus expérimentées de l'histoire
américaine : « elle constitua la plus collégiale et la
plus rôdée des équipes de sécurité nationale
de l'après-guerre »183. Son fils en sera d'ailleurs
le premier bénéficiaire. George Bush s'entoura d'une
équipe de conseillers (dont des amis personnels) professionnels et
prudents, à son image, qu'il divisera en deux groupes : ceux
responsables de la politique étrangère et des affaires
intérieures. Ceci expliquera la tendance au statu quo, à
l'uniformité et l'absence de frictions entre conseillers et
bureaucrates184. Au final le cabinet Bush se composera de plusieurs
membres de l'administration Ford et Carter. Ainsi Richard Cheney deviendra
secrétaire à la Défense, James Baker, secrétaire
d'Etat, Brent Scowcroft repris son poste de conseiller à la
sécurité nationale, Robert Gates, adjoint à Scowcroft puis
directeur des services de renseignement, Carla Hills, représentante en
matière de commerce international pour ne citer que les grands postes de
politique étrangère185. Plus spécifiquement, au
département d'Etat, Lawrence Eagleburger fut nommé
secrétaire adjoint, Richard Salomon, assistant-secrétaire pour
les questions économiques, Richard Armitage, assistant-secrétaire
pour l'Asie186. S'agissant de l'équipe dédiée
à la politique chinoise, celle-ci fut remaniée après la
déconvenue liée à l'invitation de Fang Lizhi au banquet.
Par conséquent, en Avril 1989, un mois après cet incident, George
Bush monta une équipe plus expérimentée : le sinologue
Richard Salomon, initialement assistant-secrétaire pour les affaires
économiques fut nommé assistant du secrétaire d'Etat pour
les questions d'Asie de l'Est et du Pacifique187 ; James Lilley,
né en Chine, responsable de la CIA à Pékin quand G. Bush
était à la tête des bureaux de liaison dans les
années 1970188 fut affecté ambassadeur
américain à Pékin dès la mi-Mai 1989 ; Douglas Paal
qui avait travaillé à la CIA et au département d'Etat pour
les affaires asiatiques fut nommé directeur principal des affaires
asiatiques pour le Conseil à la Sécurité
Nationale189. Par conséquent, dès Mai 1989, son mandat
à peine amorcé, le Président américain était
doté d'un personnel particulièrement au fait des affaires
chinoises. Avant même la crise de Tiananmen, George Bush avait donc
développé une vision à long terme de la relation
sino-américaine, une appréciation aiguisée du
caractère stratégique de l'économie, de la position
internationale et des questions militaires chinoises.
183 DAVID Charles-Philippe, Au sein de la Maison-Blanche,
la formulation de la politique étrangère des Etats-Unis, op.
cit. p. 417.
184 Ibid., p. 418.
185 Ibid., p. 417.
186 Ibid.
187 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 20.
188 MANN James, About Face: A History of America's Curious
Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p.184.
189 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing
U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 20.
43
Section 3 : La gestion des rapports et du processus
décisionnel
La structure décisionnelle du cabinet Bush
refléta la personnalité du Président ainsi que ses
habitudes de travail190. Son approche fut un mélange de celle
de Carter et de Reagan dont le résultat fut particulièrement
productif191. Le Président cultiva un esprit de
collégialité au sein de son équipe de laquelle il exigea
une grande loyauté. Concernant la politique chinoise, chacun des membres
du cabinet concerné savait parfaitement que le Président serait
son propre chef dans le cadre de la ligne de conduite à mener à
l'égard de la Chine192. George Bush préféra
travailler avec de petits groupes de collaborateurs afin de renforcer le
sentiment de confiance, d'effriter les rivalités et les
personnalités et de minimiser les conflits, les divergences d'opinion ou
autres sources de dissensus. Sur le plan décisionnel cela se traduisit
par une approche étapiste, harmonieuse, sans querelle bureaucratique.
George Bush parviendra à faire fonctionner ce système de gestion
tout en imposant ses préférences et supervisant ses choix.
C'est donc avec cette équipe et cette méthode
décisionnelle que le Président américain forgera chacune
de ses décisions vis-à-vis de la RPC. C'est également
autour des réflexions de cette administration que s'articuleront les
premières prises de position publiques américaines.
|