Conclusion du chapitre
L'interrogation dans la langue française est de deux
types : une interrogation directe et une interrogation indirecte. Lorsque
l'interrogation admet une réponse positive ou négative, elle est
dite totale, par contre, si elle porte sur un élément
précis de l'énoncé interrogatif, elle est dite partielle.
L'interrogation est modalisée par des verbes de modalité à
savoir les verbes « pouvoir et vouloir » qui assignent
à la phrase interrogative une valeur illocutoire de prescription par
inférence. Les interrogations avec l'adverbe d'interrogation «
comment » acquièrent différents
interprétations, où la question peut porter alors sur la
manière, la cause, la contestation, l'ironie ou l'explication.
II. L'INTERROGATION EN LANGUE ARABE
Introduction
Chaque langue utilise des morphèmes et des structures
interrogatives spécifiques, et l'interprétation de la question
dépend du statut social et culturel des interlocuteurs. Ainsi,
l'interrogation diffère quant à son interprétation et son
but suivant la situation de communication. En effet, l'interrogation dans la
langue arabe a des propriétés qui la différencient de
celle de la langue française.
La langue arabe, comme la langue française, dispose de
deux types d'interrogations : une interrogation directe et une autre indirecte.
Cette dernière ne se termine pas par un point d'interrogation et
présente des propriétés différentes de celles
attestées dans la langue française. L'interrogation en arabe est
totale ou partielle selon sa portée, et selon sa valeur, elle peut
être comme c'est le cas pour la langue française de type :
rhétorique, demande d'information, ordre déguisé, etc.
43
Les grammairiens traditionnels comme Zamakhchari et
autres, ont classé les interrogations en une classe dite
"2istifhâm ta?awwori" et une autre dite "2istifhâm
ta?dîqî"29.
La modalité interrogative en arabe présente des
particularités non seulement au niveau des procédés de
l'interrogation, à savoir l'intonation, les morphèmes
interrogatifs et la structure phrastique, mais aussi au niveau des buts et
parfois même au niveau de la manière d'être.
C'est-à-dire que le morphème interrogatif peut être
utilisé pour différentes fins selon ses variantes : un seul
élément interrogatif, affixé à de nouveaux
morphèmes, peut changer de fonction ou de rôle sémantique,
comme le cas du pronom interrogatif "mâdâ", qui avec
l'adjonction des morphèmes prépositionnels "bi", "fi", "2ila" et
" åalâ" devient successivement
"bimâdâ","fi
mâdâ","2ilâ mâdâ" et "calâ
mâdâ" avec des changement de la valeur sémantique de
celui-ci..
II. 1 Les types d'interrogations en langue
arabe
II. 1. 1 L'interrogation directe et indirecte
La langue arabe dispose de deux types d'interrogations : la
première est directe et se termine par un point d'interrogation (cf.
(1)), la seconde est dite indirecte et se termine par un point : c'est une
interrogative dont le verbe introducteur est à sémantisme
interrogatif (cf. (2)). L'interrogation en arabe se définit en
général par deux structures : celle qui constitue la demande
c'est-à-dire l'élément interrogatif qui apparaît
à l'initial de la phrase "?arf 2istifhâm" ou " 2ism
istifhâm"30, et celle qui constitue la
réponse.
1) 2alâ tarâ 2annahu garibun ?
29 Fassi Fihri, A., 1982, Linguistique arabe :
forme et interprétation, Publication de la faculté des
lettres et des sciences humaines de rabat, Thèses et mémoires
N° 9.
30 Fassi Fihri, A., 1982, Linguistique arabe :
forme et interprétation, Publication de la faculté des
lettres et des sciences humaines de rabat, Thèses et mémoires
N° 9.
44
-Ne vois-tu pas qu'il est étranger ?
2) ?atasâ?alu in kunta tarâ ?annahu
garibun.
-Je me demande si tu vois qu'il est étranger.
L'interrogation (1) est une interrogation directe. Cependant,
elle peut être enchâssée dans une autre phrase comportant le
verbe "tasâ?ala"
pour devenir une interrogation indirecte (cf. (2)). Le verbe
"tasâ?ala" peut
être préfixé par la marque morphologique
portant les traits du genre et du nombre du sujet dans l'aspect inaccompli
[?a :je], [ta :tu, vous], [ya :il,
elle, elles] et[na :nous]. Cette adjonction influe
sur la désinence casuelle de ce verbe. Dans le cas du masculin singulier
présent (anâ : je) et (anta: tu), le masculin et le féminin
singuliers absents, (huwa :il, hiyya :elle), et dans la cas du masculin et
féminin pluriels présents (na?nu :nous), la désinence est
"u" le verbe devient dans le dernier cas par exemple
"na-tasâal-u". Dans le cas du féminin singulier (anti
:tu) la désinence est " ina " (ta- tasâ?al-îna), dans le cas
du masculin pluriel présent (antum :vous) et
le masculin pluriel absents (hum :ils) la désinence est
" ûna ", dans le pluriel féminin présent (?antunna :vous)
et du féminin pluriel absent
(hunna :elles) la désinence est "na".
La particularité de la langue arabe réside dans
la présence d'un pronom personnel masculin ou féminin, qui n'est
ni singulier ni pluriel, il s'agit du "mutannâ" « duel
» »?antumâ» et »humâ»
où la désinence casuelle est "âni". Le tableau suivant
illustre ses combinaisons de l'aspect inaccompli:
sujet
|
Marque
morphologique
|
verbe
|
Désinence casuelle
|
?ana :je
|
?a
|
tasâ?al
|
u
|
45
?anta :tu ?anti :tu
?antumâ :vous (2
personnes, masculin )
?antumâ :vous (2 personnes, féminin) ?antum
:vous
?antunna :vous
na?nu :nous huwa :il
hiyya :elle
humâ : ils (2 personnes, masculin)
humâ : elles (2 personnes, féminin) hum :ils
hunna :elles
|
ta ta ta
ta
ta ta na ya ta ya ya
ya
ya ya
|
tasâ?al tasâ?al tasâ?al tasâ?al
tasâ?al tasâ?al tasâ?al tasâ?al
tasâ?al tasâ?al / yasâ?al tasâ?al
tasâ?al tasâ?al
|
u ina
âni âni
ûna na u u u âni
âni âni
ûna na
|
Avec l'aspect accompli, seule la désinence casuelle
change selon les pronoms personnels ; le tableau suivant es est l'illustration
:
sujet
|
verbe
|
Marque morphologique du sujet + Désinence
casuelle
|
tu ta ti tumâ
tumâ
tum tunna nâ a at
â
atâ
û na
?ana :je ?anta :tu ?anti :tu
antumâ :vous (2 personnes, masculin )
antumâ :vous (2 personnes, féminin) ?antum :vous
?antunna :vous na?no :nous
huwa :il hia :elle humâ : ils (2 personnes, masculin)
humâ : elles (2 personnes, féminin) hum :ils
hunna :elles
|
tasâ?al tasâ?al tasâ?al tasâ?al
tasâ?al
tasâ?al tasâ?al tasâ?al
tasâ?al tasâ?al tasâ?al
tasâ?al
tasâ?al tasâ?al
|
46
L'interrogation indirecte est introduite par un verbe comme
(sa?ala ou tasâ?ala ((cf. 2) et (3)).
3) ?uridu ?an ?aårifa ?in kunta
tarâ ?annahu garîbun.
-Je veux savoir si tu penses qu'il est
étranger.
La transformation de l'interrogation directe en une
interrogation indirecte a ses propres particularités. En outre, si
l'enchâssement de la proposition principale dans la proposition
subordonnée se fait en français
47
par le biais de la conjonction "si". Cette même
transformation s'effectue en arabe au moyen des conjonctions suivantes :
"2idã, mã-2idã, hal, 2inn " (cf. (5) et (6)).
4) 2atasã2alu 2ida kunta satusãfiru.
5) 2atasã2alu mã-2idã kunta
satusãfiru.
6) 2atasã2alu hal satusãfiru.
-Je me demande si tu voyageras.
Le passage de l'interrogation directe à
l'interrogation indirecte en arabe, ne diffère pas de celle de la langue
française. Le transfert se fait avec la conservation de l'outil
interrogatif de l'interrogation directe dans la plus part des cas (cf. (8)).
7) man úã2a ? -qui est venu ?
8) atasã2alu man úã2a .
-je me demande qui est venu.
II. 1. 2 L'interrogation totale et partielle
Selon la portée de l'interrogation, la question est
liée à une
affirmation ou à une infirmation du contenu de
l'énoncé. Dans ce cas, elle est dite interrogation totale, et
elle est introduite par l'élément interrogatif dit "?arf
2istifham", à savoir ("hal" et "2a" :est-ce que)
(cf. 10 et 11). Les deux éléments interrogatifs ont la même
signification. La réponse attendue est oui ou non.
10)a) hal 2atã 2a?madu ?
-Est-ce que Ahmed est venu ?
11)a) 2a daxala 2a?madu ? -Est-ce qu'Ahmed est
entré ?
48
L'interrogation totale peut être indirecte et introduite
par un verbe à sémantisme interrogatif comme
"tasâ2ala" ou une proposition
interrogative comme "2uridu 2an 2aårifa", comme
le montrent les exemples (10.b) et (11.b):
10. b) 2uridu 2an 2aårifa hal 2atâ
2a?madu.
- Je veux savoir si Ahmed est venu.
11. b) 2atasâ2alu 2a daxala 2a?madu.
- Je me demande si Ahmed est entré.
L'interrogation partielle est introduite par un pronom
interrogatif dit "2ism istifhâm", comme (mâ
:quoi, man :qui, kayfa : comment, 2ayna :
où.). Elle peut être, à l'instar de
l'interrogation totale, directe ou indirecte. Dans le cas de l'interrogation
partielle directe, le pronom interrogatif est à l'initiale de la phrase
interrogative. Dans le cas de l'interrogation indirecte totale, le pronom
interrogatif est remplacé par une conjonction de subordination qui
introduit l'enchâssée, comme le montrent les exemples suivants
:
12)a) 2ayna dahabta ?
- où est ce que tu es parti ?
12)b) 2atasâ2alu 2ayna dahabta .
- je me demande où tu es parti.
II. 1. 3 L'interrogation selon l'élément
interrogatif
Les éléments interrogatifs sont dits, selon
Zamakhschari31, ? des
particules interrogatives? et sont divisés en
deux classes. Les grammairiens traditionnels distinguent plusieurs autres
classes de particules. En effet, « On entend par particule un mot qui
indique un sens qui est renfermé dans d'autres mots. Il y a plusieurs
espèces de particules,
31 De Sacy, S., 1829, Anthologie grammaticale
arabe, Imprimerie royale, Paris. P. 240.
49
à savoir, particules d'annexion, particules
assimilées au verbe, particules conjonctives, particules
négatives,...particules interrogatives, au nombre de deux... »
32.
Certains linguistes, comme Blashère33,
parlent de deux types de particules interrogatives à savoir: les
pronominaux et les adverbiaux. Ces outils interrogatifs sont soit des
[?uruf ?istifhâm], soit [?asma? ?istifhâm] :
a- La classe des interrogatives introduites par des
particules interrogatives telles que ("hal" ou "2a" : est-ce
que) et qui sont dits des complémenteurs
(maw?ulât)34.
b- La classe des interrogatives introduites par un pronom
interrogatif, (mâ :quoi, man :qui, kayfa :
comment, 2ayna : où.)
Cependant, la distinction morphologique correspondant aux
éléments interrogatifs ne correspond ni à la distinction
entre les interrogations (oui/non), où le questionné est
sensé répondre négativement ou affirmativement, ni aux
questions dites de constituants qui ne portent que sur la valeur
attribuée à l'élément en question. Le premier type
d'interrogation introduite par "?arf 2istifhâm" est
appelée " 2istifham
tasdiqi", alors que le second type introduit par
"2ism istifhâm" est dit "
2istifham ta?awwuri"35, il s'agit toujours
d'une interrogation partielle (cf. 12.a et b)), alors qu'il est question soit
d'une interrogation totale ou partielle dans le second cas (cf .(13.a et
b)).
13)a) 2a sâfarta lyawma ? - as-tu voyagé
aujourd'hui?
13)b)2a 2anta sâfarta lyawma ? - C'est toi qui a
voyagé aujourd'hui?
32 Ibid
33 Blashère, R., 1975, Grammaire de l'arabe
classique, 4 ème édition, Maisonneuve et Larose, Paris.
34 Fassi Fihri, A., 1982, Linguistique arabe :
forme et interprétation. Publication de la faculté des
lettres et des sciences humaines de rabat, Thèses et mémoires
N° 9.
35 Ibid
50
L'interrogation en (13 .a) porte sur la vérité
de la phrase entière. Cependant (13.b) ne met en jeu que la valeur du
constituant topique (sujet) :(est-ce bien toi (2anta) ?).
?arf 2istifhâm (2a , hal) = 2istifham tasdiqi
2ism istifhâm (ayna, kayfa, matâ, kam,etc.) =
2istifham ta?awwuri
II.2 La distribution des pronoms interrogatifs dans
les phrases échos
Dans la phrase interrogative, le pronom interrogatif occupe
une position préverbale externe36. Il peut être un NP
sujet (cf. (14)), un complément d'objet (cf. (15)) ou un PP (cf. (16)).
« Si l'interrogation doit occuper le commencement de la phrase, c'est
par la seule raison que l'interrogation indique une forme
déterminée entre les diverses formes dont le discours est
susceptible : or tout mot qui remplit cette fonction, doit être
placé en tête de la phrase. »37. (Sylvester
De Sacy :1829).
14)
|
man dahaba l2âna?
|
- Qui est parti maintenant?
|
15)
|
mâdâ tafåalu ?
|
- Que fais-tu ?
|
16)
|
2ayna dahabta ?
|
-Où es-tu part ?
|
|
Cependant, la position du pronom interrogatif peut être
une position interne comme c'est le cas des questions dites "échos".
Dans ces questions, dites aussi multiples, un seul constituant est
déplacé vers l'initiale de la phrase, et les autres occupent des
positions internes (cf. (17)).
17) man qâla
mâdâ wa liman?
- Qui a dit quoi et à qui?
Dans l'interrogation indirecte, simple ou multiple,
l'élément ou les éléments interrogatifs sont
toujours à l'intérieur de la phrase. Le premier
36 Ibid
37 De Sacy, S., 1829, Anthologie grammaticale
arabe, imprimerie royale, Paris. P. 260.
51
élément interrogatif joue le rôle de
coordonateur entre la principale et la subordonnée interrogative.
18. a) 2atasâ2alu man kataba
rrisâlata. - Je me demande qui a écrit la
lettre.
18. b) 2atasâ2alu man kataba
rrisâlata li man wa
limâdâ. - Je me demande qui a
écrit la lettre à qui et
pourquoi.
II. 3 Les caractéristiques morphologiques des
complémenteurs
Les complémenteurs (maw?ûlât) ont
certaines propriétés morphologiques qui déterminent leur
existence. Ils sont de deux types : simples ou composés. Un
complémenteur simple comme "mâdâ" devient
composé en le préfixant par des prépositions "bi, li,
fi, åalâ" pour devenir " bimâdâ : avec
quoi, limâdâ : pourquoi, fi mâdâ :
où, åalâ mâdâ : sur quoi" (c.f (19.a,
b, c, d et e)).
(19)a )
|
mâdâ taktubu ?
|
- Qu'est ce que tu écris ?
|
(19)b)
|
bimâdâ taktubu ?
|
- Avec quoi tu écris ?
|
(19)c)
|
limâdâ taktubu ?
|
- Pourquoi tu écris ?
|
(19)d)
|
fi mâdâ taktubu ?
|
- Où est-ce que tu écris ?
|
(19)e)
|
åalâ mâdâ taktubu ?
|
- Sur quoi tu écris ?
|
Les outils "kayfa" et "2ayna" perdent leurs
sens interrogatif quand ils sont construits avec " mâ", et les
constructions obtenues par le biais de cette combinaison sont incorrectes (cf.
(20.a et b) et (21.a et b)).
(20) a)* kayfa mâ þâ2a? b) * 2ayna
mâ þâ2a?
(21) a) kayfa þâ2a? - Comment est-il
venu?
b) 2ayna þâ2a? - Où est-il venu?
52
Toutefois, un mot non interrogatif combiné avec un
complémenteur interrogatif devient interrogatif : c'est le cas par
exemple du mot "waqt : temps", employé avec un pronom
interrogatif " mâdâ " devient "waqta mâdâ
: à quel temps" (cf. (22)).
22)a) waqta mâdâ þi2ta ? - A quel temps tu
es venu ?
b) úi2tu waqta lmasâe. - Je suis venu le
soir.
Les complémenteurs interrogatifs " 2a" et "
hal" ont des propriétés syntaxiques différentes.
Le complémenteur " hal" ne peut pas être suivi d'un
topique, (cf. (23.a et b)), à l'inverse du complémenteur " 2a".
(cf. (24.a et b))38.
(23) a* hal 2a?madan darabta ? -Est ce Ahmed que tu as
frappé ? b) * hal 2anta úi2ta ? - Est-ce que tu es venu?
(24) a) 2a 2a?madan darabta ? - Est-ce que tu as
frappé Ahmed?
b) 2a 2anta úi2ta ? - Est-ce que tu es venu?
Une autre divergence entre les deux complémenteurs est
recontrée dans l'interrogation alternative. L'élément
interrogatif " 2a" peut être à l'initiale de celle-ci
(cf. (25. a)), mais l'élément " hal" ne peut être
à son initial (cf. (25. b)). Cet élément " hal" a
les mêmes caractéristiques syntaxiques que les pronoms
interrogatifs "matâ, man, kayfa, ayna" (cf. (25.
c)).
(25) a) 2a åindaka 2a?madu 2am
hiðâmu?
(25) b) * hal åindaka a?madu 2am
hiðâmu?
* matâ 2a?madu 2atâ?
- As-tu Ahmed ou Hicham chez toi?
(25) c)
- Quand est-il venu Ahmed?
38 Ibid
53
II. 4 Les caractéristiques sémantiques des
introducteurs interrogatifs
La modalité interrogative en langue française,
peut être dénotée par le biais de l'intonation ascendante
ou la présence d'un élément interrogatif à
l'initiale de celle-ci. Une autre modalité correspond à
l'interrogation indirecte qui est marquée par la conjonction de
subordination (si) ou (ce que). Alors qu'en arabe, il y a
plusieurs coordonnants à savoir (2inn, 2idâ,
mâ 2idâ, etc.).
Les éléments interrogatifs en arabe écrit
sont multiples à l'instar de la langue française. Ils sont
regroupés dans deux catégories à savoir les pronominaux et
les adverbiaux39.
Les morphèmes interrogatifs sont utilisés pour
s'interroger sur la réalité d'un énoncé ou pour
s'interroger sur un constituant de la phrase interrogative. Mais ces
morphèmes ne sont pas privés de sens, chaque
élément utilisé est doté d'un ensemble de
caractères sémantiques qui nous permettent de l'utiliser dans un
contexte et non pas dans un autre. En effet, un même interrogatif
pronominal ou adverbial peut acquérir différentes
interprétations sémantiques.
a- Les pronominaux :
hal /; est-ce que : c'est un
morphème interrogatif employé pour s'interroger sur la
réalité d'un procès ou d'un état
désignée par la prédication (cf. (26)).
26) hal þâ2a lwâli ? Est-ce que le Wali est
venu ?
2a ; est-ce que : est un pronom
interrogatif qui porte sur la réalité prédicative, il a le
même sens que hal. (cf. (27)).
27) 2a þâ2a ? Est-ce qu'il est venu ?
39 Barbara, R., 2006, « L'interrogation dans les
proverbes en arabe marocain », in revue de la faculté
des Lettres et des sciences humaines, Beni Mellal, N° 7.
54
mâdâ ; qu'est-ce que :
il est utilisé pour la détermination ou la spécification
de l'objet (cf. (28)).
28) mâdâ tafåalu ? Que fais-tu
? mâ ; qu'est-ce qui / qu'est-ce que :
est employé pour s'informer d'une cause (29.a) ou d'un état
(29.b)," mâ " est une variante de "mâdâ".
29.a) mâ dahâka 2an ta2tiya lyawma ? -
Qu'est-ce qui t'a empêché de venir aujourd'hui ?
29.b) mâ bika? -Qu'est ce que tu
as? Ayyu ; quel : est employé pour se
demander de l'identité d'une personne ou de quelque chose.
30) ayyu ?ayfin þâ2a? - Quel invité est
venu ? man ; qui : ce pronom interrogatif
peut porter sur le sujet (31), ou sur un pronom déterminatif (32).
31) man yaq?i lî ðuglan? - Qui me rend un service
?
32) kâna yaqûlu hâdâ ibnu man ? - Il
disait, c'est le fils de qui ?
b- Les adverbiaux :
Lorsque la question est introduite par un des adverbiaux
interrogatifs, elle porte sur un complément circonstanciel de la
phrase.
limâdâ ; pourquoi : ou
ses variantes " lima" est utilisée pour demander la cause d'un
événement (33),"bimâdâ: avec quoi " est une
autre variante de "limâdâ ", elle est utilisé pour
porter sur un complément circonstanciel (34).
33) limâdâ þi2ta l2âna ? -Pourquoi
es-tu venu maintenant ?
34) bimâdâ taktubu ? - Avec quoi tu écris
?
kayfa ; comment : s'utilise pour
s'interroger sur la manière (35) ou l'état de quelque chose (36)
ou de quelqu'un (37).
35) kayfa wa?alta 2ilâ hunâ ? Comment es-tu
arrivé jusqu'ici ?
36)
55
kayfa hia ssayyaratu lúadidatu ? - Comment est la
nouvelle voiture ?
37) kayfa hâluka ? - Comment vas-tu
? kam ; combien : cet élément
interrogatif est utilisé pour s'interroger sur la durée (38) ou
sur la quantité (39).
38) kam yawman gibta ? - Combien de jours tu
t'es absenté ?
39) kam qam?an úamaåta ? - Combien de
blé as-tu rassemblé ?
matâ ; quand : cet
interrogatif est utilisé essentiellement pour s'interroger sur le temps
(40).
40) matâ sataåûdu ? - Quand
reviendras-tu ? ?ayna ; où : ou ses
variantes ("?ilâ ?ayna " et " min ?ayna" : d'où)
est employée pour dénoter le lieu. 41)a) ?ayna
tadhabu ?
b) ?ilâ ?ayna tadhabu ? - Où vas-tu ?
c) min ?ayna hâdâ lgosnu ? - D'où vient
cette branche ?
?am ; ou bien : cette particule
corrélative construit avec la seconde proposition d'une alternative dont
la première est commandée par "?a : est-ce que" une interrogation
indirecte40 (cf. (42)). La particule "?am" s'emploie concurremment
avec la particule interrogative "?a", qui est des
fois sous-entendue, c'est-à-dire élidée
(cf. (42. b)). S. De Sacy remarque que « les deux particules
interrogatives sont a et hal. De ces deux particules, a est celle qui est d'un
usage plus général ; on l'a supprime quelque fois, quand
l'interrogation est d'ailleurs suffisamment indiquée, ...L'interrogation
doit toujours occuper le commencement de la
40 Blashère, R., 1975, Grammaire de l'arabe
classique, 4 ème édition, Maisonneuve et Larose, Paris.
56
phrase. »41. En ce qui concerne la
position de la particule interrogative dans la phrase, l'élément
interrogatif doit toujours occuper le commencement de la phrase parce qu'il ne
parle que des deux particules interrogatives "2a" et "hal" dans l'interrogation
directe.
42) a) 2a åindakum zaydun 2am åamr?
b) åindakum zaydun 2am åamr?
- il y a chez vous Zayd ou Amr ?
Cependant, une certaine ressemblance apparaît entre les
deux particules "2am" et "2aw : ou". La particule
"2aw" est utilisée, selon Blashère, quand le locuteur
n'est pas certain à propos du contenu de la phrase, dans l'exemple (43),
il s'interroge sur l'événement du voyage et non pas s'il sera
aujourd'hui ou demain, l'interrogé est sensé répondre par
oui ou non (cf. (43)),
Au contraire, la particule "2am" est employée
lorsque le locuteur sait que le jugement qu'il énonce est vrai, et se
demande qui est chez l'interlocuteur, est-ce Zayd ou Amr
(cf. (42))42.
43) 2a satadhabu lyawma 2aw gadan? - Partiras-tu
aujourd'hui ou demain ?
A la question (43), la réponse serait oui ou
non et à la question (42), la réponse est Zayd
ou Amr.
II. 5 Analyse sémantique de l'interrogation
modalisée en langue arabe
Les énoncés interrogatifs relevant de la langue
arabe et modalisés par des verbes tels ?2ista?âåa ;
pouvoir?, ?2amkana ; pouvoir?,
?2arâda ;
41 De Sacy, S., 1829, Anthologie grammaticale
arabe, Imprimerie royale, Paris. P. 259.
42 Blashère, R., 1975, Grammaire de l'arabe
classique, 4 ème édition, Maisonneuve et Larose, Paris.P.
260, 261.
vouloir?, ?åarafa ; savoir?,
peuvent être interprétés comme des énoncés
prescriptifs envers le locuteur pour qu'il se comporte d'une
telle manière. La notion de modalité peut être
interprétée comme étant une idée d'analyse
sémantique qui permet de distinguer dans un énoncé : un
dit (appelé contenu propositionnel) et une modalité qui est (un
point de vue du sujet parlant sur le contenu). Il faut signaler que toute
phrase est par principe modalisée, même sans verbe modal, ainsi la
phrase suivante : (Samarcande est un roman) comporte une
modalité minimale manifestée par le mode indicatif du verbe, et
comporte aussi une modalité déclarative qui la différencie
de la modalité interrogative ou impérative. Selon
Cervoni43, A. Meunier a divisé les études de ce
domaine en deux filières : la modalité d'énonciation qui
révèle la relation entre le locuteur et l'auditeur, et la
modalité d'énoncé qui caractérise les rapports
entre le sujet de l'énoncé et la proposition. En effet, nous nous
intéresserons à ces deux modalités.
Austin pense que « tout énoncé sert
à accomplir un acte illocutionnaire, et les éléments
modaux (mode verbal, ordre des mots, intonation, etc.) permettent au locuteur
d'indiquer quel acte illocutionnaire, ou quel type d'acte illocutionnaire, il
entend accomplir par son énonciation »44. Ainsi
l'énoncé modalisé par le verbe
(·ista?âåa · pouvoir) (cf. (43)) est un
énoncé qui sera conçu comme un défit, un ordre ou
un conseil selon les contextes d'énonciation.
43) ?a-tastatiåo an tarfaåa t-ta?addi
? Peux-tu relever le défit ?
43 Cervony, J., 1987, L'énonciation : Linguistique
nouvelle. Paris, PUF.
57
44 Recanati.F., 1979, Les énoncés
performatifs, Paris, Les éditions de minuit Sueil. P. 44.
58
L'interprétation des énoncés à
verbes modaux dépend d'une manière cruciale de l'emploi de ces
verbes dans des contextes différents. On demande souvent à
quelqu'un d'agir de telle sorte, mais cette demande est exprimée sous
différentes conceptions : énoncé directif,
déclaratif ou interrogatif.
Après l'analyse de certains énoncés
interrogatifs modalisés par des verbes modaux, nous avons pu relever
certaines caractéristiques sémantiques et pragmatiques qui
peuvent dévier l'énoncé interrogatif de sa valeur initiale
qui est celle de la question à celle exprimant une directive à
valeur illocutoire de prescription.
Les interrogations sont souvent modalisées par des
verbes modaux et qui peuvent leur assigner des valeurs illocutoires
prescriptives par inférence. Par inférence on entend dire selon
Kerbrat-Orecchioni45; « toute proposition implicite que
l'on peut extraire d'un énoncé ». L'inférence
recouvre aussi ce que Charlotte appelle «
présuppositions », ça correspond aussi aux
« implicatures » de Grice, aux « implications
» de Recanati, aux « inférences » de Robert
Martin et aux « sous-entendus » de
Kerbrat-Orecchioni46. C'est un passage de la valeur illocutoire
primitive à la valeur illocutoire dérivée.
II. 5. 1 Les conditions de fonctionnement des verbes
modaux dans les énoncés interrogatifs
Pour que les interrogations modalisées fonctionnent en
tant que prescriptions, elles doivent satisfaire un ensemble de conditions
sémantique et pragmatique. Les énoncés (44, 45 et 46) sont
des énoncés interrogatifs. Ils doivent être
interprétés comme une prescription envers
45 Kerbrat-Orecchioni, C., 1983, L'implicite,
Paris, Armand Colil. P. 24.
46 Avec des nuances bien sûr, puisque chaque
linguiste assigne des particularités distinctives propres à son
terme.
59
l'auditeur pour qu'il se comporte d'une telle manière,
en l'occurrence ici, le fait de passer un stylo.
44) ?a-tasta.tieu ?an toe.tiyan-i dãka
l-qalama?
45) ?a-yomkinuka ?an toetyian-i dãka
l-qalama? Peux-tu me passer ce stylo?
46) ?a-turidu ?an toetyian-i dãka
l-9alama? Veux-tu me passer ce stylo?
Pour que les énoncés modalisés
acquièrent une valeur illocutoire prescriptive, un certain nombre de
conditions préalables qui ne sont pas seulement linguistiques, mais qui
sont aussi des données déontologiques et sociales doivent
être satisfaites. En effet, des conditions nécessaires doivent
être remplies pour que l'énoncé acquière cette
valeur prescriptive.
Les conditions de sincérité, de
désirabilité et d'aptitude
La sincérité est une qualité morale,
c'est l'honnêteté dans l'expression des pensés et des
sentiments. Les énoncés (44), (45) et (46) sont des
interrogations qui expriment une désirabilité de la part de
l'énonciateur. Celui-ci désire qu'un état de chose
décrit ait lieu. Il est admis en référence au principe de
réalisme naïf, que si on demande à quelqu'un de se comporter
d'une telle manière, c'est qu'on désire sincèrement que
l'état de chose, objet de notre demande, soit réalisé.
Cette condition est surtout liée à l'énonciateur.
Il est nécessaire, et par principe
déontologique, d'admettre que l'énonciateur soit sincère
dans son désir. Mais vu que la sincérité est une condition
qui ne peut être mesurée concrètement, il faut admettre que
tout énonciateur est sincère et que les énoncés
prescriptifs, même non sincères, gardent leurs valeurs
illocutoires prescriptives.
60
Quant à l'aptitude, c'est le fait d'avoir des
dispositions physiologiques ou intellectuelles pour faire quelque chose. Si la
sincérité et la désirabilité concernent
l'énonciateur, l'aptitude quant à elle concerne
l'énonciataire : c'est une condition nécessaire pour que l'objet
de la prescription soit réalisé47. Considérons
l'exemple (47) :
47) ?alâ tasta?îåo ?an taqûma
lî bihâda l-åamali ?
- Ne peux-tu pas me rendre un service ?
C'est un énoncé qui exprime une
désirabilité de la part de l'énonciateur, mais cette
prescription peut être frappée de nullité si cette
condition d'aptitude de l'énonciataire n'est pas respectée. Ainsi
on ne peut demander à quelqu'un de nous rendre un service que si on sait
d'avance qu'il est apte à le faire, c'est-à-dire réaliser
le contenu propositionnel de l'énoncé en question.
Les conditions de sincérité, de
désirabilité et d'aptitude font l'ensemble des
éléments concomitants dont la satisfaction est nécessaire
à la bonne exécution de l'acte désigné par le verbe
modal. Cependant, il ne faut négliger ni les conditions de
présence de l'auditeur ni la présence d'un canal de communication
nécessaire pour l'exécution du contenu de la prescription.
Dans cette perspective, Austin48 stipule que le bon
fonctionnement des énoncés performatifs est perturbé si
ces conditions ne sont pas satisfaites.
II. 5. 2 L'adjonction des verbes modaux dans les
énoncés interrogatifs
Une valeur illocutoire de prescription est assignée
indirectement et par inférence aux interrogations. En effet, deux
procédés linguistiques sont utilisés pour construire des
énoncés interrogatifs directifs modalisés par
47 Taifi. M., 2000, Sémantique linguistique
: référence, prédication et modalité. SFR,
sciences du langage, publication de la faculté des lettres et des
sciences humaines Fes, P. 190.
48 Austin, J. L., 1970, Quand dire c'est faire,
Paris, Seuil.
61
des verbes modaux49. Le premier relève de la
grammaire et le second du lexique (cf. (48.b) et (48.a)).
48)a ?alâ t-asta?îåo ?an t-umdia
lî hâdihi l-waraqata ? Ne pouvez-vous pas me signer ce papier
?
48)b ?a-yumkinuka ?an t-umdia lî
hâdihi l-waraqata ? Pouvez-vous me signer ce papier ?
Nous avons affaire, dans ces deux exemples à deux
structures avec deux modalités qui expriment une directive de la part de
l'énonciateur : une modalité grammaticale exprimée par la
structure syntaxique interrogative et une modalité lexicale
exprimée par les verbes modaux »
istatâåa» et
»?amkana».
II.5.2.a La modalité grammaticale
Les énoncés modalisés par des verbes
modaux, ayant une valeur illocutoire de prescription, sont soumis à un
certain nombre de règles grammaticales.
Ainsi, les énoncés (48. a) et (48. b) visent la
réalisation d'un état de chose, à savoir la signature d'un
papier. Les constructions grammaticales, qui expriment une prescription, sont
dites des constructions jussives. En tenant compte de la valeur prescriptive
qui leur est commune et non leurs verbes modaux qui sont différents, ces
énoncés expriment à travers la structure syntaxique
interrogative une valeur illocutoire prescriptive50.
Les énoncés prescriptifs peuvent être
réflexifs ou non réflexifs. Le verbe dans ce dernier cas est
à la deuxième personne du singulier, (t-astatîåo,
y-umkinuka, tu-rîdo, t-aårifu, y-aúibu).
49 Il existe aussi une modalisation par adverbe et par
adjectif.
50 Taifi. M., 2000, Sémantique
linguistique, référence, prédication et modalité,
SFR, sciences du langage, publication de la faculté des lettres et
des sciences humaines, Fes, P. 191.
62
L'aspect du verbe modal marquant l'interrogation doit
être lié au désir de la réalisation d'un acte qui ne
peut être un fait relevant de l'accompli. Ainsi, la réalisation
d'un état de chose, nécessite un verbe modal interrogatif
à l'aspect inaccompli. De ce fait, l'énoncé (49)
étant à l'accompli, ne peut être interprété
comme une prescription. Les verbes modaux à valeur prescriptive sont
liés à l'inaccompli dans ses deux formes : temps du
présent et du futur.
(49) istatâåa ?an y-um?yia lî
l-waraqata?
Entre autre, les verbes modaux utilisés dans des
énoncés interrogatifs à valeurs prescriptives sont
régis par une règle syntaxique : en français, la structure
syntaxique est de type : voulez-vous + P ou
pouvez-vous + P (cf. (50), où les
verbes ?vouloir et pouvoir? sont utilisés comme des
authentiques auxiliaires. Alors que dans la langue arabe, c'est la structure :
particule interrogative + verbe + conjonction de coordination + P
qui est d'usage (cf.(48 a et b)).
50) voulez-vous me rendre un service ?
Français
|
Arabe
|
Pouvoir, vouloir et savoir. voulez-vous +
P
Verbe+2°pers (sing/plur) + P ?
|
?Istatâåa, ?amkana,
qadira
particule interrogative
+ verbe + conjonction de coordination + P ?
|
Les énoncés interrogatifs, modalisés par
des verbes modaux, expriment des directives à travers des constructions
jussives. Ces verbes sont utilisés à visée
d'atténuer le discours. Toutes ces caractéristiques
63
font des verbes modaux des expressions appropriés
à l'expressivité de l'énonciateur pour fournir des
énoncés directifs.
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