INTRODUCTION
L'accès aux soins est un aspect fondamental du droit
à la santé. Il peut se définir comme la facilité
à utiliser en temps utile les services de santé par les individus
de façon à atteindre le meilleur résultat possible en
terme de santé.1 Il suppose donc une prise en charge
effective des individus en matière de prévention et de soins
efficaces .Ainsi, le premier droit de la personne malade est de pouvoir
accéder aux soins que son état nécessite, quels que soient
ses revenus.
Le droit d'accès aux soins nécessaires et
à leur prise en charge financière est garanti par la Constitution
française2, ainsi que par diverses Conventions
internationales (notamment : Pacte de l'ONU, Convention sur les droits de
l'enfant, Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine etc.)
dont la portée est toutefois variable. « Toute personne a le droit
d'accéder à la prévention en matière de
santé et de bénéficier de soins médicaux dans les
conditions établies par les législations et pratiques nationales
»3 proclame justement, à l'article 35, la Charte des droits
fondamentaux adoptée à Nice en 2000.
Le droit à la protection de la santé reconnu par
le Préambule de la Constitution de 1946 est fondé sur des
principes d'égal accès aux soins et de libre accès aux
soins garantis aux usagers par le système de protection sociale mis en
place en 1945 et fondé sur la solidarité. Tous les acteurs de
santé - les professionnels, les établissements et réseaux
de santé, les organismes de prévention ou de soins, les
autorités sanitaires - doivent employer tous les moyens à leur
disposition pour le mettre en oeuvre au bénéfice de toute
personne.
Le droit d'accès aux soins nécessaires est au
surplus garanti par les législations sanitaires françaises, qui
imposent aux établissements assurant le service public hospitalier
d'être en mesure d'accueillir les patients de jour et de nuit,
éventuellement en urgence, ou d'assurer leur admission dans un autre
établissement de santé. La loi du 4 mars 2002 a inscrit ce droit
dans un chapitre préliminaire du Code de la santé publique.
Ces dispositions légales donnent donc à chacun
le droit d'obtenir les soins qu'exige son état de santé. Les
contours précis de la notion de " soins nécessaires " sont
toutefois
1 Cf.GRANDJEAN (H.)..., les inégalités sociales
de santé, éd. La découverte et syros, Paris, 2000, p.
403.
2 Cf. Préambule de la constitution du 27 octobre 1946,
puis de la constitution du 4 octobre 1958.
3 Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne,
JOCE C 364/01 du 18.12.2000, Chap. IV, art. 35.
difficiles à fixer ; elle inclut en principe tous les
soins propres à éviter une atteinte à la vie ou une
atteinte grave à l'intégrité physique ou psychique de la
personne.
La prise en charge financière des soins
nécessaires est assurée par la législation
française sur l'assurance-maladie, dans le cadre de l'assurance
obligatoire des soins. Celle-ci soumet le remboursement à la triple
condition que les prestations soient " efficaces, appropriées et
économiques ". Le catalogue des prestations remboursées est
constamment mis à jour pour tenir compte des progrès
médicaux.
Toutefois, la possibilité d'améliorer et de
prolonger la vie est compromise par les coûts toujours croissants des
produits pharmaceutiques. Ces coûts constituent une importante
barrière aux soins, notamment pour les personnes n'ayant pas (ou peu)
d'assurance. De fait, la montée vertigineuse des prix menace
l'accès de tout le monde aux médicaments parce ce qu'elle risque
d'inciter les assureurs publics et privés à vouloir limiter leur
responsabilité en refusant de couvrir certains médicaments ou en
augmentant leurs frais d'utilisation.
Mais quelles sont les raisons qui peuvent expliquer le
coût élevé des produits pharmaceutiques ayant du coup une
incidence sur l'accès aux soins de santé ?
En effet, le marché pharmaceutique dépend
essentiellement de nos jours, pour la recherche et la production, de firmes
privées. Dans l'économie mondiale, le médicament est
considéré comme un produit commercial comme les autres. Il fait
l'objet de la protection par brevet et se retrouve soumis aux lois de l'offre
et de la demande. Dans ces conditions, le marché pharmaceutique est
guidé par les intérêts financiers de l'industrie et non pas
ceux des malades. Les firmes pharmaceutiques choisissent de développer
ou non un médicament, en fonction des bénéfices
escomptés sur sa vente. Du coup, en dépit des progrès
spectaculaires de ces dernières décennies en matière de
thérapie, l'accès à certains traitements et
méthodes diagnostiques posent problème et des dizaines de
millions de personnes souffrent et meurent encore chaque année de
maladies parfaitement curables faute d'accès aux traitements. Et
pourtant, comme nous le disions précédemment, le droit à
la santé et au meilleur choix de santé possible est un droit
humain essentiel, inscrit dans la déclaration universelle des droits de
l'homme, dans la charte des nations unies de l'organisation mondiale de la
santé.
L'indisponibilité et ou le coût trop
élevé des nouveaux traitements dus à la protection par
brevet, préjudiciable à la prise en charge de certaines maladies,
soulève donc le problème de l'accès aux soins, notamment
l'accès financier aux thérapies, et la question de la
propriété intellectuelle.
Si la finalité de l'industrie pharmaceutique est de
tenter d'apporter des réponses thérapeutiques optimales aux
maladies dont souffrent les patients, la mise au point d'un traitement ou d'une
méthode diagnostique a-t-elle un sens si les patients n'y ont pas
accès ? Aujourd'hui pourtant, certains traitements sont à
l'origine d'inégalités sociales puisqu'ils demeurent
inaccessibles pour certaines catégories de populations car ils restent
beaucoup trop chers et hors de portée.
Le renforcement au plan international du système des
brevets, censés financer la recherche pharmaceutique, aboutit de fait
à interdire dans une certaine mesure l'accès aux traitements,
notamment des pauvres, ceux qui en ont le plus besoin.
De ce fait on s'interroge sur la légitimité du
droit des brevets dans le champ de l'accès aux soins de santé. Le
droit d'accès aux soins et le droit de la propriété
intellectuelle sont-ils compatibles ? Comment s'assurer que la protection par
brevet des produits pharmaceutiques n'entrave pas l'accès aux
médicaments des personnes vivant dans une situation de
précarité, tout en préservant le rôle joué
par le système des brevets pour stimuler la
recherche-développement concernant les nouveaux médicaments? Tel
est l'énoncé d'un problème qui est apparu récemment
et qui fera l'objet d'un débat majeur sur l'évolution du droit
des brevets pour les prochaines décennies.
Pour notre part, nous essayerons d'aborder quelques-unes de
ces préoccupations à travers le thème : «
L'accès aux médicaments et le droit des brevets »
Mais on peut d'ores et déjà s'interroger sur le
lien qu'il pourrait y avoir entre les brevets et l'accès aux soins?
En fait, l'accès aux produits pharmaceutiques est un
aspect essentiel de l'accès aux soins de santé dans la mesure
où les médicaments sont au centre des méthodes de
diagnostic et de traitement.
Selon les lois nationales sur les brevets des
différents pays, les conditions du marché qui sont
créées favoriseront plus ou moins de concurrence entre les
fabricants de médicaments brevetés et ceux de médicaments
génériques. Une concurrence accrue mène à une
baisse
4 On désigne par cette expression, les baisses
volontaires de prix ou des dons de médicaments de la part des industries
pharmaceutiques
des prix des produits pharmaceutiques, laquelle contribue
à améliorer l'accès aux médicaments et donc
l'accès aux soins. Bien que l'accès dépende de nombreux
facteurs, le prix élevé des médicaments constitue un
obstacle majeur. Pour assurer un accès complet et durable aux
médicaments, il est nécessaire de vaincre cet obstacle. Cela ne
peut être accompli par le seul biais du financement de l'assurance
maladie par l'Etat et de la charité des sociétés
pharmaceutiques4. Les politiques publiques des gouvernements doivent
aussi promouvoir l'accès aux traitements. Dans cette perspective, le
développement des génériques représente un enjeu
important pour la maîtrise des dépenses de santé,
s'agissant d'un secteur (le médicament) dont le coût augmente de
façon importante (+8% en moyenne par an sur les cinq dernières
années).
De surcroît, ces coûts s'annoncent plus
prohibitifs pour les prochaines décennies, notamment en raison de
l'avancée spectaculaire que connaît depuis quelques années
le domaine de la biotechnologie. Avec l'arrivée prochaine sur le
marché de nouvelles thérapies biotechnologiques et
génétiques extrêmement coûteuses, il est capital de
pouvoir garantir qu'il sera possible de gérer les budgets alloués
aux soins de santé, c'est-à-dire d'affecter les moyens financiers
limités aux médicaments les plus efficaces et les plus
économiques au prix le plus intéressant.
La protection des produits pharmaceutiques par le droit des
brevets est donc aujourd'hui un sujet brûlant et mérite de notre
part une réflexion.
Nous essayerons d'aborder les diverses préoccupations
évoquées ci-dessus à travers la législation
française en matière de brevet et d'accès aux soins de
santé. Notre objectif principal est de voir comment le système
français prend en compte dans le droit la spécificité de
la santé (les produits pharmaceutiques) et la place qu'occupe chacun des
droits en question (brevet et santé) dans le système.
Notre analyse pourra commencer dans une première partie
par un état des lieux suivi d'une critique des solutions
apportées en droit au problème que posent les brevets
pharmaceutiques, puis dans une seconde partie nous allons confronter le droit
à la réalité à travers l'hypothèse des
génériques
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