Nature et spécificités de l'entrepreneuriat camerounais( Télécharger le fichier original )par Guy Francis ZAMBO Université de Marne-La-Vallée - Master professionnel AIGEME (Application Informatique à la Gestion aux Etudes, au Multimédia et à l?E-formation) option internet 2006 |
Deuxième partieLA REALITE ENTREPRENEURIALECAMEROUNAISE«La panacée nouvelle du développement africain est arrivée, il s'agit de l'entreprise perçue comme le nouveau vecteur de croissance, le générateur d'emploi, le moteur du progrès socio économique et considérée, de moins en moins, comme le lieu d'exploitation du proléctariat » (Albagli et Hénault ; 1996). Il aura donc fallu attendre comme dans la plupart des pays africain le début des années 1980 pour qu'enfin un réel intérêt soit porté au secteur privé. En effet, suite à la déclaration de Monrovia en 1980 ayant débouché à la mise sur pied en 1980 du plan d'action de Lagos (pal) 9, ainsi que le rapport de la banque Mondiale en 198110, mettant l'accent sur les ressources humaines et les secteurs productifs dans une perspective régionale; la notion d'entreprise privé sera peu à peu mise au centre des politiques économiques des décideurs publics. Le processus bien que très lent va en outre se heurter à un certain nombre de difficultés et une réalité toute particulière au sens de la pratique même de l'entrepreneuriat ; ceci soulevant un certain nombre de question notamment en ce qui concerne la nature, ainsi que les spécificités de cette notion dans un contexte purement Camerounais, en relief avec le vécu socio culturel, économique et politique. 1 0Le rapport Berg de la B.M en 1981 qui insiste sur l'industrie devenue le coeur des politiques de développement mais faisant très brièvement allusion à l'esprit d'entreprise. Il sera donc suivi huit ans plus tard par une autre étude régionale de la BM en 1989 visant à promouvoir l'entrepreneuriat comme outils important à la croissance de l'Afrique au Sud du Sahara. 3 Généralités sur l'entrepreneuriat camerounaisLe rôle des entreprises et surtout des entreprises privés dans le développement et la croissance économique est reconnu depuis longtemps, cependant le Cameroun va connaître entre les années 1984 et 1996 d'importantes transformations politiques et économiques allant du changement du régime politique à la crise économique ainsi que le long processus de privation de ses entreprises publiques conduisant donc à la déstabilisation des bases du pouvoir et la rupture de la trajectoire de croissance bâtie contre 1975 et 1986. Ce pays d'Afrique centrale, d'une superficie de 475 000 Km2 pour une population de 16322000 habitants avec in PIB par habitant (valorisation dollars PPA) de 2 585, une espérance de vie de 45,8 et un taux d'analphabétisation de 23,1 en 200511; a été dans les années 1980 l'un des pays les plus prospères, présente aujourd'hui une économie plus que précaire et très fragile, phénomène dû d'une part aux chocs conjoncturels extérieurs des années 1986 et 1987 (fluctuation des cours du pétrole et produits de rente, baisse de la production pétrolière...) et d'autre part les chocs politiques liés à la succession au pouvoir du président sortant M. Ahidjo par l'actuel président M. Paul Biya. A cet effet, de nombreux programmes de recherche ont été entrepris afin de déterminer les incitations à l'entrepreneuriat privé et les raisons qui poussent certains à tenir le pari entrepreneurial ; il en ressort donc principalement que l'entrepreneuriat du point de vu de sa pratique se présente de façon toute particulière par rapport aux autres contextes économiques et présente des spécificités propre liés tout d'abord à la typologie puis au processus lui-même (section B). Cependant avant toute chose, il serait judicieux de mettre en relief le cadre même dans lequel s'inscrit cette analyse par une présentation brève de l'état et du milieu entrepreneurial (section A). 3.1 L'état du milieu entrepreneurial camerounaisComme il a déjà été mentionné un peu plus haut, le Cameroun présente de nos jours un milieu entrepreneurial quelque peu déplorable, les programmes d'ajustements structurels12 supposés déboucher sur une stabilisation et une restructuration de l'économie ne semble pas avoir abouti a une redynamisation des affaires des entreprises (Owona NGUINI, 1996) notamment privées, dont les initiatives se résument de plus en plus aux seuls secteurs de l'agriculture, de 1 1BAD/OCDE (2005), «Cameroun» dans Perspectives économiques en Afrique 2005-2006, www.oecd.org/dev/publication 1 2Les politiques d'ajustement structurels seront mises en oeuvre dans la période juillet et novembre 1989 sur l'initiative conjointe du FMI / BM et le gouvernement Camerounais. l'élevage, des services et quelque peu l'industrie avec cependant une très forte tendance aux (unité de production informelle (UPI) ou activités économiques non formelles. 3.1.1 Histoire et évolution : du temps de l'import substitution à la recomposition par les ajustements économiques et politiquesL'histoire et l'évolution véritable du tissus entrepreneurial camerounais se situe dans le cours de la période 1982-1996, période marquant en effet l'ébranlement de la formule patrimoniale de régulation politique s'appuyant sur un complexe économique (NGUINI, 1996), conduisant ainsi à la remise en cause du rôle moteur de l'intervention publique. Cette période sera fortement marquée par deux évènements ; l'un orienté vers une transition démocratique et l'autre économique, visant à une réorganisation compétitive de l'économie par le marché avec une forte prise en compte des initiatives privées tant dans le cadre national qu'étranger. La période d'avant 1982 semble quelque peu négligée mais il faut cependant y situer la naissance ou alors la formation de ce tissu entrepreneurial marqué par des évènements majeur, axés dans l'optique de l'incitation à l'entrepreneuriat privé national par des actions telles que : La reforme bancaire de 1973, la mise en place de la CAPME en 1970, du FOGAPE en 1975 et bien d'autre encore malgré la forte dominance des initiative étrangères sur celles nationales. 3.1.1.1 La valorisation étatique de la substitution des importations face à une économie de renteCaractérisée principalement par la position dominante de l'Etat et les grandes ou moyennes entreprises étrangères par rapport au secteur privé national, le développement de l'entrepreneuriat Camerounais s'inscrit dans le cadre d'une valorisation de l'entreprise et des affaires. Laquelle valorisation restera cependant entravée par des obstacles institutionnels, au développement des marchés ; incitant ainsi les différents opérateurs à s'engager dans une activité de recherche de rentes afin de produire des coûts de transaction sur les marchés. La formation d'un tissu entrepreneurial restera donc très limité et inégal (1) et les initiatives nationales d'abord à très forte dominance étatique devront nécessairement passer par un pouvoir d'arbitrage politico-économique et des moyens de parrainage (2) divers pour voir l'émergence de quelques acteurs nationaux sur la scène entrepreneuriale. 3.1.1.1.1 La formation d'un tissu entrepreneurial limité et inégal Un environnement politico-économique pas favorable. La reforme bancaire de 1973 intervient dans le cadre d'un encouragement des initiatives entrepreneuriales nationales. En effet, les opérateurs privés nationaux ne disposaient pas de moyens importants d'investissement pour s'engager dans des activités productives dotées d'un risque élevé et faiblement caractérisé par un retour rapide du capital et une rentabilité immédiate ; l'accès aux crédit à long et moyen terme étant quelque peu difficile voir impossible au détriment de ceux à court terme. Cela montre très clairement les très peu d'intérêt des politiques publiques quand à favoriser la prise élevée de risque dans les activités productives centrées autour de l'industrie manufacturière par des opérateurs privés nationaux qui se voient à cet effet délégués à des activités d'investissement en majorité dans le secteur tertiaire (commerce, transport, immobilier). Les opérateurs nationaux continuaient donc à être dominés par les étrangers dans les filières industrielles et les services et ce n'est que plus tard avec la création de la SNI, véritable holding financier qui a joué un rôle cardinal dans la gestion des prises de participation et des prêts aux entreprises (Owona NGINI, 1996) ; ainsi que la reforme en 1984 du FOGAPE que la tendance semblera s'inverser et le capital étranger passera donc à 39 % soit une nette diminution de 28 % au bout de 11 années. En dépit de tout ceci, on assistera non pas à une prédominance de l'entreprise privée, mais plutôt à la naissance d'un Etat entrepreneur très puissant, l'accès des entrepreneurs privés au ressources financières demeurant tout de même sans réelle amélioration d'où le recours à des circuits émergent de développement décentralisé et informel tel que les tontines. L'émergence des circuits de développement décentralisé et l'expansion de l'industrie Etatique. La phase d'expansion de l'industrie camerounaise que l'on situe généralement entre 1975 et 1986 avec l'arrivée ou alors l'éclosion d'une vaste campagne d'exploitation minière notamment les ressources pétrolières dont l'évolution des recettes allait favoriser la progression de l'industrie de 26,5 % entre 1979 et 1980 va donc voir la naissance de grands projets d'import substitution liés aux entreprises publiques et parapubliques industrielles bénéficiant principalement de l'appui de l'Etat et du système bancaire. Des projets ambitieux vont voir le jour, notamment la CELLUCAM, la SOCAME et bénéficier de très lourds investissements dans le but de permettre une capitalisation productive et constituer ainsi des pôles de croissances et induire des « linkage effects ». Les entreprises publiques et parapubliques engagées dans l'import substitution occupent généralement une position de monopole ou de quasi monopole, faisant appel à des mesures de protection contre les importations avec divers droits d'importation régis par l'UDEAC, les licences d'importation et des mesures non tarifaires comme le contingentement ou des incitations liés au code de l'investissement. Le code des investissement de juillet 1984 s'efforce en fait de créer un contexte de plus en plus favorable à la mobilisation du capital pour le développement des petites et moyennes entreprises nationales, il organise ainsi un régime spécifiques pour les PME et PMI avec des avantages de longue durée ou de durée moyenne par des mesures telles que l'application d'un taux réduit à 5 % des droits de taxes et des équipements industriels locaux, l'exonération de la taxe sur la distribution du crédit, de l'impôt sur les sociétés et des droits d'enregistrement. Axés sur la promotion des PMI et PME ; tout ceci ne suffira cependant pas, car des efforts ne sont pas vraiment pris dans le sens de l'encouragement à la promotion de l'entrepreneuriat privé qui n'a toujours pas accès au grandes activités de production industrielles, secteur qui reste la priorité des entreprises de l'Etat du fait de la nécessité d'investissement lourds et très coûteux. L'entrepreneur privé camerounais face à tout ceci quand à lui ne voit qu'une seule issu ; les circuits de développement décentralisé à l'instar des tontines et établissement de micro finance. les établissements de micro finance quant à eux ne parviennent pas tout de même à fournir des financements à des activités très important, ils sont dotées de conditions très rudes et illicites et ne disposent elles même parfois pas assez de ressources à cet effet. De nombreux entrepreneurs utilisent des tontines comme service de financement. Parfois, le financement primaire provient d'une tontine mais en général de fond de roulement lui provient d'une tontine13. « Les entrepreneurs se lancent en affaire avec des économies personnelles. Très vite ils se rendent compte qu'il faut des ressources supplémentaires pour financer leurs besoins en fond de roulement. N'ayant pas accès au système bancaire, ils s'adressent à la tontine où ils sont presque sûrs de trouver du financement » (G.A. BRENNER, H. FOUDA, JM. Toulouse ; 1990). En fin de compte, la réussite dans le milieu entrepreneurial devait passer par la constitution de relation politiques ainsi que la naissance d'un pouvoir politique d'arbitrage des alliances d'affaire afin de faire face à l'Etat devenu de plus en plus puissant et de pouvoir surmonter ces obstacles institutionnels ou développement des marchés, « c'est pourquoi les différents opérateurs étaient engagés dans une activité de recherche de rente pour réduire les coûts de transactions sur les marchés » (OWONA NGUINI, 1996). 3.1.1.1.2 Le pouvoir d'arbitrage et des alliances d'affaire comme instrument pour la construction d'un environnement entrepreneurial sain et équitable Face à un Etat devenu trop puissant, les dépenses publiques d'investissement devraient donc en effet jouer un rôle central dans l'optique de stimuler la demande et produire des effets d'externalités positives au bénéfice des entreprises nationales ou étrangères. Les PME /PMI occupent une place centrale dans la version du code des investissements révisée en 1984 permettant ainsi la formulation d'une optique élargissant leur champ, de manoeuvre au delà de l'espace occupé par des grandes entreprises étatiques nationales et étrangères ; le régime de PME sera ainsi privilégié et inscrit dans un cadre politico juridique dénommé « régime C ». Le régime C Axé principalement sur la promotion des PME et l'implication effective des entrepreneurs nationaux dans le monde des affaires camerounais, « le régime c » s'inscrit dans un cadre politique et juridique visant à intensifier le développement des affaires à travers les PME. Il suppose donc que l'agrément au régime des PME passe par la condition de détention par les investisseurs nationaux d'une part du capital social d'au moins égale à 65 %, les entrepreneurs nationaux vont donc bénéficier d'un accès privilégiés et protégé au monopole de capital jusqu'ici donné par les grandes entreprises étrangères. A cette condition de détention d'une part importante de capital social, sera ajoutée celle de la création d'emplois relativement modernes et un niveau d'investissement inférieur à 500 millions de franc CFA. L'appel à l'opération des arbitrages au profit des PME dans l'optique de la favorisation de leurs gains d'activité productive est une initiative lancé par le Président Paul Biya par la convocation en septembre 1983 du CES ; en effet, les banques pratiquent une discrimination dans l'octroi de crédit, aux entreprises de production agricole, aux PME, préférant financer la commercialisation des produits d'exportation14. Les opérateurs économiques nationaux seront donc dès lors associés aux grands projets de société des pouvoirs politiques et on assistera peu à peu à la naissance de la toute première génération d'entrepreneurs nationaux tels que Joseph Kadji DEFOSSO, Hassa TANKO et Daniel NANGA AWAH qui seront insérés dans la classe d'actionnaire des grandes unités de production camerounaise comme la CAMSUCO, la SCS, la STPC aux côtés d'entreprises multinationales comme le groupe GMP, HOBUM AFRICA ou les Tanneries Paul Vaillant ( NGAYAP.P.F, 1983). 1 4CES, Rapport sur les problèmes de distribution du crédit, YAOUNDE, 1984, p.56 Le patronage et le parrainage politique. Les années 1975-1986 en effet marquent une période assez faste dans l'histoire de l'entrepreneuriat au Cameroun mais cependant fort est à noter que les écueils sont nombreuses, les démarches et processus de création d'entreprises s'avèrent fort complexes ; les Etats africains en général sont très puissant et par conséquent cherchent de façon proactive, à favoriser l'éclosion de l'initiative individuelle et de l'esprit d'entreprise par des politiques incitatives protéiformes (Albagli et Hénault, 1996). Le renforcement des moyens de patronage et de parrainage politique des affaires par la bureaucratie étatique camerounaise intervient dans le contexte de cette trajectoire de croissance des années 1975-1986 mais cependant il reste à noter que cette pratique n'est pas du tout nouvelle, ainsi la première tentative remonte aux années 60 où l'utilisation des pratiques de patronage par l'ex Président M. Ahidjo visait principalement une reconstruction des liens d'échange politique. « M. Ahidjo, son ministre Victor Kanga et l'administration ont facilités pour des raisons politiques, la progression économique des commerçants Bamiléké en fermant les yeux sur de nombreuses irrégularités commerciales, fiscales et douanières »15. Les politiques de patronage et le parrainage passe par l'utilisation des ressources d'accumulation apportée par la rente agricole et pétrolière afin de définir les conditions institutionnelles de fonctionnement des activités productives ou distributives des petites moyennes et grandes entreprises. Elles ne se limiteront pas seulement aux entreprises nationales mais feront plutôt l'objet d'une forte implication des grandes entreprises étrangères. Ainsi l'économie pétrolière et le secteur du bâtiment et travaux public furent organisés comme des oligopoles définis autour d'entreprises, multinationales telles que ELFAGUOTAINE, SHELL-PECTEN, MOBIL-OIL et CEP pour l'économie pétrolière ; tandis que le secteur des BTP sera l'affaire d'entreprises comme dragage (filiale du groupe Bouygues), les grands travaux de Marseille, Razel, SATOM et COGEFAR. Le patronage et le parrainage politique dans le milieu entrepreneurial camerounais repose essentiellement sur un ensemble d'alliances politiques et d'un certain nombre de règles d'affinités liées tant à l'appartenance tribale qu'aux cercles politiques ; ces alliances politicoéconomiques bénéficient beaucoup plus d'une insistance ou alors une visibilité lorsqu'elle concerne les patrons camerounais présent dans les instances comme le CES, le comité central de L'UNC ou la chambre de commerce, l'Industrie et des Mines. La sphère économique camerounaise est alors transformée en une multitude de réseaux d'accumulation qui vont être déstabilisés suite à des luttes politiques et économiques liés à la crise de succession 1 5BAYART Jean François, L'ETAT AU CAMEROUN, Paris : FNSP, 1985, p.227-228 présidentielle de 1982-1984 entraînant ainsi l'échec des pratiques de parrainage politique et enfin de compte une redéfinition des rapports entre l'Etat et l'entrepreneur. L'économie camerounaise allait donc sombrer dans un chop avec l'arrivée de la crise économique suivie d'une période de très faible niveau d'activité économique débouchant sur la dynamique des ajustements structurels et son corollaire la privatisation, pris dans l'acception la plus large de terme, poussant la fonction publique à se tourner de façon quelque peu défensive et réactive, vers la création d'entreprises privées afin de chercher à régler les problèmes d'emplois posés par les « déflatés » et le nombre sans cesse croissant d'étudiants qui sortent des universités(ALBAGLI et HENAULT, 1996). |
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