Une approche socio-historique de la violence au XIXème siècle: le cas d'une conspiration à Lyon en 1817( Télécharger le fichier original )par Nicolas Boisson Université Pierre Mendès France Grenoble - Master recherche 2008 |
III-2.3 La sévérité des condamnations : les nouvelles dispositions pénales au regard de la justice des conspirationsLa procédure et les condamnations de la Cour prévôtale s'étendirent jusqu'au mois de septembre 1817, du fait de la division du travail judiciaire pour chacune des onze communes rurales de la périphérie de Lyon. La Cour se déplaça donc de communes en communes pour prononcer de lourdes condamnations des troubles du 8 juin. Revenons brièvement sur l'historique et le bilan de ces condamnations. Les premières condamnations et exécutions furent décidées le 14 juin 1817, soit à peine une semaine après les premières arrestations, ce qui laisse sceptique quant à la mesure des décisions de la justice prises en si peu de temps. Le 14 juin au matin, la Cour, réunie dans la grande salle de la prison de Roanne, condamne à mort deux inculpés qui seront exécutés le soir même. La Cour se déplaça ensuite dans les communes rurales où elle décida d'autres condamnations à mort. Le 19 juin, une exécution a lieu à Quincieux ; le 24, une à Brignais ; le 31, trois à Saint-Andéol ; le 5 juillet, une à Charnay ; le 18 juillet à Saint-Genis Laval, celle du capitaine Oudin et celle du jeune Dumont, l'enfant de seize ans, qui, un pistolet à la main, avait sommé le curé d'Irigny de crier : « Vive l'Empereur ! ou je te tue. ». A la fin de son instruction, la Cour retint 155 inculpations. La procédure ne se termina réellement dans les campagnes que le 4 septembre 1817. Au total, la Cour aura prononcé 23 condamnations à mort, dont 11 furent exécutées, une commuée, et 11 rendues par contumace ; 4 condamnations aux travaux forcés ; 24 condamnations à la déportation, dont 10 par contumace ; 39 condamnations à la détention ou à des peines d'emprisonnement correctionnel. Au total, il y eut 79 condamnations sur 118 individus traduits en jugement329(*). Ces exécutions publiques marquèrent profondément les populations des communes concernées. Georges Ribe rapporte : « L'étalage des exécutions ajouta à l'horreur des condamnations. La guillotine, « le fatal tombereau » peint en rouge, fut transportée de village en village. Certains condamnés furent exécutés devant leurs maisons, là-même où habitaient leurs proches. Tel fut le cas de Dumont, exécuté devant la maison de sa mère. Celle-ci fut par la suite, invitée à payer les frais causés par la présence du détachement chargé de veiller à l'exécution de son fils. De même, à Saint-Genis-Laval, le capitaine Darillon, qui commandait le peloton, excita ses hommes en état d'ivresse à dépouiller et mutiler le cadavre du capitaine Oudin... »330(*). Ces communes se souviendront pendant longtemps de la violence des décisions de la Cour prévôtale quant à une affaire dont l'instruction fut expéditive, notamment en assimilant dés le début les séditions à un complot plus vaste visant à renverser la couronne. Georges Ribe note à ce sujet avec raison : « Par correspondance, les localités, où la répression de la Cour prévôtale fut sanglante, restèrent pendant tout le cour du XIXème siècle, des villages rouges. L'esprit public, déjà si hostile aux Bourbons dans les campagnes, se renforça de toute cette haine accumulée par la randonnée de la guillotine durant l'été 1817. »331(*). Pour ce qui est de la ville de Lyon, où les troubles furent moindres bien qu'ils y prenaient dans cette ville leur origine, les prévenus de cette ville furent délibérément jugés en dernier. En effet, la Cour prévôtale basait son accusation sur la conviction d'un complot unique avec pour centre Lyon, mais aux ramifications dans les onze communes rurales en insurrection. Dés lors, les enquêteurs voulaient réserver pour la fin le jugement des accusés lyonnais afin de mieux connaître le centre et les ramifications de la conjuration332(*). De plus, les arrestations des rebelles lyonnais avaient tardé, ce qui explique que la Cour prévôtale de Lyon ne rendit son jugement que début novembre 1817. Il nous faut à présent poser la question de la légitimité de la Cour prévôtale à avoir jugé ces troubles du Rhône sous le chef d'accusation de « complot ». Pour nombre de contemporains de l'affaire du 8 juin 1817, nous rappelle Georges Ribe, les rebelles mis en causes n'auraient pas dû, au premier abord, être traduits devant une Cour prévôtale333(*). Ainsi, le ministre de la Justice lui-même, Pasquier, avouera dans ses Mémoires, l'erreur qui fut de laisser la Cour prévôtale jugeait des faits sous le motif de « complot ». Pasquier écrit : « On avait la prétention d'établir un complot. La faute était grande, car on sortait la Cour prévôtale de ses attributions, qui aux termes de la loi ne devaient s'exercer que sur une certaine nature de faits, parmi lesquels ne se trouvait pas le complot. »334(*). Ceci explique le fait que dans ses arrêts, elle emploie plus le terme de « réunion séditieuse », pour légitimer son recours, mais elle appuie la sévérité de ses condamnations sur sa conviction de l'existence d'un « complot » sous-jacent. La Cour suivait donc les dispositions de la loi de 1815, qui, si selon Georges Ribe, ne lui accordait pas de compétences en matière de complot, la chargeait de la répression des actes de réunions séditieuses et d'organisation de bandes armées335(*). Ce qui pose problème est donc cette notion de « complot » et le manque de preuve de réelles tentatives d'assassinats d'autorités politiques ou morales par les insurgés. Ainsi, par exemple, le cas du jeune Dumont, gamin de seize ans condamné à mort pour avoir menacé un curé, sans aucune preuve que le pistolet fut chargé et qu'il contraignit le curé à crier son amour pour Napoléon. Georges Ribe rapporte d'ailleurs le mépris du procureur du Roi à l'encontre de Dumont, qui justifiait sa condamnation par sa condition familiale : « Pierre Dumont appartient d'ailleurs à une famille exécrable, c'est de quoi nous nous sommes informés en termes positifs, par les autorités locales : son affreuse perversité est sans doute le fruit des exemples que ses parents lui donnèrent et l'application de la loi qui le frappe préviendra de nouveaux crimes qu'il ne manquerait pas de commettre. »336(*). On ne peut qu'être consterné face à ces propos qui reflètent bien tout le caractère politique, Dumont fut considéré comme un danger pour la société du fait de son origine modeste, d'une justice partiale. De même, très souvent les prévenus furent condamnés pour des faits que l'acte d'accusation ou le réquisitoire ne mentionnaient même pas. Ainsi Camille Jordan stigmatisa cette illégalité judicaire : « Les actes d'accusation, écrivait-il, enveloppant plusieurs individus à la fois, oubliaient de détailler les délits et les faits pour lesquels chacun d'eux était spécialement accusé, et se bornaient à parler de vagues participations à un attentat ou à un complot, sans définir cette participation à des faits bien caractérisés, sans daigner expliquer ce caractère. »337(*). Mais surtout, la Cour ne respecta pas deux articles du Code pénal (articles 100 et 203), qui énonçait à propos des attroupements séditieux « qu'il ne soit prononcé aucune peine contre ceux qui ayant fait partie de ces bandes, sans y exercer aucun commandement, sans y remplir aucun emploi ni fonction, se seront retirés au premier avertissement des autorités, ou même depuis, lorsqu'ils n'auront été saisis que hors des lieux de la réunion séditieuse, sans opposer de résistance et sans arme. »338(*). Effectivement, la majorité des prévenus avaient été enrôlés, n'étaient que de simples exécutants, et surtout n'opposèrent pas de résistance aux forces de l'ordre. Georges Ribe précise que pour pallier à ces articles du Code pénal, la Cour assimila la plupart des accusés à des chefs, d'où le nombre importants de condamnations à mort ou à de lourdes peines339(*). Ce refus d'appliquer ces articles se solda par la décision arbitraire de condamnations à mort de nombre d'insurgés qui auraient dû être condamné à la déportation à ou à des peines d'emprisonnement. Cet argument juridique fut grandement repris par les « modérés » comme Camille Jordan et le colonel Fabvier dans leur critique du traitement juridique de l'affaire. La Cour n'avait pas travaillé selon des méthodes entièrement conformes à l'état des lois. Ce qui explique peut-être le fait que les Cours prévôtales disparaîtront en 1818... Ces condamnations firent donc le bonheur des ultras du Rhône alors qu'elles suscitèrent l'indignation populaire et la désapprobation des « modérés », constitutionnels et libéraux, qui étaient presque sommés de taire leurs critiques. Ainsi Camille Jordan, toujours dans La Session de 1817, écrivit au lendemain des arrêts de la Cour prévôtale : « Il fallait presque, en certains lieux, témoigner, sous peine d'être jugé favorable au désordre, une admiration sans réserve, pour la salutaire énergie de la Cour prévôtale. »340(*). Terminons enfin ce point sur les condamnations de la Cour prévôtale du Rhône en 1817, en observant l'évolution de la pénalisation du crime de « conspiration ». Comme nous l'avons déjà fort bien montré précédemment, le complot est une préoccupation politique omniprésente pour les autorités durant ce premier quart du XIXème siècle. Dés lors, il trouve très tôt dans le droit la traduction de sa répression juridique comme crime contre l'Etat et ses représentants. La répression du complot politique ne remonte donc naturellement pas à la période de la Restauration. L'histoire de la lutte contre le complot débute avec celle de l'organisation du pouvoir, en familles, en clans, puis sous la forme de l'Etat. Gilles Malandain, dans son article précédemment utilisé sur la prévention et la répression du complot au début du XIXème siècle341(*), retrace l'histoire des évolutions de la notion juridique de complot et des peines qui lui sont associées342(*). Sous l'Ancien Régime, le droit ancien définit le complot comme un crime de lèse-majesté, un crime aussi déjà perçu comme un attentat contre la sûreté de l'Etat, méritant donc les punitions les plus sévères. La Révolution française, et notamment la période de la Constituante, vont élargir et moderniser la définition juridique du complot, en le définissant comme une attaque envers la « chose publique », comme « un crime et un attentat contre la sûreté intérieure de l'Etat ». L'avancée, si l'on peut dire de la Révolution quant à la définition juridique du complot politique, est qu'elle va faire de sa dimension originelle d'atteinte à l'Etat, une volonté conjuguée d'atteinte à la société, et même au citoyen lorsque le complot vise le corps législatif. Cependant c'est le code napoléonien de 1810 qui va le mieux préciser le domaine juridique du complot politique, en opérant un certain retour à une conception autoritaire et individualisée, voire personnalisée, de l'Etat. Le domaine du complot est à nouveau restreint à la sûreté intérieure de l'Etat ou de ses représentants. La défense des libertés politiques et de la représentation nationale n'est plus évoquée comme argument juridique de répression du complot, alors que c'était le cas dans le code pénal de 1791. On observe, toujours selon Gilles Malandain, un retour en 1810 de l'incrimination de « non révélation de complot » qui avait été abandonnée par la Constituante343(*). La priorité du droit pénal s'affirmant au XIXème siècle est donc la protection de l'Etat, avant celle des personnes et des biens. Le code napoléonien de 1810 confond l'Empire, son Etat et l'Empereur. Dés lors, toute atteinte envers l'une de ces entités revient à attaquer l'ensemble, et donc doit être punie comme un crime de lèse-majesté, par la mort et la dépossession des biens de son auteur. Comme le note ainsi Gilles Malandain : « Plus que jamais donc, l'Etat, par le code pénal, se défend d'abord lui-même au nom de la défense sociale. »344(*). Cette sacralisation moderne de l'Etat et de sa société légitime toutes sortes de dérogations aux règles générales du droit commun, dés que leur conservation est menacée. Gilles Malandain rappelle ainsi le rajout de peines a celle de la peine de mort en cas de complot, comme la confiscation des biens. Mais surtout cette extrême pénalisation du complot se manifeste dans l'assimilation par la justice, de la tentative au crime consommé, le refus de tout cas d'irresponsabilité345(*). Gilles Malandain résume ainsi la conception juridique moderne du complot : « Le complot est donc une incrimination à « caractère exceptionnellement préventif » : la sûreté de l'Etat justifie de réprimer comme crime constitué le seul projet de commettre ce crime, dés lors qu'il a été « concerté et arrêté » à plusieurs...et même la simple proposition de concertation en ce sens. »346(*). On retrouve tout à fait sous la Justice de la Restauration cette même logique d'assimilation de l'intention à l'action, du projet à sa mise en oeuvre... Une logique juridique qui légitime des peines capitales prononcées envers des individus n'ayant pourtant pas pris directement part à l'activation du complot politique. La répression du complot passe par une forme de « prévention » de sa naissance, en l'avortant en prouvant qu'il y avait intention arrêtée de le commettre. Gilles Malandain évoque ainsi l'apparition de la notion juridique de trajectoire criminelle du comploteur qui serait porté par son projet vers l'attentat347(*). Cet élargissement pénal de la notion de complot a donc depuis 1810 ouvert la voie à des dérives de la justice vers une pure et simple répression politique du complot. La Restauration n'a naturellement pas remise en cause les dispositions pénales de 1810, la Charte, dans son article 33 ayant même institutionnalisé une juridiction exceptionnelle en matière de sûreté de l'Etat, la Chambre des pairs constituée en haute cour. La dénonciation de cette justice aux ordres du pouvoir ne prendra de l'ampleur qu'avec la montée des voix de l'opposition libérale. Ce sera, suite au tournant réactionnaire du régime de Louis XVIII en 1820, la voix notamment de François Guizot, qui avec son pamphlet Des Conspirations et de la justice politique, en 1821, analysera l'usage partisan de l'action judicaire, déformant la notion de complot pour incriminer toute divergence d'opinion avec le régime. Nous avons pu présenté quelques critiques immédiates, ou suivant de peu de temps l'affaire, énoncées par des voix « modérés » envers la justice de ces événements de juin 1817, et notamment envers le travail de la Cour prévôtale. Après les voix de Sainneville, Fabvier ou de Camille Jordan, essayons de présenter sommairement une analyse critique plus globale de cette justice politique des conspirations sous la Restauration à partir de la plume de François Guizot. * 329 Ces chiffres sont ceux de Georges Ribe, « L'opinion publique et la vie politique à Lyon... », op.cit, p.251, 252 et 253. * 330 Georges Ribe, op.cit, p.253, 254. * 331 Georges Ribe, op.cit, p.254. * 332 Le lecteur trouvera en annexes, document 9, le jugement concernant la ville de Lyon, « Cour prévôtale de Lyon. Jugement des vingt-huit conspirateurs. », 2 pages, découvert au sein des Archives départementales du Rhône, dossier 4 M 206. * 333 Voir Georges Ribe, op.cit, p.250. * 334 Pasquier, Mémoires, p.176, t.IV, cité par Georges Ribe, op.cit, p.251. * 335 Voir sur ce point, à nouveau Georges Ribe, op.cit, p.251. * 336 Le procureur du roi à propos du jeune Dumont, cité par Georges Ribe, op.cit, p.252. * 337 Camille Jordan, La Session de 1817, cité par Georges Ribe, op.cit, p.252. * 338 Cité par Georges Ribe, op.cit, p.252. * 339 Voir Georges Ribe, op.cit, p.252. * 340 Camille Jordan, La Session de 1817, cité par Georges Ribe, op.cit, p.254. * 341 Gilles Malandain, « Voir dans l'ombre. Prévention et répression du complot au début du XIXème siècle », 18 pages, in Frédéric Monier (textes réunis par.), Complots et conspirations en France du XVIIIème au XXème siècle, op.cit, p.55 à 73. * 342 Le lecteur trouvera en annexes, document 10, quatre tableaux définissant le complot et les peines associées, successivement dans le droit ancien, dans le code pénal de 1791, dans le code pénal de 1810 et dans le code pénal de 1992. Ces tableaux sont extraits de l'article de Gilles Malandain, « Voir dans l'ombre. Prévention et répression du complot... », op.cit. * 343 Voir Gilles Malandain, op.cit, p.59. * 344 Gilles Malandain, op.cit, p.62. * 345 Voir toujours Gilles Malandain, op.cit, p.63. * 346 Gilles Malandain, op.cit, p.64. * 347 Gilles Malandain, op.cit, p.64. |
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