Une approche socio-historique de la violence au XIXème siècle: le cas d'une conspiration à Lyon en 1817( Télécharger le fichier original )par Nicolas Boisson Université Pierre Mendès France Grenoble - Master recherche 2008 |
III-2.4 L'analyse de François Guizot et son Des Conspirations et de la justice politiqueCommençons d'abord par présenter rapidement le personnage348(*). François Guizot est né à Nîmes en 1787. Originaire de la bourgeoisie protestante, Guizot fut souvent décrit comme un homme ascétique, orgueilleux et autoritaire, mais d'une grande érudition. Guizot fut d'abord avant tout un historien avant de devenir homme politique. Il entre comme professeur à la Sorbonne à 25 ans, deviendra négociateur à 28 ans. Durant les Cent-Jours, il suit Louis XVIII à Gand et devient l'un de ses conseillers les plus influents. Peu après, il devient secrétaire général du ministère de l'Intérieur, puis conseiller d'Etat. Guizot se rallie à cette époque au groupe des doctrinaires, que nous avons présenté précédemment. Guizot devient au sein de ce groupe, l'un des plus partisans de la doctrine du « juste milieu ». Cette doctrine défend le respect de la Charte, et théorise l'avènement et le gouvernement de la classe moyenne. Mais précisons-le d'emblée, la classe moyenne qu'évoque Guizot, est située entre l'aristocratie et le peuple, composée d'hommes déjà fortunés, libérés des contraintes matérielles, intellectuellement équilibrés, éloignés des préjugés de caste de l'aristocratie mais aussi du simplisme populaire. Guizot prophétise ainsi à travers la classe moyenne, l'avènement d'une oligarchie industrieuse, dont la mission serait non seulement de relever l'opinion, mais aussi de gouverner selon la raison, et d'administrer libéralement349(*). Guizot se rapprochant de plus en plus de l'opposition suite au durcissement du régime, est démis de ses fonctions et voit son cours à la Sorbonne sur les institutions de France fermé de 1822 à 1828. Il continue à s'exprimer par le biais d'articles dans Le Globe, préside la société libérale « Aide-toi, le ciel t'aidera ». Député à la Chambre en 1830, il se prononce contre les ordonnances de Juillet et contribue ainsi puissamment à faire éclater la révolution de 1830. Pourtant, Guizot participe ensuite activement à la nouvelle « monarchie bourgeoise ». Satisfait du nouveau régime qui repose sur la Charte « amendée », il est nommé ministre de l'Intérieur (1830-1831), puis ministre de l'Instruction publique (1832-1837). Par la suite, il deviendra ministre des Affaires étrangères (1840-1847), puis président du Conseil (1847-1848). Plus le temps passera, et plus Guizot affirmera une doctrine de plus en plus conservatrice, avec notamment sur la question du droit de vote, un refus de la transformation du régime censitaire selon l'argument que plus le niveau des revenus s'élevant, plus le nombre d'électeurs croît. D'où le sens de sa fameuse formule : « Enrichissez-vous ! ». Guizot incarne ainsi un libéralisme bourgeois, voire conservateur. En effet, plusieurs de ses lois auront favorisé la riche bourgeoisie industrielle (lois sur les mines en 1838, lois sur l'organisation des chemins de fer en 1842), mais retenons aussi les avancées sociales qu'il aura permises avec sa réforme de l'enseignement primaire de juin 1833, qui décida de la création d'une école publique élémentaire dans chaque commune et d'une école normale primaire dans chaque département. Les détracteurs de François Guizot rappellent cependant que ces dernières mesures ne profitèrent qu'à la bourgeoisie, du fait que l'école ne devint pas encore gratuite et obligatoire. L'insurrection de février 1848 entraîna la chute du régime et l'exil de François Guizot à Londres. Il revint en 1849, mais ne parvint pas à revenir dans la vie publique. Désormais simple observateur, il se consacra à ses travaux historiques jusqu'à sa mort en 1874. Nous pouvons à présent aborder l'analyse de François Guizot de la question du traitement politique et judiciaire de la question du phénomène des conspirations, au travers de son pamphlet Des conspirations et de la justice politique350(*) (1821). Guizot écrit ce pamphlet au lendemain de l'assassinat du duc de Berry, le 13 février 1820. Il est contemporain aussi de notre affaire, une parmi tant d'autres, de conspiration à Lyon du mois de juin 1817. De plus, en août 1820, le royaume échappe aussi de peu à la conspiration de l'Union de Joseph Rey. En bref, le sujet de ce texte lorsqu'il paraît, est particulièrement d'actualité, et sources de polémiques et d'affrontements entre modérés et ultras. Lorsque Guizot fait paraître ce texte, il est déjà en opposition au gouvernement de Richelieu, et surtout à la politique des ultras. Partisan affiché de la monarchie constitutionnelle, ou plutôt selon la Charte, Guizot écrit ce texte avec à la fois l'expérience politique de l'homme d'Etat, il a déjà été à cette époque secrétaire générale du ministère de l'Intérieur et conseiller d'Etat, et la réflexion aboutie du professeur de la Sorbonne, attelé encore pour le moment à l'analyse et l'enseignement des institutions de la France. François Guizot, dans ce pamphlet de 75 pages qui sera suivi d'un autre poursuivant sa réflexion : De la peine de mort en matière politique (1822), essaye d'éclairer le sens politique du phénomène des conspirations, en remettant en cause le traitement judiciaire qui leur est réservé, sans pour autant, insistons sur ce point, défendre ces modes d'action politique clandestins. Nous nous ne livrerons pas ici à une analyse du Des conspirations et de la justice politique de Guizot, mais essayerons d'en extraire les réflexions principales faisant le plus écho à notre affaire du 8 juin 1817. Guizot part du constat de la multiplication du phénomène des conspirations et montre comment celles-ci sont le révélateur des dysfonctionnements du mode de gouvernement de son époque. Olivier Ihl résume parfaitement ce que révèle ce constat de Guizot : « Voilà ce que la fréquence des conspirations viendrait attester : un défaut majeur de l'organisation des pouvoirs publics. »351(*). Guizot condamne la conspiration mais ne peut se résoudre à accepter la lourdeur des condamnations, comme la peine de mort, qui lui sont affectées. Mieux que de punir cet acte répréhensible, Guizot invite le gouvernement à le prévenir, en s'orientant vers « un gouvernement des esprits », c'est-à-dire comme le précise Olivier Ihl avec : « les bases d'une légitimité fondée sur la compréhension et la conquête de « l'opinion publique ». »352(*). Guizot théorise déjà en visionnaire l'impératif pour l'Etat de légitimer son action publique, en amenant « l'intelligence et la science » au coeur du gouvernement de la société. On devine déjà le futur ministre de l'Instruction publique, dans ces propos qui placent en réalité l'éducation comme le meilleur rempart aux projets de complots contre un gouvernement qui se « fondant » mieux dans la société qu'il gouverne, serait alors plus à l'abri de ce type de périls. Mais illustrons dés à présent la pensée du « juste milieu » de François Guizot par ses propres propos, extraits de son Des conspirations et de la justice politique. Guizot, dés le premier chapitre de l'ouvrage, expose le but son écrit. L'objet de celui-ci est d'avertir l'opinion et surtout le pouvoir, de la menace qui pèse sur l'exercice de la justice, de tomber peu à peu sous l'emprise de la politique. Le phénomène de la justice réservée aux conspirations est l'exemple typique de cette dangereuse tendance. Au passage, Guizot veut affirmer qu'il s'exprime dans ces lignes librement, à l'écart de tout engagement de situation ou de parti. Guizot interpelle donc le lecteur : « De grands périls nous assiègent ; des périls plus grands nous menacent. Il en est un dont tous les esprits sont frappés, mais dont nul peut-être n'a encore mesuré toute l'étendue; je veux parler de la justice près de tomber sous le joug de la politique. (...) Je prie donc ceux qui pourront me lire d'oublier, comme je le ferai moi-même, tout engagement de situation ou de parti. »353(*). Guizot rappelle le phénomène inquiétant des complots et conspirations, se multipliant sous la Restauration et entraînant les gouvernements vers de graves dérives politiques. Guizot note : « Un seul genre de crime et de poursuites me préoccupe. Dés que les partis sont aux prises, on entend parler de conspirations et de complots. Nous n'avions pas besoin qu'une nouvelle expérience nous l'apprît. Elle ne devait pas nous être épargnée. Elle est complète en ce moment. Jamais, depuis la Restauration, les actes ou les accusations de cette sorte n'avaient été si multipliées et si graves. »354(*). Face à ce constat de conspirations ou de complots venant déstabiliser l'Etat mais aussi la société dans son ensemble, Guizot prétend que la meilleure garantie pour prévenir ces troubles est d'inculquer au citoyen, l'amour de l'ordre, le respect des institutions, le sentiment patriotique...autant de « bonnes passions » promptes à garantir la pérennité du royaume. Car, ne l'oublions pas, Guizot reste un monarchiste, certes modéré. L'impératif selon Guizot est donc en ces années de troubles, de veiller au maintien des limites établies entre Justice et Politique, veiller à ce que la justice ne devienne pas politique. Ainsi, Guizot démontre que le problème des conspirations révèle un problème plus grave qu'est celui de l'état de la société et de son gouvernement. Guizot l'affirme clairement : « Le nombre et la fréquence des conspirations attestent le mauvais état de la société, ou la mauvaise conduite du gouvernement, ou l'un et l'autre ensemble. »355(*). Pour y remédier, comme nous l'avons déjà évoqué, Guizot propose une « science du pouvoir », qui amènerait le pouvoir à traiter de manière rationnelle et mesurée les questions des violences de la société à son égard. Guizot voit plusieurs raisons au mécontentement des gouvernés. Citons les deux principales : l'indifférence des gouvernants envers les gouvernés et l'apparition de « meneurs », de porte-voix des mécontents, qu'il faut continuer de surveiller. Car « tout gouvernement mauvais est susceptible de devenir le théâtre des conspirations et des complots »356(*). Cependant, ces maux que sont les conspirations et les complots ne doivent être prétextes aux usages incontrôlés de la force par le pouvoir. Guizot affirme même courageusement un phénomène que nous avons pu vérifier avec notre conspiration lyonnaise du 8 juin 1817 : « La politique est asservie par la police, et la justice envahie par la politique. »357(*). Guizot reconnaît que la conspiration est un crime particulier parce qu'il s'agit d'un délit politique. Ce que reproche Guizot à la justice de son temps, lors de procès de conspirateurs, est sa procédure relative à ces troubles, désignant fréquemment des accusés sous le concept des faits généraux. Ainsi, Guizot illustre l'irrationalité et donc le caractère scandaleux de cette technique, lorsqu'il évoque l'affaire de Lyon en 1817. Guizot écrit : « On parlait d'une faction ardente à renverser le trône, d'une conspiration permanente qu'il fallait à tout prix déjouer...Mais ce n'était là que de la politique. Les partis se renvoyaient l'un à l'autre ces épithètes de factieux et de conspirateurs. Il ne s'agissait d'aucun fait particulier, d'aucun individu. »358(*). Guizot prend donc ainsi une certaine distance envers les affrontements politiciens qui résultèrent de cette nouvelle affaire de complot, entre ultras d'une part et constitutionnels et libéraux d'autre part. Guizot met ainsi en évidence le dangereux envahissement de la justice par la politique. Un Guizot assurément visionnaire, qui montre notamment du doigt l'usage dérégulé de la technique de la provocation policière, si courante à l'époque, comme nous l'avons vu. Guizot interpelle le lecteur : « Or si, l'espionnage est nécessaire, qui osera le dire de la provocation ? Qui soutiendra que la nécessité de découvrir le crime donne le droit d'aller en chercher le germe au fond des coeurs, de le couver, de le faire éclore ? Le pouvoir s'arroge t'il donc la mission de Satan ? »359(*). Guizot va même jusqu'à avoir le courage de relier le nombre et la fréquence de ces conspirations avec l'usage trop répandu de ces techniques de provocation policière. Guizot est pourtant optimiste quant à l'avenir de ces techniques de provocation. Il affirme : « Les provocations seront bientôt supprimées. »360(*). Mais ce que dénonce le plus Guizot dans ce pamphlet est la procédure judiciaire adopté lors de ces procès pour conspirations. Guizot regrette que les tribunaux jugent seulement l'événement comme une atteinte à la sûreté de l'Etat, et ne considèrent en aucune mesure les conjurés en tant qu'individus, hommes ou femmes, agissant selon des motifs propres. Guizot développe ainsi une réflexion essentielle sur les rapports de l'Etat avec ses administrés, et à plus forte raison ses justiciables. Pour Guizot, cette justice politique : « prouve alors que la société et le pouvoir ne vivent pas ensemble. Quoi de plus fatal que l'isolement pour le gouvernement ? »361(*). Guizot montre même que c'est cette indifférence du pouvoir pour ses sujets, qui les poussent à comploter dans des périodes de graves crises politiques et économiques. Dés lors, Guizot insiste sur le fait, que pour réunir à nouveau le pouvoir et son peuple, la justice, seulement guidée par l'esprit de la Charte, redevenue alors exemplaire, pacifierait la société. En sorte, si la justice est bien rendue, équitablement, alors le peuple obéira, se conformera aux volontés de la Charte. Et Guizot termine ainsi son pamphlet en se remettant à la providence : « Si le principe (l'iniquité, l'indifférence) continue d'agir, le mal se perpétuera, et ses conséquences se développeront. Que la Providence en préserve la France et la monarchie ! »362(*). Retenons donc que François Guizot, dans le même esprit que Camille Jordan, met parfaitement en lumière les situations de dérives politiques de la justice qu'offrent aux ultras les affaires de conspirations. Loin de défendre le recours au complot, Guizot montre d'avantage comment il révèle l'impasse toujours plus avérée que rencontrent les différents gouvernements de Louis XVIII face à la politisation de l'événement par les ultras mais aussi dans un certain sens par les libéraux. Guizot en appelle à l'expérience, à la mesure, et donc au retour aux principes fondamentaux de la Charte selon lui, afin de réconcilier le peuple avec sa Justice. C'est là l'opinion d'un monarchiste constitutionnel, d'un modéré, mais il m'apparaît aussi essentiel de rappeler que face à un régime marquée par une réaction si pesante, caractérisée par un certain ordre moral et policier, le complot peut apparaître comme une forme légitime de violence émancipatrice. * 348 Cette notice biographique est réalisée à partir de Jean-Louis Voisin (dir.), Dictionnaire des personnages historiques, Encyclopédies d'aujourd'hui, collection Le livre de poche, La Pochothèque, 2001, 1166 pages, voir p.461. Et à partir de Marcel Prélot, Georges Lescuyer, Histoire des idées politiques, Dalloz, 13ème édition, 1997, 702 pages, voir p.382, 383 et 384. * 349 Voir Marcel Prélot, Georges Lescuyer, Histoire des idées politiques, op.cit, p.383, 384. * 350 J'ai travaillé sur l'exemplaire de la bibliothèque municipale de Lyon Part Dieu, fond ancien, François Guizot, Des conspirations et de la justice politique, 3ème édition, 1821, 132 pages, cote SJ IF 436/52. Par ailleurs, j'ai complété cette lecture par celle de l'article d'Olivier Ihl consacré à cet ouvrage, Olivier Ihl, « Conspirations et science du pouvoir chez François Guizot », in Revue Française d'Histoire des Idées Politiques, Paris, éditions Picard, n°19, 1er semestre 2004, 25 pages. * 351 Olivier Ihl, « Conspirations et science du pouvoir chez François Guizot », op.cit, p.127. * 352 Olivier Ihl, « Conspirations et science du pouvoir chez François Guizot », op.cit, p.142. * 353 François Guizot, Des conspirations et de la justice politique, 1821, exemplaire BM Lyon Part Dieu, fond ancien, IF 436/52, p.3. * 354 François Guizot, op.cit, p.3. * 355 François Guizot, op.cit, p.21. * 356 François Guizot, op.cit, p.27. * 357 François Guizot, op.cit, p.30. * 358 François Guizot, op.cit, p.41, 42. * 359 François Guizot, op.cit, p.61. * 360 François Guizot, op.cit, p.66. * 361 François Guizot, op.cit, p.96, 97. * 362 François Guizot, op.cit, p.119. |
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