Une approche socio-historique de la violence au XIXème siècle: le cas d'une conspiration à Lyon en 1817( Télécharger le fichier original )par Nicolas Boisson Université Pierre Mendès France Grenoble - Master recherche 2008 |
III-2.2 Une instruction de l'affaire des plus floues : illustration par quelques interrogatoires
La Cour prévôtale retint comme chefs d'accusations envers les individus arrêtés, les motifs de « complot » et de « réunion séditieuse ». Dans ses arrêts, elle ne choisit pas entre ces deux motifs, évoquant ainsi souvent le terme de « complot », sans aucun fondement juridique valable. De même, alors qu'elle retient aussi le chef d'accusation de « réunion séditieuse », la Cour jugea les accusés séparément par communes au lieu de les englober dans un procès unique. En effet, la Cour divisa l'instruction en douze procédures : une pour chacun des onze villages, et une pour Lyon320(*). Nous reviendrons dans le prochain point sur le traitement juridique de cette affaire, et notamment sur la question de la légitimité de la Cour prévôtale à juger celle-ci. Pour l'heure, l'objectif de ce point est de montrer la conduite critiquable des interrogatoires des accusés par la Cour. Pour cela, deux sources d'archives ont été sollicitées. La première est le volume « Procédure » de la Cour prévôtale du Rhône, déjà utilisé largement précédemment, volume contenant les débats du procès de la conspiration de Lyon en 1817, consulté au fond ancien de la bibliothèque municipale Lyon Part Dieu321(*). La seconde source d'archives est constituée d'un document de huit pages consultables en annexes, découvert au sein des archives départementales du Rhône, avec pour titre « Cour prévôtale de Lyon, interrogatoire des vingt-huit conspirateurs. »322(*). Ce document est un bon résumé de l'instruction de l'affaire, rapportant les interrogatoires de Barbier, Volozan cadet, et Biternay. Les interrogatoires de la Cour prévôtale en sa séance du 25 octobre 1817 sont marqués par la pression du président de la Cour sur les accusés dans la perspective d'aveux effroyables de leurs parts d'une intention calculée d'assassinats politiques. Cette orientation prise par les débats de la Cour vers un exercice de pressions sur les accusés, s'illustre par exemple par cet extrait de l'interrogatoire de Barbier, où le président de la Cour après une longue liste d'affirmations sur lesquelles Barbier n'a pas pu précédemment se prononcer clairement, le contraint à les confirmer en un seul échange. Le Président de la Cour : « Vous êtes convenu qu'il avait existé un complot pour mettre Napoléon, ou un autre usurpateur, sur le trône, qu'il y avait eu des comités formés pour cet objet, qu'un serment avait été prêté ; qu'on avait pris des moyens pour recruter des forces ; que Jacquit était chef des bandes armés des campagnes ; que les conjurés avaient arrêté leur plan d'attaque pour le 8 juin ; que les postes étaient distribués ; que les enrôlements avaient été préparés ; que des motifs que vous ignorez ont empêché l'explosion générale à Lyon. » Face à ce flot d'assertions mélangeant des questions d'ordre très divers comme celle des buts du complot, de ses moyens et de ses chefs, l'accusé Barbier ne peut que confirmer puisque une partie des énoncés est sans doute exacte. Barbier : « Oui monsieur le Président. Mais je ne sais pas d'où venaient les ordres supérieurs. Quant aux sommes comptées, je persiste dans mes déclarations à cet égard. »323(*). On retrouve cette même tentative de la Cour prévôtale de forcer les aveux lors de l'interrogatoire de Volozan. Ainsi, le président de la Cour demande à nouveau de manière vindicative à Volozan si les conspirateurs avaient l'intention d'assassiner des fonctionnaires publics, des magistrats. Volozan réaffirmera que ce n'était pas le cas324(*). On observe toujours au cours de ces audiences, l'impatience de la Cour prévôtale pour des aveux accablants de projets d'assassinats politiques, qui classeraient définitivement cette affaire dans celles des conspirations politiques, et légitimeraient alors des condamnations judiciaires des plus dures. Ainsi, des condamnations forts discutables car prononcées par contumace, sont lancées à l'encontre de Taysson, Cochet et Bernard, prisonniers évadés. Plusieurs avocats de la défense se levèrent lors de la séance pour protester contre cette mesure qu'ils jugent illégale325(*). A nouveau, la Cour bombarde littéralement de questions-accusations le suspect Coindre. Le président de la Cour prévôtale : « Coindre, vous fûtes trouvé le 8 juin, muni de cartouches. D'où provenaient-elles ? N'aviez-vous pas connaissance de la conspiration qui se tramait alors contre le gouvernement du Roi ? N'en faisiez-vous pas partie ? Ne fûtes-vous pas dans le principe, soupçonné d'être l'un des auteurs de l'assassinat commis sur le capitaine Ledoux ? »326(*). Coindre répond de manière évasive. On observe donc encore dans cet interrogatoire de Coindre, l'usage de questions déformées dans le sens qu'elles tendent toujours à amener leur confirmation... L'interrogatoire de madame Lavalette est le plus représentatif de cette tendance de la Cour à transformer ses audiences en une inquisition. Au cours de l'interrogatoire de Volozan cadet, ce dernier soutint que madame Lavalette entretenait une correspondance active avec le comité supérieur du complot. La Cour retient cet aveu de Volozan cadet comme vérité indiscutable. Face à la résistance de madame Lavalette, le président de la Cour s'énerve. Le président de la Cour prévôtale : « Après tant de rapports faits par des personnes qui n'ont point intérêt à vous nuire, vous ne pouvez nier le fait de la correspondance ? Comment repousser tant d'assertions ? ». Madame Lavalette : « Je ne vois que des « On dit ». Je suis sur des « On dit », en prison depuis quatre mois, privée de mes enfants, et l'on me fait entreprendre un voyage long et pénible. Mes enfants sont ma seule occupation. ». Le président de la Cour fait lire plusieurs lettres devant madame Lavalette évoquant son rôle dans la conjuration. Madame Lavalette : « Je n'ai jamais reçu ces lettres ; je ne sais ce que vous me dîtes. » Le président de la Cour : « Vous persistez madame. » Madame Lavalette : « Oui monsieur. » La Cour : « Cependant vous connaissez les déclarations positives consignées au procès. » Madame Lavalette : « On a dit tant de choses ! Mais ce sont des histoires. » La Cour : « Madame, les histoires sont vraies. » Madame Lavalette : « Eh bien ! Mettez que ce sont des contes. » La Cour : « C'est comme le désir de revenir à Lyon. » Madame Lavalette : « Je ne l'ai jamais eu. »327(*) De même, on notera toujours la propension à l'exagération de la Cour dans ses questions aux accusés, afin peut-être d'obtenir suffisamment en demandant plus. On observe ce procédé lors de l'interrogatoire de Volozan cadet à nouveau. Le président de la Cour prévôtale : « N'avez-vous su que, dans la vue d'exaspérer le peuple et de le porter à la révolte en l'affamant, les ennemis du gouvernement avaient accaparé du blé pour en faire exhausser considérablement le prix ? » Volozan : « Taysson m'a dit un jour que l'accaparement des grains se faisait à force, et qu'il fallait presser l'exécution des mouvements. » La Cour : « Les membres de votre comité n'avaient-ils pas répandu dans le public que des officiers civils et militaires servaient la conspiration ? » Volozan : « Oui, Monsieur. Et tous avaient la certitude que certaines Autorités étaient à la tête de la conspiration. » La Cour : « Quelles sont les causes qui vous ont porté à croire une chose aussi absurde ? »328(*). Le lecteur pourra lire la suite de l'interrogatoire en consultant le document 8 en annexes. Retenons que la Cour tente d'éluder la question de l'intervention d'autorités institutionnelles extérieures au complot, en rabaissant littéralement Volozan mais aussi d'autres, lorsqu'ils abordent l'idée que les autorités publiques auraient pris part à la préparation de la conspiration. Nous venons d'illustrer le manque de rigueur qui caractérisa le traitement de l'instruction judiciaire lors de l'affaire du 8 juin 1817. Très souvent, la Cour prévôtale forçat les aveux des accusés, déformât leurs réponses, exagérât les intentions des conjurés pour aboutir à la seule conclusion qui pouvait satisfaire les ultras lyonnais : celle d'une vaste conspiration dont le but de renversement du gouvernement royal passait par des assassinats politiques d'autorités publiques. Dés lors, nous ne serons guère surpris par la sévérité des condamnations prononcées par la Cour prévôtale. Une Cour qui aura voulu se montrer exemplaire quant à la Justice réservée aux conspirations, une Justice arbitraire qui doit s'imposer selon les royalistes ultras sous ce régime de Restauration de l'ordre monarchique. Cela nous mène donc à aborder la question des condamnations de la Cour prévôtale, la question de sa légitimité à avoir jugé ces troubles du 8 juin 1817, et enfin la question de l'évolution de la pénalisation du crime de « conspiration ». * 320 Voir à ce sujet, Georges Ribe, op.cit, p.251. * 321 Conspiration de Lyon en 1817 : Procédure. « Procès des 28 individus prévenus d'avoir participé aux mouvements insurrectionnels... », BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164. * 322 « Cour prévôtale de Lyon, interrogatoire des vingt-huit conspirateurs », huit pages, document 8 placé en annexes, issu des Archives départementales du Rhône, dossier 4 M 206. * 323 Conspiration de Lyon de 1817 : Procédure..., op.cit, BM Lyon Part Dieu, fond ancien, cote 354164, p.23. * 324 Voir à nouveau Conspiration de Lyon de 1817 : Procédure..., op.cit, p.24. * 325 Toujours Conspiration de Lyon de 1817 : Procédure..., op.cit, p.25. * 326 Conspiration de Lyon de 1817 : Procédure..., op.cit, p.30. * 327 Conspiration de Lyon de 1817 : Procédure..., op.cit, p.39 à 43. * 328 « Cour prévôtale de Lyon. Interrogatoire des vingt-huit conspirateurs », 8 pages, document 8 en annexes, découvert au sein des Archives départementales du Rhône, dossier 4 M 206, interrogatoire de Volozan cadet, p.7 |
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