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Une approche socio-historique de la violence au XIXème siècle: le cas d'une conspiration à  Lyon en 1817

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par Nicolas Boisson
Université Pierre Mendès France Grenoble - Master recherche 2008
  

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I-2. L'état économique et social de la région Rhône-Alpes en 1810-1820 et la crise des subsistances de 1817

Le but de ce point est d'opérer une lecture sociale d'un contexte politique anxiogène.

Nous commencerons par rappeler rapidement les conditions socio-économiques difficiles du sud-est de la France en ces années, avant de décrire la crise des denrées alimentaires de 1817.

I-2.1 Bref tableau des difficultés de la France du Sud-Est sous la Restauration

La société française en 1815 est considérablement affaiblie, suite à 26 années de guerres et de révoltes. On observe toujours un poids très lourd des structures de l'Ancien régime, notamment au niveau des hiérarchies sociales et culturelles. Ces années sont de plus marquées par des crises de subsistances et des épidémies meurtrières. De ce fait, on remarquera le phénomène de nostalgie politique de cette société qui refuse de faire le deuil soit de l'Empire, soit de la Révolution. Comme le précise Christophe Charle189(*) : « Il y a là tout un complexe de réflexes populaires de résistances dans les situations extrêmes qui ne s'explique à ce degré que par le souvenir des journées révolutionnaires ou des guerres civiles provinciales. Le bilan des années 1789-1815 est donc tout à la fois fait de nouvelles structures et de modes d'action collective ou de mythes mobilisateurs périodiquement réactivés sans lesquels la dynamique sociale de la première moitié du XIXème siècle est incompréhensible. ». La France de la fin de l'Empire est donc physiquement meurtrie. Au niveau de sa jeunesse, elle a payé un lourd tribut du fait des guerres, où la pratique s'est même répandue de se mutiler pour échapper au champ de bataille. On observe ainsi à la fin de l'Empire une surmortalité due à des crises de subsistances récurrentes, ces dernières trouvant leur cause dans le manque d'hommes pour cultiver les terres. Ces crises de subsistances sont donc plus aigues dans les régions touchées par la conscription. La France de l'Est a connu les combats sur son territoire, elle est donc plus meurtrie, mais pourtant la population reste attachée à l'armée du fait de la promotion sociale qu'elle peut offrir.

Ces guerres napoléoniennes ont provoqué un déracinement de la paysannerie, la divisant entre vétérans attachés à la légende de l'Empereur et opposants à l'autoritarisme de son Etat. Comme le remarque Christophe Charle190(*), la structure de la société française au début du XIXème siècle est encore proche de celle de l'Ancien régime. La population est sous-alimentée, victime d'épidémies, le choléra refrappera en 1832. On note toujours un taux élevé d'orphelins, ou d'enfants abandonnés.

Au niveau culturel, on ne peut que déplorer les retards dans l'enseignement du français, que traduisent la sous scolarisation et la sous alphabétisation, plus forte chez les femmes, majoritairement cantonnées à la maison. Ainsi comme l'observe judicieusement Christophe Charle, cela participe sous la Restauration d' « une société du manque et de l'obscur »191(*). Ses membres sont trop privés des biens élémentaires pour réclamer l'instruction.

De même on peut observer des carences dans la formation des élites. Moins d'un million d'enfants sur quatre millions fréquentent l'école et encore de manière irrégulière. La pauvreté empêche en effet le recrutement d'instituteurs dans les communes, ou quand ceux-ci sont employés, ils sont mal payés et resteront déconsidérés jusqu'en 1833, lorsque la loi Guizot sur l'instruction revalorisera leur statut.

A retenir surtout de la société sous la Restauration est son extrême division. La première source de cette absence de cohésion est la lutte pour la propriété. En effet, comme le rappelle Christophe Charle, seule une fraction des biens nationaux a été réellement vendue à un million de Français. Dans le Lyonnais, seule 4% de la superficie du département change de mains192(*). Sur ces inégalités économiques se greffent des inégalités politiques, voire civiques. En effet, comme nous l'avons déjà souligné, seuls les propriétaires fonciers peuvent voter jusqu'à la mise en place de la Charte, qui n'abolira cependant pas les inégalités du suffrage censitaire. La France sous la Restauration est donc marquée par l'exclusion et des révoltes violentes, notamment dans les petites villes où s'affrontent périodiquement bourgeois et nobles. Retenons pour la ville de Lyon, qu'elle est déjà en 1815, un grand centre administratif, commercial, artisanal et industriel, comme les villes de Lille, Strasbourg et Paris. Une des grandes divisions de cette société des années 1810-1820 est le choc ville/campagne. Ainsi, comme le rapporte toujours Christophe Charle, les populations pauvres des campagnes, aveuglées par l'illusion du rêve urbain, migrent vers les villes, créant ainsi une inquiétude sociale de la bourgeoisie face à ces populations193(*). S'affirme encore sous la Restauration donc le phénomène de l'indigence, notamment dans les grandes villes comme Paris et Lyon. A juste titre, Christophe Charle affirme que : « La société française de la Restauration cumule l'héritage de l'Ancien Régime et les pathologies de la société industrielle émergente. »194(*).

Les plus exclus sont les femmes, les jeunes et les prisonniers. De grandes tensions naissent dans ces années entre les « vieux » détenant le pouvoir réel et symbolique, et cette majorité d'hommes jeunes privés d'un avenir indépendant des codes de l'Ancien Régime. C'est à cette époque que se développe ainsi le thème de la gérontocratie. L'agitation étudiante qui grandira sous Louis XVIII témoigne de cette véritable fracture générationnelle. De même, la Restauration poursuivra ses pratiques systématiques de l'enfermement des fauteurs de trouble, comme cela était déjà le cas généralisé sous Napoléon. L'ordre carcéral entérine les inégalités sociales, avec des « riches » qui peuvent échapper à une cellule par le paiement de cautions élevées.

La France du Sud-Est est ainsi elle aussi très touchée par ces maux que sont la misère rurale, l'exclusion des villes, les peurs liées aux crises alimentaires et aux épidémies. L'instabilité politique locale marquée par les conflits entre nostalgiques de l'Empire, républicains et royalistes de diverses sensibilités, rend ce cadre économique et social insupportable pour des populations paupérisées qui n'ont plus rien à perdre en faisant le choix de la révolte. Dés lors comme le précise toujours Christophe Charle, c'est le sentiment classique et dominant de la peur qui traverse la société française du début du XIXème siècle. Ces peurs sont le terreau des luttes violentes et des « antagonismes politiques, parfois convergents, parfois divergents, entre « notables », « capacités », paysans et prolétaires. »195(*).

Dés lors, la classe dirigeante française de ces années offre une image paradoxale. Si les notables détiennent tous les leviers de commande : politique, administratif, la terre, l'industrie et la culture, « ils n'ont pas su gérer comme leurs homologues britanniques, le passage en douceur vers une société démocratique de classes moyennes par compromis historique progressif avec les nouvelles couches émergentes et l'élite des classes populaires. »196(*). Cette absence de transmission de relais démocratique s'explique par le poids du passé révolutionnaire, les souvenirs douloureux de la Terreur révolutionnaire paralysant une fraction de notables. On observe donc une domination des notables comme nouvelle classe en essor sur le prolétariat, mais aussi une division au sein des notables et des luttes de pouvoir entre eux.

Cet enlisement de la société française sous la Restauration dans une misère chronique pour la paysannerie, et les luttes politiques au niveau urbain, est la promesse des explosions politiques et sociales à venir. Ainsi, pour finir sur ce point sur les difficultés économique et sociales de la France en ces années 1810-1820, nous méditerons cette réflexion de l'historien Christophe Charle à propos de la révolte des canuts lyonnais des années 1830-1831, raisonnablement transposable aux troubles précédents de Lyon en juin 1817 : « Toutes ces données expliquent comment une affaire, au début limitée, est parvenue en quelques semaines à symboliser l'émergence d'une fracture de la société bourgeoise, comment les canuts réputés pour leur soumission, sous l'action d'une minorité décidée et influencée par les missionnaires saint-simoniens ou républicains, ont pu conquérir la deuxième ville industrielle du royaume et y instaurer pour quelques jours une préfiguration de la Commune face à des autorités désemparées. La répression, elle-même, par l'armée, par les procès et par la prise de mesures restreignant les libertés, est génératrice d'une conscience de classe durable et d'une solidarité élargie. C'est pourquoi chaque conflit du travail, chaque trouble né de la misère urbaine peut entraîner très vite la masse des classes populaires dans la révolte ouverte et la remise en cause de la classe au pouvoir, celle-ci ne négociant jamais ou, quand, elle le fait, ne tenant jamais ses engagements. »197(*).

* 189 Christophe Charle, Histoire sociale de la France au XIXème siècle, Seuil, collect Points Histoire, 1991, 392 pages, p.16.

* 190 Voir Christophe Charle, op.cit, p.20, 21.

* 191 Voir Christophe Charle, op.cit, p.23.

* 192 Voir Christophe Charle, op.cit, p.25.

* 193 Voir Christophe Charle, op.cit, p.35, 36.

* 194 Christophe Charle, op.cit, p.37.

* 195 Christophe Charle, op.cit, p39, 40.

* 196 Christophe Charle, op.cit, p.41.

* 197 Christophe Charle, op.cit, p.56.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault