Une approche socio-historique de la violence au XIXème siècle: le cas d'une conspiration à Lyon en 1817( Télécharger le fichier original )par Nicolas Boisson Université Pierre Mendès France Grenoble - Master recherche 2008 |
I-2.2 La crise des subsistances de 1817Comme l'observe Georges Ribe : « Au moment où éclatera la sédition de juin 1817, la crise des subsistances atteindra son paroxysme et, corollairement, le coût de la vie son maximum. Cette pénurie résultait de l'abus des réquisitions en 1815 et, plus encore, de la récolte déficitaire de 1816. »198(*). Le prix du blé, de 21 francs l'hectolitre en novembre 1815, passait à 38 francs un an plus tard et atteindra son plafond : 58 francs 75 en juin 1817. Comme le soulignent aussi les historiens A. Jardin et A.J. Tudesq : « La crise de 1816-1817 n'est pas exclusivement française. (...) Mais elle prit en France une gravité exceptionnelle, car aux causes climatiques s'ajoutèrent les conséquences de l'invasion. »199(*). Selon ces derniers, l'Est de la France subit les hausses les plus fortes. En conséquence, on voit dans Lyon et sa région s'accentuer la misère populaire, avec ses phénomènes associés que sont les vols et attaques à main armée contre les propriétaires, et l'augmentation du nombre de vagabonds et de mendiants. En décembre 1817, le prix du pain dans le département du Rhône arrive à 7 à 8 sols la livre, mais la situation va encore s'empirer au cours de l'hiver à cause de la diminution du travail et de la réduction des salaires conséquente. Selon Georges Ribe, le nombre de pauvres portés sur les états des comités de bienfaisance s'élevait à cette période à environ 17 000 pour le département du Rhône200(*). Cette inflation du prix des denrées alimentaires due essentiellement aux mauvaises récoltes est source de tensions chez les classes populaires, pour qui le pain demeure la base de l'alimentation, et qui connaissent à nouveau des situations de famine. En juin 1817, la situation est quasi-dramatique. Toujours selon Georges Ribe, la farine de blé était montée presque subitement de 46 à 64 francs le quintal. Le pain était à un onze sous la livre dans le département201(*). Face à ce climat de misère économique, les autorités locales craignent d'autant plus un soulèvement motivé par des conspirateurs qui pourraient appuyer alors aisément leurs visées politiques avec le mécontentement populaire généré par la cherté des denrées alimentaires. Le préfet du Rhône, Chabrol, se refuse alors à une nouvelle augmentation du prix du pain, sentant désormais le caractère explosif de la situation... Dans un rapport du 6 juin 1817, il note : « (...) convaincu que cette mesure eut été d'une haute impolitique. Il se confirme que l'opinion générale des campagnes était qu'on augmenterait le pain à Lyon, et que cette augmentation produirait un mouvement dont on comptait profiter... La seule espérance des factieux était dans un mouvement d'exaspération produit par la cherté des denrées... Ce n'est qu'en liant leur projet à un mouvement populaire qu'ils peuvent espérer réussir. »202(*). Selon les autorités, en effet, et aussi selon certains historiens, cette disette des années 1816-1817 est à l'origine directe des troubles de juin 1817 dans le Rhône. Nous reviendrons sur cette seule explication en montrant en réalité la complexité de l'événement. Retenons que cette crise des subsistances occasionna des rébellions dans de nombreux départements. Les premiers troubles apparurent dans le Nord, au Croisic, à Castres au printemps 1816. De l'Ain à la Haute-Vienne, de la Seine-Inférieure au Lot, les marchés sont attaqués, les boulangeries pillées, des rixes provoquent parfois des morts, comme le rapportent A. Jardin et A.J Tudesq203(*). A partir de mai-juin 1817, éclatent de véritables jacqueries : en Brie, en Essonne (3-4 juin), dans l'Aube, dans l'Yonne où les troubles revêtent un caractère démesuré. Le gouvernement prit du retard à mesurer l'ampleur de ces émeutes de la faim, auxquelles Lyon et son département, comme nous l'avons vu, étaient déjà accoutumés. Il est donc clair pour l'observateur de ces troubles politiques du Rhône en juin 1817, que la dégradation rapide des conditions économiques des populations confrontées pratiquement à la famine a joué un rôle non négligeable dans la mobilisation populaire du personnel de l'insurrection. Cependant, on ne pourra réduire ces événements à une simple émeute de la faim au regard des symboliques utilisées par les séditieux, de leurs revendications, de la structuration de l'organisation secrète en comités, du plan d'attaque des communes etc. Ce qui reste indéniable est la manipulation postérieure de ces troubles de juin 1817 par les autorités militaro-policières ultras, manipulations au service de leur parti, impatient de se prévaloir du titre de « sauveur du trône et de l'autel » pour reprendre la formule de Georges Ribe204(*). La France de la Restauration de Louis XVIII est donc marquée par l'ordre moral et policier organisé par les royalistes ultras. Mais cette réaction souffre d'un désordre politique avec l'affrontement au sein même du camp royaliste des constitutionnels et des ultras, et d'un désordre économique et social complet, comme nous venons de l'observer, avec de graves crises des subsistances récurrentes, des retards concernant l'éducation, une situation quasi inchangée dans l'accès à la propriété, des inégalités économiques de plus en plus criantes entre un prolétariat urbain ou rural et une classe de notables, elle-même encore en conflit avec la noblesse... Enfin, la société française sous Louis XVIII porte en elle les germes d'une contre réaction politique et culturelle avec un bouillonnement intellectuel du libéralisme politique et philosophique, qu'il soit l'oeuvre des idéologues, des doctrinaires, puis des indépendants de gauche. C'est dans ce cadre d'incertitudes et de peurs que nous devons à présent aborder la question de la conspiration du 8 juin 1817 dans le Rhône, en essayant de discerner les réalités multiples de l'événement. * 198 Georges Ribe, op.cit, p.244, 245. * 199 A. Jardin/A.J Tudesq, La France des notables, 1. l'évolution générale 1815-1848, op.cit, p.51. * 200 Voir Georges Ribe, op.cit, p.245. * 201 Voir Georges Ribe, op.cit, p.246. * 202 Le préfet du Rhône, Chabrol, rapport du 6 juin 1817, rapporté par Georges Ribe, op.cit, p.246. * 203 Voir Jardin/Tudesq, op.cit, p.53. * 204 Georges Ribe, op.cit, p.247. |
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