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Ethique et démocratie: les cas américain et français

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par Pathé DIOP
Faculté de Lille 2  - DEA de science politique 2003
  

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2. De la construction de la démocratie américaine

La démocratie américaine s'est construite à travers un processus qui lui donne plutôt sa spécificité que sa forme substantielle, c'est-à-dire achevée. Elle est née à la suite d'une double Révolution, de révolte et de Fondation dont le but était, d'une part, de se libérer de la tutelle de la couronne anglaise et, d'autre part, d'instituer une forme de gouvernement stable et libre. C'est autour du principe fondamental de liberté que les Américains ont réussi à informer une République qu'ils ont appelé démocratie représentative.

La création de la démocratie américaine n'est pas tirée ex nihilo, elle participe d'une idéologie dont le jus naturalisme (le droit naturel), les idées des whigs radicaux, les théories politiques de Plutarque, Cicéron, Tite-Live, Machiavel, Rousseau, Montesquieu, Hume, Locke, Smith, Hutcheson, la philosophie des Lumières, les formes de gouvernement des Cités grecques, de Rome, de Florence, de Sparte et de la

Monarchie anglaise etc. constituaient le concentrée

référentiel. Cette démocratie, il faut le dire, n'a pas fait usage, dans sa fondation, de toutes ces idées et institutions gouvernementales classiques, mais elle a opéré des choix qui consistaient à prendre d'elles les points positifs pouvant s'accorder avec la forme de gouvernement que ce que l'on appelle communément les pères fondateurs avaient voulu instituer.

En cela, cette démocratie demeure à la fois inductive et élective dans la mesure où, d'un côté, l'idéologie qui la porte est issue de théories politiques classiques et modernes que les Pères fondateurs essayaient de mettre en pratique et, de l'autre, le fait que ces derniers s'étaient employés à surmonter les maux tels que la corruption, la tyrannie et le complot qui ont eu, sinon à menacer, du moins à dévoyer certains régimes politiques d'autrefois.

La démocratie américaine connaît cependant sa forme officielle en 1787 avec l'institution d'une constitution fédérale dans l'Etat de Philadelphie, grâce à l'action de ce que l'on appelle communément les fédéralistes : Madison, Hamilton et Jay.

2.1 La Déclaration d'indépendance de 1776 ou la rupture avec la couronne

La Déclaration d'indépendance des Etats-Unis du 4 juillet 1776 dont Thomas Jefferson est l'auteur marque le début de l'indépendance des colonies américaines ou sa libération vis-à-vis du pouvoir de la couronne anglaise jugée trop aliénant. Même si cette volonté de libération est dictée dans son ensemble par la pure raison calculatrice, comme beaucoup, tel que Gordon Wood, sont portés à l'affirmer, il faut quand même

pouvoir distinguer dans la Révolution américaine deux moments qui ne présentent pas une linéarité sans heurts, à savoir le moment correspondant à la volonté de rompre avec l'ordre ancien, sanctionnée par la Déclaration d'indépendance et celui se rapportant à la résolution d'instaurer un ordre politique nouveau de la convention dite de Philadelphie. L'action du premier s'inscrit, avant tout, dans la logique d'un engagement consistant à se débarrasser du pouvoir très oppressif de l'Angleterre. C'est pourquoi ce moment constitue, nous semblet-il, le moment révolutionnaire, au sens d'insurrection, de la Révolution américaine quand même bien il reste politique.

Face au joug de la couronne, les Américains aspiraient à plus de liberté et de bonheur dont l'expérience résulte en grande partie d'une déception que causait, non pas la monarchie en elle-même, mais le parlement anglais.

Les séries de révoltes et de guerres qui occasionnèrent la rupture entre les Anglais et les Américains tinssent sans doute leur cause de l'institution du droit de timbre aux colonies par le parlement britannique. L'institution de ce droit fut dictée probablement par le manque d'argent de la Grande-Bretagne, laquelle sortait épuisée de la guerre de Sept ans et voyait sa dette augmentait.

Cette mesure dont le Premier ministre Grenville fut l'auteur fut une « innovation », pour reprendre Robert LacourGayet, car « jusque-là, chaque colonie décidait par elle-même de sa fiscalité. Un vote de l'Assemblée et une signature du gouverneur suffisaient pour qu'une taxe entrât en vigueur.19 » Le droit de timbre provoqua des mécontentements d'autant plus que certaines colonies telles que New York et le Massachusetts avaient alors adopté des droits semblables. Les colonies

19 Robert Lacour-Gayet, Histoire des Etats-Unis, Fayard, 1976, p. 137

refusèrent alors de s'acquitter de ce droit, soutenant qu'elles ne payeraient que les impôts votés par ses représentants. Du côté de la Grande-Bretagne, on soutenait que le parlement est souverain et que, « où qu'ils se trouvent, les sujets de Sa Majesté lui doivent obéissance. Si l'Amérique n'a pas jusqu'à ce jour été taxée, c'est uniquement parce qu'elle n'avait pas atteint sa maturité... 20»

Les Américains ne tardèrent pas à se soulever pour s'opposer aux décisions du parlement de la mère-patrie ; ils prenaient alors cet appel à l'opposition comme un devoir de tout Américain. Ce soulèvement avait des proportions plus ou moins grandes selon les colonies. C'est en Virginie et en Nouvelle-Angleterre, et, plus tard, dans le Massachusetts que l'opposition est plus marquée. Les groupes de combattants se formèrent sous l'instigation de propagandistes tels que Samuel Adams qui recrute ses fidèles « dans les tavernes, les endoctrine, les enrégimente.21 » Mais à ces groupes, se

joignirent également « des citoyens mus par leur

conscience22 ». Ces « soldats » s'appelaient « sons of liberty », autrement dit « Fils de la Liberté », mais du côté de la Grande-Bretagne, on les considère comme des insurgés d'où le nom de « rebelles » employé alors pour les désigner.

Les Fils de la Liberté se livraient à des exactions qui n'épargnaient aucun symbole ou représentant du parlement britannique : « les percepteurs du droit de timbre sont pendus en effigie, leurs habitations brûlées [et ainsi] tous finissent par démissionner23 » et les marchandises de la métropole firent, à leur tour, boycottées par les colonies de

20 Ibid, p. 138

21 Ibid, p. 140

22 Ibid, p. 140

23 Ibid, p. 140

Boston, Philadelphie et de New York24. A ce soulèvement populaire armé qui contestait sans réserve la souveraineté de la Grande-Bretagne s'ajoutait du même coup une guerre de plume, pour reprendre le terme de Gayet, à laquelle se livraient des intellectuels tels que Dickinson avec sa publication dans la Pennsylvania Chronicle de quatorze articles intitulés : « Lettres d'un agriculteur de Pennsylvanie aux habitants des colonies britanniques » qui avaient pour but de montrer l'impossibilité ou l'incompétence du Parlement à instituer le droit de timbre.

L'épisode de la destruction du thé du 16 décembre 1773 à Boston, dirigé par Samuel Adams envenima la tension entre les Américains et les Anglais. Les Fils de la liberté, décidant de ne pas payer, entre autres droits, celui d'accostage des bateaux, tombèrent sur le refus du gouverneur. Ainsi, « deux cents des fidèles [de Adams], déguisés en Indiens, montèrent à bord. Trois cent quarante-deux caisses, d'une valeur de douze mille livres sterling, furent [alors] jetés par dessusbord.25 »

Le roi de la mère-patrie George III, ne pouvant plus contenir son amertume, écrivit à son nouveau ministre Lord North : « les colonies doivent maintenant se soumettre ou triompher.26 » A cela s'ajoutèrent des mesures de vengeances contre Boston (et qui visaient par-là même toutes les autres colonies) dont la destruction clamée et soutenue par certains membres de l'Assemblée, « dès le 25 mars [ 1773], la fermeture du port de Boston (sauf pour la nourriture et les matériaux de chauffage) fut décidée jusqu'à ce que la Compagnie et la

24 Il faut noter que l'arme du boycottage faisait voir ses effets, car il y a eu, au fil des années, une chute considérable des ventes de la Grande-Bretagne : en 1768, la Grande-Bretagne vendait aux colonies 2.107000 livres de marchandises ; en 1769, 1.310000.

25 Gayet, op. cit., p. 149

26 Ibid, p. 149

douane fussent compensées pour leurs pertes. Deux mois plus tard, d'autres mesures de répression suivirent : transfert en Angleterre de certains procès, suppression de l'élection des membres du conseil, nomination de juges par le gouverneur, interdiction de réunir plus d'un town-meeting par an, à moins d'une autorisation spéciale.27 »

Les intellectuels, au rang desquels se trouvaient

Washington, Samuel Adams et Jefferson, orientèrent leurs actions dans une perspective plus pratique afin de mettre fin à la dérive tyrannique de la Couronne. Le 5 septembre 1774, eut lieu le premier Congrès continental qui regroupa cinquante-six représentants de douze colonies (sauf la Georgie qui s'était abstenue). Ceux-ci n'étaient pas unanimes dans leurs revendications, autrement dit, ils ne partageaient pas une idéologie commune les rassemblant. Il y avait, d'une part, les modérés dont Joseph Galloway qui tentèrent de dulcifier les passions et, d'autre part, les extrémistes, parmi lesquels figuraient les frères Samuel et John Adams, Patrick Henry, Richard Henry Lee. Ces derniers arrivèrent toutefois à dominer le congrès et inspirèrent, grâce aux idées de John Adams, la Déclaration des Droits que l'Assemblée adopta le 15 octobre. Celle-ci soutenait que les hommes ont droit à la vie, à la liberté, à la propriété et qu'ils n'ont jamais cédé à un souverain le pouvoir de disposer sans leur consentement de l'un quelconque de ces biens.

Les droits ainsi invoqués se fondaient sur les idées des théoriciens du droit des Gens tels que Pufendorf, Vattel et Grotius et des lois de la nature de la mécanique cartésienne. Analogiquement à cette dernière les Américains estimaient que « les actions humaines et les affaires humaines obéissaient à

27 Ibid, p. 150

des lois aussi régulières et aussi uniformes que les autres évènements, et que les lois de la mécanique s'appliquaient aussi bien à la politique qu'à la philosophie28 » ; aux premiers, Pufendorf et consort, ils empruntaient la théorie selon laquelle Dieu a doté à tous les hommes des droits fondamentaux inaliénables. En cela, les Américains inaugurèrent une nouvelle compréhension de la politique, autrement dit une nouvelle science politique : il y a une « humanisation de la Providence », pour reprendre le terme de Gordon Wood, Dieu n'est pas ( et n'est désormais plus) l'auteur et le responsable de l'action humaine. Les hommes sont au contraire les propres auteurs et responsables de leurs actions, si bien qu'ils sont les seuls habilités à instituer aussi bien le gouvernement qui leur convient qu'à répondre à des atteintes dont ils sont l'objet.

Cette dernière idée influença de beaucoup les Américains, lesquels firent doter les entités politiques quasiment des mêmes droits que les humains. Ainsi la rupture avec la Couronne, qui fut un combat pour une reconnaissance29, fut-elle consommée avec l'invocation des droits naturels (aussi bien pour les hommes que pour les Etats) dans le texte signant l'indépendance des Etats-Unis du 4 juillet 1776 : La Déclaration d'Indépendance. Celle-ci, sous la plume de Thomas Jefferson, déclare que « lorsque dans le cours des évènements humains, il devient nécessaire pour un peuple de dissoudre les liens politiques qui l'ont attaché à un autre, et de prendre,

28 Gordon Wood, La création de la République américaine, Belin, 1991, p. 39

29 La lutte pour la liberté est celle pour « la reconnaissance de soi » dont parle Francis Fukuyama dans La fin de l'histoire et le dernier homme, Flammarion, 1992. la colère qu'a fait naître les mesures parlementaires aux colonies ont fait jaillir, de ces dernières, un sentiment de fierté. Les Américains, en réaction, investissent alors l'homme et l'Etat d'une dignité qui doit être conquise à travers un combat dont l'égalité des droits donnée et garantie par Dieu fut aussi bien le motif que la justification. L'aspiration à la souveraineté et à l'autonomie naissent « en dernière analyse du thymos, de cette partie de l'âme qui exige la reconnaissance. » op. cit., p. 19

parmi les puissances de la terre, la place séparée et égale à laquelle les lois de la nature et du Dieu de la nature lui donnent droit, le respect dû à l'opinion de l'humanité l'oblige à déclarer les causes qui le déterminent à la séparation. Nous tenons, ajoute-t-il, pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir ces droits, et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu'une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de la l'abolir, et d'établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l'organisant en la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur.30 »

Ce premier moment de la Révolution américaine qui marqua l'indépendance des colonies britanniques ne garantissait pas alors une liberté intérieure, car il manquait les institutions politiques qui devaient la garantir. Pour ce faire, les Américains s'employèrent à dépasser la Confédération par l'établissement d'une Fédération qui unirait toutes les colonies. Ces hommes que l'on appelle les Fédéralistes vont alors maculer leurs plumes pour que soient institués les Etats-Unis d'Amérique.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci