1.1.3 L'autonomie
L'homo democraticus, en tant qu'il est
l'idéal-type de la personne habitant dans une démocratie, ne peut
être compris sans que nous ne fassions référence au
principe d'autonomie qui est un fondamental constitutif de son être.
L'autonomie est le concentrée des fondamentaux de liberté et
d'égalité, elle caractérise la personne même en ce
qu'elle pose la volonté comme son mode essentiel.
16 Ibid., p. 48
La liberté et l'égalité ne suffisent pas
à elles seules pour saisir le type démocratique. Bien qu'elles
soient nécessaires quant à la définition dudit type ;
toutefois elles traduisent plus un statisme de l'homme que son dynamisme,
autrement dit, elles ne sont pas en mesure d'expliquer ses
déterminations ou ses mobiles. Seul le concours de la volonté
peut aider à comprendre l'homme en tant qu'il est un
êtrepour-l'acte, car la volonté « consiste seulement,
comme dit Descartes, en ce que nous pouvons faire une chose, ou ne la faire pas
(c'est-à-dire affirmer ou nier, poursuivre ou fuir), ou plutôt
seulement en ce que, pour affirmer ou nier, poursuivre ou fuir les choses que
l'entendement nous propose, nous agissons en telle sorte que nous ne sentons
point qu'aucune force extérieure nous y contraigne.17
»
Le sujet autonome propre aux régimes ou
société dites démocratiques n'a pas attendu
l'avènement de la démocratie pour se voir s'octroyer, par les
principes démocratiques mêmes inscrits dans les Constitutions, ce
fondamental. L'autonomie, en tant qu'elle est autant un mode du sujet
même, est redevable aux « hérésies » protestantes
et jansénistes qui ont contribué à son accomplissement.
La Réforme, née en Allemagne autour de 1520,
qualifie un mouvement religieux de dissidences. Elle se porte à faux
contre certaines pratiques ecclésiastiques pour gagner le salut. Luther
qui est l'instigateur principal de ce mouvement religieux qualifié
d'hérétique se livre à une analyse de l'homme pour
disgracier les thèses de l'Eglise se rapportant au salut.
17 René Descartes, Méditations
métaphysiques, IV, Paris, Gallimard, 1979, p. 139
Pour les réformateurs luthériens, les pratiques
ecclésiastiques comme la prière ne sont pas
indispensables pour faire « gagner à quelqu'un le ciel », car
du fait que l'homme est fait à l'image de Dieu, « toutes les
bonnes oeuvres qui pourront éternellement se produire par et dans le
corps18 » demeurent inefficaces. Ces idées
contenues dans les quatre vingt et quinze thèses de Luther peuvent
être résumées en ceci : Dieu seul, la foi seule, l'Ecriture
seule. Elles contestent la place occupée jusqu'alors par l'Eglise,
tiennent la religion comme une « affaire » personnelle et non de
communauté ; reconnaissent l'Ecriture comme seule source de
vérité en rejetant les interprétations et commentaires
faits par l'Eglise sur la religion. Ce faisant, elles prônent que le
sacerdoce doit être universel, c'est-à-dire que tous les
chrétiens sont « prêtres » et doivent avoir le
même accès et le même pouvoir auprès de Dieu, que le
pasteur n'est qu'un ministre du culte et non un intermédiaire entre Dieu
et les hommes.
La Réforme protestante, à travers toutes ces
idées, toutefois révolutionnaires, propose, si elle n'impose pas,
une nouvelle conception ou définition de l'homme. Celui-ci doit
être le sujet autonome qui doit s'imposer à se départir -
volontairement - de toute autorité extérieure, doit être sa
propre référence morale, puisqu'il est libre de se plier ou de ne
pas se plier à des règles de morale commune et à toutes
valeurs reçues. C'est le culte du moi qui est alors à l'honneur,
avec ses propres valeurs y correspondant. L'homme devient alors un sujet
éthique, étant donné la possibilité de
négation par lui de toutes règles collectives.
18 Martin Luther, De la liberté du
chrétien, préface à la Bible, Seuil, 1996,
p. 31
La nouveauté dont la Réforme est l'artisan est
la promotion d'une nouvelle conception de l'homme - individu autonome - dont la
dissidence janséniste et la philosophie des Lumières participent
à l'ancrage psychologique et sociologique dans la
société.
C'est parce que la démocratie est inconcevable sans une
autonomie de la personne que Rawls et Habermas ont chacun pourvu ce fondamental
à l'homme démocratique à l'oeuvre dans leurs
théories alternatives de la démocratie libérale telle
qu'elle existe. L'autonomie coïncide avec la volonté et c'est
grâce à son concours qu'un gouvernement civil peut être
institué.
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