3.3 Constitution et éthique
La France entretient un rapport moins critique avec son
histoire, elle adule ses figures historiques, refoule les luttes politiques et
sociales qui ont rythmé son processus démocratique. En revanche,
son rapport avec sa Constitution reste cependant plus critique contrairement
aux Etats-Unis où celle-là, même si elle devient de plus en
plus critiquable et critiquée, bénéficie par ailleurs
d'une sacralité lui permettant de garder son « harmonie »
originelle.
Tandis que les Etats-Unis gardent depuis toujours la
même Constitution, la France reste, quant à elle,
caractérisée par une instabilité constitutionnelle,
c'est-à-dire par une modification de sa Constitution, laquelle ôte
toute sacralité aux textes matérialisant cette dernière.
La démocratisation de la France est marquée par
l'institutionnalisation de cinq Républiques ponctuées par
l'adoption de quinze Constitutions. Cet état de fait, à savoir la
modification de la Constitution traduit un rapport bien déterminé
de celle-ci avec les nouveaux mouvements sociaux.
Il n'y a pas en France de « gardiens du temple
», comme dit Denis Lacorne, lesquels, dans des périodes de
mouvements sociaux critiques, cherchent dans la Constitution « les
vérités premières des pères fondateurs ».
L'interprétation de la Constitution est moins une
exégèse qu'une tentative de conciliation des revendications d'un
nouveau mouvement social, par exemple, et des principes constitutionnels
actuels. En France le décentrement de l'Etat qui signifie la non
coïncidence entre le droit et l'Etat (le droit n'est plus exclusivement le
produit de l'Etat) s'accompagne de la promotion d'une nouvelle catégorie
d'individus sur le plan politique et administratif : les magistrats.
C'est parce qu'il y a maintenant divers acteurs dans la
construction du droit en France et de plus en plus de droits,
revendiqués par des groupes sociaux, que la place du magistrat devient
davantage important. Ce dernier tient le rôle, non de gardien du temple,
mais de pourvoir aux revendications de certains mouvements un statut juridique
devant leur donner une autonomie dans la société.
La réduction du rôle de l'Etat entraîne
avec elle un double mouvement: la montée en puissance des magistrats et,
à l'inverse, le décentrement de l'Etat, d'où la soumission
de celui-ci, comme la société civile, au droit. Nous parlons de
ce fait d'un Etat de droit pour caractériser ainsi cette tendance.
Certains vont jusqu'à parler d'une démocratie
des magistrats, laquelle ne traduit pas seulement une dynamique sociale, mais
aussi une crise de légitimité de la politique, notamment de la
représentation. La « juridicisation » croissante de la
société tend à réduire le lien social en
proliférant les normes : le droit a tendance à devenir le seul
lien social. La fraternité qui doit ou devait
être le médium social devant unir le juridique et le social perd
son efficience.
Les politiques cherchent à promouvoir une autre valeur
pouvant empêcher l'atomisation de la société. L'heure est
ainsi à la solidarité pour permettre une cohabitation,
disons normale, de la diversité désormais caractéristique
de la société française. N'est-ce pas une des raisons de
la promotion d'une démocratie locale ou de proximité ?
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