Conclusion
Parler d'une démocratie particulière, par
exemple la France ou les Etats-Unis, pour désigner une diversité
de démocratie, par exemple la démocratie occidentale, n'a pas de
sens et reste sans doute un abus de langage. Il y a des démocraties
différentes les unes des autres : il n'y a pas dans le monde deux
démocraties qui se ressemblent, de même qu'il n'y a pas dans la
nature deux feuilles d'arbre qui se ressemblent(principe des indiscernables de
Leibniz).
Toute démocratie s'insère dans une tradition
politique, culturelle, économique et sociale bien
déterminée qui, en l'informant, lui donnent aussi bien une
spécificité qu'elles lui tracent la voix à suivre dans le
long processus de démocratisation. La démocratie française
et la démocratie américaine, bien qu'elles reposent toutes deux
sur les mêmes fondamentaux (liberté, égalité et
autonomie) et sur une tradition historique différente tendent à
une même démocratie sociale qui diffère à bien des
égards de la conception originelle que chacun s'était fait de la
démocratie. Ils tendent à forme communautaire de la
démocratie. La seule différence reste le fait que les
Américains ont reconnu ce fait et, en dépassant le débat
universitaire sur ce sujet, ont réussi à institutionnaliser cette
forme de démocratie, tandis que les Français, restant prisonniers
de leur tradition et idéal républicain, refoulent le
communautarisme quoique ce dernier, malgré les refoulements, surgissent
dans l'espace public.
C'est parce que la démocratie n'est pas du seul ressort
de la politique, mais des individus composant la société. Ceux-ci
étant déterminés par les fondamentaux de liberté,
d'égalité et
d'autonomie demeurent des conquérants d'une autonomie
de plus en plus réelle et réclament une justice sociale et des
droits correspondant à leurs conditions. C'est pour cela que nous
préférons parler de la démocratie comme un processus
(démocratisation) et non comme un acquis indépassable
extérieur à la temporalité historique. La
démocratie le serait si elle ne relevait que des institutions politiques
et de la technique démocratique : le vote, les élections etc.
Il faut dire que la démocratie est une idée
particulière, autrement dit une conception au point qu'une certaine
démocratie ne peut pas abriter n'importe quel individu. L'homme qui lui
convient est son citoyen, lequel est taillé sur mesure suivant les
principes et l'idéal démocratique qui sont à l'oeuvre. Et
qu'en est-il des droits dits de l'homme ?
Ces derniers ne préexistent pas aux droits civils, ils
viennent, nous semble-t-il, les compléter. Ce qui semble justifier notre
idée selon laquelle la démocratie est une interprétation
du monde. Or, si elle ne l'était pas toutes les démocraties
reposeraient en premier chef sur les droits de l'homme et non sur les droits
civils, lesquels dérivent certainement des premiers.
Pouvons-nous concevoir une démocratie universelle comme
beaucoup de penseurs sont porter à le faire ? ou une
démocratisation universelle dont les principes et l'idéal sont
dictés par une démocratie particulière comme les
Etats-Unis ou la France?
Toutes les deux alternatives restent une utopie dans la mesure
où, d'une part, une démocratisation universelle fondée sur
une tradition de l'histoire des idées, notamment des droits de l'homme
ou des gens (comme c'est le cas chez Rawls
dans Le droit des gens)reste trop
centrée étant donné qu'elle calque la conception
libérale des droits, lesquels sont édictés par des
institutions politiques ou des Etats ; d'autre part, une démocratisation
dictée par un Etat phare, porteur du flambeau démocratique est
une contradiction, car étant donné que la démocratie est
un processus aucun n'Etat n'est légitimement ni légalement en
mesure d'imposer à d'autres Etats ses principes et idéaux puisque
chacun « est partie, et même objet du litige, et non
juge127 » : il faut être ne dehors du processus
démocratique, c'est-à-dire l'avoir épuisé pour
pouvoir s'investir un tel rôle.
L'accession à une démocratie universelle nous
semble absurde, car elle signifie que tous les Etats sont
démocratiquement au même pied. Or, la démocratie
universelle est un processus (une démocratisation) dont l'«
effectivité » ne nécessite pas seulement des mesures
politiques et économiques, mais le concours de l'homme.
Que les Etats le veuillent ou non la démocratie finira
par être fondamentalement sociale, car elle reflète la
diversité sociale et celle-ci, composé de communautés ou
de forces de valeurs de plus en plus animées par un désir de
reconnaissance et une revendication d'égalité et de justice
sociales, conteste à l'Etat son monopole de « machine à
fabriquer le droit ». Les communautés participent, elles aussi,
à la construction des règles juridiques en réclamant des
droits correspondant à leurs conditions.
Les communautés aussi bien que les individus sont
dotés des fondamentaux de liberté, d'égalité et
d'autonomie leur permettant de s'imposer dans l'espace public, aussi
national
127 Friedrich Nietzsche, Crépuscule des
idoles, Paris, Gallimard, 1974, p. 20
qu'international. Car, avec les nouvelles technologies, les
communautés et les nouveaux mouvements sociaux arrivent à se
rencontrer dans des espaces virtuels, les forums notamment, et, en conjuguant
leurs soutiens, parviendraient à devenir des moyens de pression
efficaces pour faire avancer et ouvrir le droit à d'autres secteurs de
la vie.
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