3.2 Le postmatérialisme et les nouveaux mouvements
sociaux.
Le postmatérialisme, né après la seconde
guerre, inaugure une nouvelle culture en inaugurant du même coup un
nouveau rapport de l'individu à la politique. Il est
théorisé pour la première fois par Inghelhart dans son
ouvrage qui s'intitule The silent Revolution : changing values and
political styles among western publics(la Révolution
silencieuse en français) et plus en détail dans
La tradition culturelle dans les sociétés industrielles
avancées. Le postmatérialisme correspond selon
Inghelhart à la volonté des individus de satisfaire des besoins
davantage qualitatifs que quantitatifs comme par exemple se vêtir ou
manger. C'est parce que ces sociétés dites industrialisées
telle que la France sont marquées par une abondance et un
développement économique de plus en plus croissants au point que
les individus, une fois qu'ils ont réglé leurs besoins
matériels tournent vers d'autres qui sont immatériels.
D'où le nom donné à ces types de société qui
abritent cette nouvelle figure de l'individu : les sociétés dites
de consommation. Celles-ci participent d'une dynamique que Norbert Elias
appelle la « civilisation des moeurs », laquelle renvoie
à un double processus dont l'un
est s'adjoint à l'autre: la « socialisation
» et la
« psychologisation ». Ce double processus
traduit en fait, nous semble-t-il, une dynamique d'individualisation et
d'individuation, lesquelles affectent le capital psychique et émotionnel
des individus.
En devenant narcissiques, les hommes s'autonomisent et restent
moins déterminés par des valeurs préexistantes. Cette
dynamique d'individuation et d'individualisation est doublée, ne
l'oublions pas, d'un désir d'attestation de soi, c'est-àdire
d'une quête de reconnaissance qui fait que les individus imposent au
pouvoir politique ou à l'Etat certains droits que celui-ci doit adopter
afin de subvenir à leur cause.
C'est désormais autour de certaines valeurs communes ou
partagées que des individus, en s'y structurant, acquièrent une
identité dans l'espace public français et réclament une
reconnaissance juridique. Les valeurs ou droits dont certaines «
minorités » demandent la reconnaissance peuvent être
considérés comme des références morales (nous
dirions éthiques) autonomes pouvant être marginales par rapport
aux principes moraux canoniques. C'est l'exemple du mouvement des homosexuels,
lesquels, se structurant autour d'une conception de la sexualité
d'emblée marginale, réclament un statut juridique pouvant faire
d'eux une communauté de valeurs autonome.
Ce qui caractérise ces genres de mouvement dits
nouveaux mouvements sociaux est le fait que, s'étant
imprégnés de la culture postmatérialiste, ils se
détachent des revendications matérialistes au profit de celles
qui sont immatérielles (qualitatives), c'est-à-dire en rapport
direct avec les « qualités » de la vie. Certains nouveaux
mouvements sociaux, bien qu'ils puisent ses principes de la culture
postmatérialiste, sont en revanche moins
déterminés par un besoin de reconnaissance juridique de leur
conception de la vie (la sexualité par exemple) que d'une exigence de
justice sociale (comme la parité ou l'égalité des genres),
que d'une revendication d'une vie meilleure (c'est l'exemple des mouvements
écologiques).
Ces nouveaux mouvements sociaux, de même que les
minorités ethniques aux Etats-Unis, sont une force de valeurs,
c'est-àdire des ensembles de personnes unies par une même
volonté et oeuvrant à la réalisation d'une idée. De
ce fait, en obligeant l'Etat à observer leurs causes, ils opèrent
ainsi un nouveau rapport face au droit. Ces nouveaux mouvements, sinon
proposent, du moins imposent à l'Etat d'adopter des règles
juridiques devant correspondre à leurs causes. En cela ils ouvrent, en
l'élargissant sans doute, le champ juridique (pas au sens bourdieusien
du terme, mais en tant qu'il désigne l'ensemble des règles de
droit qui structurent une société donnée), car des droits
correspondant à chacune des revendications que scande un mouvement,
écologique, de genre par exemple, intègrent le système
juridique.
Les nouveaux mouvements ne constituent pas à eux seuls
une force suffisante pouvant faire incliner l'Etat face à certaines
revendications dont ils sont porteurs. Hormis l'appui des médias,
lesquels vulgarisent leurs causes, les nouveaux mouvements
bénéficient de la collaboration d'experts dont le rôle
consiste à leur pourvoir une légitimité évidente
auprès de l'opinion publique et du pouvoir politique, l'exemple du GISTI
illustre bien ce fait. Le GISTI crée dans les années 1970 par des
énarques, experts du droit, dénonce une zone d'infra-droit dans
laquelle les pouvoirs politiques laissent se cloisonner les immigrés
travaillant en France. Ainsi, le GISTI, en collaborant avec les
immigrés, dénonce
d'une part cette zone de non-droit ou d'infra-droit et,
d'autre part, assiste ces derniers en leur donnant les outils juridiques
nécessaires pour rendre légales leurs luttes. Les nouveaux
supports de communication tels qu'Internet ne demeurent pas en reste, ils
participent eux aussi à rendre les nouveaux mouvements de plus en plus
puissants et influents parce que, en facilitant particulièrement les
conditions d'adhésion, ils sont plus à même de rassembler
une masse importante d'individus(de nationalités, de cultures, de
religions de conditions et de statut divers) partageant les mêmes
idées que revendiquent un certain mouvement.
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