2.4 Le communautarisme, oxymore de la morale politique
Les mouvements communautaires de l'après-guerre ont
sans doute contribué au changement de la démocratie
américaine, car celle-ci cesse de reposer sur un libéralisme
individualitse au profit d'un libéralisme politique dont l'unité
de base demeure désormais la communauté. Nous pouvons dès
lors parler d'une démocratie ethnicisée.
Les Etats-Unis s'insèrent ainsi dans un autre paradigme
de compréhension de la démocratie. La morale politique des
origines et de la période du melting-pot cède sa place
à la morale communautaire ou multiculuraliste. Cette dernière
morale est caractérisée par le fait qu'elle ait les
possibilités de donner un coup de force à la Constitution dans le
but de se voir accorder des valeurs ou droits qu'elle scande dans l'espace
public des Etats-Unis.
Le mouvement communautarien est une politique de la
reconnaissance, comme nous l'avons évoqué plus haut. Il porte la
cause d'un triptyque : la race, le genre et la culture, lesquels, même
s'ils se recoupent, détiennent une autonomie leur permettant de se
constituer en groupes ou minorités distinctes. Ce triptyque tient
respectivement son répondant de l'ethnie ou race noire, par exemple, du
féminisme et de la culture négro-africaine entre autres.
121 W. J. Rorabaugh, « Contestation de l'autorité,
aspiration communautaire et lutte politique dans les années soixante :
l'exemple de la nouvelle gauche, du Black power et du féminisme ».
In Heffer-Ndiaye-Weil, La démocratie
américaine, Belin, 2000, p. 235
Ainsi le communautarisme ou le multiculturalisme (ces deux
termes sont interchangeables par que synonymes) est-il, comme le dit bien
Philippe Raynaud, « l'étendard dont se réclament des
?minorités? dont l'identité ne doit à peu près rien
à une
différence ?culturelle? stricto sensu, car leur
situation dominée provient, d'un côté d'un
préjugé racial (les Noirs) et, de l'autre, d'une articulation
particulière entre la loi, le droit et la vie privée qui favorise
une extrême politisation des questions de moeurs et des relations entre
les sexes (ou entre les genders) ; cet étendard est sans doute
politiquement utile parce que la notion de ?culture? (elle-même issue de
l'immigration et de l'assimilation réussie d'une notion allemande...)
donne une légitimité à des groupes marginalisés ou
infériorisés par des préjugés encore vivaces, mais
il ne doit pas dissimuler que, pour l'essentiel, le débat sur la
promotion des ?minorités? porte sur autre chose que sur
les relations entre les ?origines nationales, religieuses et
culturelles? des citoyens et leur identité ?américaine?
122»
Les communautés sont porteuses d'une éthique
qui, portée sur l'espace public, réclame une reconnaissance
politique. Ainsi, dans la lutte, supposant le préalable d'une
acquisition de parole politique légitime, les communautés
imposent-elles à la morale politique suprême une éthique
qui peut sur beaucoup de points s'opposer à cette morale. Les valeurs
éthiques qui conduisent le mouvement socio-politique de Martin Luther
King illustrent bien cet état de fait. Ce dernier, en s'inspirant de
« l'existentialisme chrétien de Paul Tillich et de la
théorie de la non-violence de Gandhi(...) estimait que la
suprématie blanche reposait sur un mélange d'humiliation et de
violence à l'origine du désespoir et du découragement
des
122 Philippe Raynaud, « Multiculturalisme et
démocratie » pp. 154-155
Noirs. » Aussi insiste-t-il « sur le
rôle primordial de l'amour et la vacuité de la notion de
race123 »
L'éthique communautaire et la morale politique
américaine, s'incarnant dans la Constitution fédérale,
sont tenues à une obligation ou une valeur pour faire chemin ensemble et
servir à la démocratisation : le compromis. Ceci n'est pas une
nouveauté, il remonte aux Pères fondateurs qui, afin de ratifier
la Constitution, avaient fait usage de compromis pour faire entrer la Caroline
du Sud (esclavagiste) et la Caroline du Nord (anti-esclavagiste) dans
l'union.
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