I- LES DÉFAILLANCES DES POLITIQUES AGRICOLES
La politique éconmique au Cameroun depuis son
indépendance en 1960 a toujours accordé une place
particulière au secteur agricole. C'est ainsi que Amadou AHIDJO
déclarait à l'ouverture du Comice agropastoral de Buéa en
1973 que « Avant l'or noir, il y avait l'or vert, et après l'or
noir, il y aura l'or vert »24. Les autorités
camerounaises se sont depuis rendues à l'évidence que la voie du
développement économique passe par le développement de
l'agriculture. Ceci parce que cette activité a toujours
été la principale en milieu rural, « milieu qui reste le
plus concerné par le faible niveau des revenus ainsi que la
précarité des conditions de vie »25. Ainsi,
toute politique d'améliorartion des conditions de vie des populations
passerait par l'augmentation de la production agricole.
De 1960 jusqu'au milieu des années 1980,
l'économie camerounaise est passée par une phase de planification
caractérisée par l'application de plans quinquénaux. Au
final, six plans quinquénaux ont été mis en ceuvre. Cinq
ont été exécutés entièrement et le
sixième fut interrompu par la crise économique des années
1980. Dans chacun de ces plans quinquénaux, l'agriculture ressort comme
un des principaux élémemts sur lequel devait se baser le
développement économique. Les objectifs de ces plans seront donc
logiquement centrés sur le secteur agricole ainsi que les
stratégies de développement rural. Le deuxième plan
quinquénal
24 L'or vert c'est
l'agriculture et l'or noir c'est le pétrole.
25 Hervé BELLA,
Agriculture et croissance économique au Cameroun, ISSEA, juin
2009, p.13.
(1966-1971) a même été baptisé
« Plan du paysan ». Globalement, les buts visés par
les quatre premiers plans quinquénaux sont sensiblement les mêmes
et peuvent se résumer par :
- l'augmentation de la production agricole tant
vivrière qu'industrielle ;
- l'amélioration de la productivité dans le
secteur agricole ;
- l'amélioration des revenus du monde rural
;
- le développement des structures de
transformation locale.
C'est ainsi que durant cette période des plans
quinquénaux, l'Etat est fortement impliqué dans
l~élaboration et la mise en ceuvre de la politique agricole.
« Il est présent dans les
différentes phases de l'exécution de celle-ci. Il s'engage dans
les opérations de production, de distribution, de commercialisation, de
la recherche. Son souci était d'assurer l'encadrement gratuit des
agriculteurs de la production à la commercialisation, y compris le
financement. »26
Pour la commercialisation, les prix d'achat aux
producteurs, pour certaines productions, étaient administrés par
l'Etat. Lequel Etat s'était constitué « maître
d'ouvrage » et « maître d'oeuvre ». Les
ministères de l~agriculture et de l'élevage disposaient de
structures déconcentrées qui fournissaient un encadrement aux
paysans : distribution gratuite des intrans, centres de stockage, centres de
conseils et de vulgarisation.
Dans cette lancée, l'Etat a créé
des sociétés de développement, à qui il incombait
l'encadrement des paysans ainsi que la facilitation, pour ces derniers, de
l~accès aux crédits et intrans agricoles. Leur action a
porté sur la production, la formation et l'information des paysans,
ainsi que la garantie d'un circuit de commercialistion assez fiable. Par
exemple, pour encadrer les producteurs de riz, l'Etat créa la
Société d'Exploitation et de Modernisation de la Riziculture de
Yagoua (SEMRY), la Société de Développement de la
Riziculture de la plaine de Mbo (SODERIM), ou encore la Upper Noun Valley
Development (UNVDA) ; pour le blé et le maïs, la
Société de Développement du Blé (SODEBLE) ; pour le
coton la Société de Développement du Coton (SODECOTON)
...
A côté des sociétés de
développement mais assez proches, les missions de développement
sont nées pour répondre à des besoins immédiats
dans les domaines oil l'Etat n'a pas jugé utile de créer une
société de développement. A l'instar de la Mission de
Développement des Cultures Vivrières et Maraîchères
(MIDEVIV).
26 Hervé BELLA,
op.cit., p.15.
Par ailleurs, des organismes financiers ont vu le jour
dans l'optique d'apporter un appui financier aux agriculteurs ; ainsi que des
banques de développement. Des principaux organes ayant joué un
rôle majeur dans la mise en ceuvre de la politique agricole camerounaise
; on peut retenir le Fonds National de Développement Rural (FONADER), la
Banque Camerounaise de Développement (BCD), le Crédit Agricole de
Cameroun (CAC).
Pour ce qui est de la recherche, le décret
n° 96/050 du 12 mars 1996 crée l'Institut de Recherche Agricole
pour le Développement (IRAD) sous les cendres de l'Institut de Recherche
Agricole (IRA) et l'Institut de Recherche Zootechnique (IRZ), dont il a
été la fusion. Il lui a été assigné pour
mission de conduire les activités de recherche visant la promotion du
développement agricole dans les domaines de productions
végégtales, animales, halieutiques, forestières et de
l'environnement, ainsi que des technologies alimentaires et agro-industrielles.
Elle travaille en collaboration avec la SODECOTON, la SEMRY, etc.
Certains établissements d'enseignement
supérieur assurent la formation des cadres d'agriculture. Il s'agit de
la Faculté d'Agronomie et des Sciences Agricoles (FASA) de
l'Université de Dschang ou encore de l'Ecole Nationale Supérieure
des Sciences Agroindustrielles (ENSSAI) de l'Université de
Ngaoundéré.
L'on ne saurait oublier le Programme National des
Engrais (PNE), créé en 1960 avec pour objectifs de sensibiliser
la population sur l'usage rationnel des engrais, mettre en évidence
l'efficacité des engrais par des démonstrations pratiques. Les
instrans agricoles étaient subventionnés par l'Etat et
distribués aux agriculteurs. « Ce taux de subvention allait de
75% en moyenne pour les engrais à 100% pour les produits phytosanitaires
»27.
Voilà peint, en quelques lignes, le tableau des
bonnes intentions manifestées par les pouvoirs publics pour encadrer
l'agriculture camerounaise, et partant, assurer la production alimentaire qui
devait faire du Cameroun « le grenier de l'Afrique centrale
»28.
Cependant, des dysfonctionnements ou des failles ne
vont pas tarder à apparaître dans ce bel édifice. Des
facteurs endogènes et surtout exogènes pousseront les pouvoirs
publics à remettre leurs politiques en cause. En réalité,
après la phase de planification et en raison de la mauvaise conjoncture
économique marquée par la crise de la décennie 80, l'on a
assisté à une phase de libéralisation. Le gouvernement,
conjointement avec le Fonds Monétaire International (FMI) a mis en place
les Programmes d'Ajustement Structurel (PAS) ainsi que la Nouvelle Politique
Agricole (NPA) dès 1990. Avec l'application de cette NPA, le rôle
de l'Etat a été profondément modifié dans le
secteur agricole. Les mesures de protection et d'encadrement dont
27 Hervé BELLA,
op. cit., p.17.
28 Antoine SOCPA, De
l'insécurité alimentaire au Cameroun, in Enjeux n°23,
Avril-Juin 2005.
bénéficiaient les agriculteurs ont
été levées. Par exemple dès 1989, la distribution
gratuite d'intrans sera suspendue. Cette mesure sera suivie d'un arrêt
des subventions aux engrais, pesticides et herbicides.
Dans leur immense majorité, les organismes
créés par l'Etat ne survivront pas très longtemps. Ils
seront, soit restructurés, soit tout simplement liquidés et
fermés. C'est ce deuxième sort qui fut réservé au
FONADER et à la BCD en 1989 à cause de leurs mauvaises
performances financières et de leur incapacité à mobiliser
et à recycler l'épargne rurale. Ils représentaient de
véritables gouffres financiers qui, non seulement se sont
révélés incapables de remplir leurs rôles, mais
aussi et surtout ont été victimes du manque d'orthodoxie dans la
gestion de la part de ceux qui étaient à leur tête. A titre
d'illustration, l'UNVDA a englouti près de 7 milliards de frs CFA de
1981 à 1987, la SODERIM environ 7,1 milliards entre 1976 et 1987, la
SEMRY plus de 40 milliards de 1979 à 198829.
Les victimes n'étaient pas constituées
uniquement des agriculteurs qui étaient censés profiter des
services de ces organismes, mais ceux des fonctionnaires qui y travaillaient
n'ont pas connu une issue heureuse non plus.
La survivance de l'IRAD ne saurait nous tromper, en
aucun cas, sur l'ampleur du désintérêt de l'Etat pour la
promotion du secteur rural. L'IRAD a en effet du mal à faire savoir son
savoir-faire auprès des petits agriculteurs, qui représentent
pourtant plus de 85 % de la production nationale et qui souffrent de de la
concurrence déloyale des agriculteurs du Nord nantis d'Organismes
Génétiquement Modifiés (OGM) et de colossales
subventions.
Par ailleurs, « les résultats
antérieurs de la recherche ont été très peu
exploités à cause d'une part de leur inadaptation aux besoins des
producteurs agricoles ; et d'autre part de l'inorganisation des services de
recherche et de vulgarisation .»30
De plus, les étudiants formés à
l'ENSSAI ou à la FASA ont cessé d'être
intégrés automatiquement à la fonction publique dès
la fin de leur formation. Leur expertise qui s'est, dans le passé,
avérée très précieuse, n'a plus été
apportée aux agriculteurs. Ces écoles ont de moins en moins
attiré les candidats car beaucoup d'entre eux n'envisageaient pas la
perspective du chômage après la formation alors que la
règle générale, dans un environnement
socioéconomique devenu très précaire, est la quête
de moyens de survie.
L'Etat en se désengageant, a laissé le
financement de l'agriculture depuis les années 1990 aux mains des
bailleurs de fonds à travers des projets et programmes. L'Agence
Française de Développement (AFD) et l'Union Européenne ont
été les principaux pourvoyeurs de fonds du
29 MINADER,
Stratégie nationale de développement de la riziculture au
Cameroun, mouture III, Mars 2009.
30 Hervé BELLA,
op.cit., p.19.
Projet Crédit Rural Décentralisé
(PCRD). Le PNVRA a comme principal bailleur de fonds le Banque Mondiale.
L'Agence Canadienne pour le Développement International finance des
microprojets productifs en faveur des femmes. Mais les priorités de ces
bailleurs ne correspondent pas toujours à celles des populations. Ils
financent les projets qu'ils veulent bien financer ou alors qu'ils portent dans
leurs valises.
En abandonnant les agriculteurs à
eux-mêmes, la conséquence inéluctable a été
la chute progressive de la production agricole nationale.
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