Décentralisation et gestion durable des ressources forestières au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Fernande Abanda Ngono Université de Yaoundé2-Soa/Cameroun - Diplome d'études approfondies 2009 |
Chapitre II : LA CONSECRATION DES GARANTIES NORMATIVES NECESSAIRES A UNE GESTION DURABLE DES FORETS.Pour le professeur JEAN LOUIS BERGEL118(*), il est important de remonter à l'intention qui a guidé la rédaction de la loi, « La fin poursuivie par le législateur compte plus que la lettre de la loi ». La loi forestière affiche clairement l'intention du législateur de transposer les recommandations issues des conventions internationales sur les forêts dans l'ordre interne. Il faudrait certainement rappeler le rôle pragmatique et pédagogique qui incombe au législateur en ce qui concerne le droit de l'environnement. En effet, c'est lui qui appose le sceau de la validité aux recommandations internationales sur l'environnement pour leurs permettre d'entrer dans l'ordre interne. L'évolution législative de la gestion décentralisée témoigne du souci du législateur d'asseoir une dynamique de participation, et de responsabilisation pour assurer la convergence des différents intérêts en présence. Aussi, l'affirmation du principe de participation (section I) dans la gestion des forêts concoure tout comme la responsabilisation accrue des acteurs (section II), à la mise en place des garanties pour une gestion durable de l'écosystème forestier camerounais. Section I : L'AFFIRMATION DU PRINCIPE DE PARTICIPATION.Si le principe de participation n'est pas spécifique au droit de l'environnement119(*), le caractère englobant de l'environnement à très tôt impliqué son développement dans la construction de la discipline. Il semble avoir trouvé un terrain de prédilection dans le domaine de la gestion des ressources naturelles, qui en fait un des critères essentiels de la durabilité. Comme le souligne le Doyen MICHEL PRIEUR, « le développement durable n'a de sens au plan politique que si les décisions sont prises par ceux qui en subiront les effets ou du moins avec leur active participation »120(*). La reconnaissance du territoire pertinent et partant de la proximité dans la gestion des ressources forestières, est une donnée importante dans la législation forestière, qui, en appliquant un régime particulier de participation aux populations avoisinantes, fait montre de son engagement international pour la prise en compte de l'identité et de la culture des communautés villageoises dans la gestion de « leurs » ressources forestières. Aussi, le mérite d'une application localisée du principe de participation s'apprécie à travers sa construction localisée (paragraphe I), et la mise en place de mécanismes d'action (paragraphe II) ; supports incontournables d'une décentralisation de la gestion forestière productive sur le plan socio économique et écologique. Paragraphe I : LA CONSTRUCTION LOCALE DE LA PARTICIPATION.Au Cameroun, la gestion des forêts est construite sous le prisme de la proximité. Ce qui ne signifie pas qu'elle ne concerne que les riverains. En effet, l'environnement est défini au préambule de la constitution comme « le patrimoine commun de la nation », ce qui implique que la participation devrait être citoyenne et non locale ou riveraine. Toutefois, le législateur a procédé à une distinction d'échelon de participation121(*) , celle-ci a pour vocation de traiter les questions d'environnement et de développement en assurant la participation de tous les citoyens au niveau qui convient. Ces différents « échelons sociales », convergent dans leur élan pour impulser une participation civique nationale, et même globale. Le riverain se considère donc à la fois comme le citoyen d'une localité et le citoyen de la nation122(*). En même temps, comme le souligne FOUMENA BELINGA GABRIEL123(*), la décentralisation, mouvement de reconnaissance d'une certaine autonomie au profit d'entités locales de taille plus réduite que l'Etat, offre davantage d'opportunités aux citoyens de s'impliquer dans la vie publique grâce à ses éléments constitutifs. Mais en ce qui concerne les décentralisations environnementales, la participation directe semble avoir prit le dessus sur la représentation. En outre, les enjeux (A) et les prérequis (B) de la construction locale de la participation dans la gestion décentralisée affichent le souci de durabilité du cadre juridique. A) Les prérequis de la construction locale de la participation. Selon le programme Action 21, « la réalisation du développement durable relève de tous les échelons de la société et doit impliquer le maximum d'acteurs sociaux ». Par conséquent, la reconnaissance des droits aux populations riveraines (1), la reconnaissance de la subsidiarité (2) et l'effectivité de l'information (3) constituent les fondements de la participation dans la gestion décentralisée des ressources forestières. Il s'agit d'un processus linéaire, reconnu par le législateur camerounais. 1- La reconnaissance des droits aux populations riveraines. L'implication des populations à la gestion des forêts est la résultante de la prise en compte de droits qui les lient à la proximité de la forêt. Cette reconnaissance a été assez timide au Cameroun, car elle sera concrète qu'avec la loi forestière de 1994. De fait, L'ordonnance N° 73-18 du 22 mai 1973, tout comme la loi 81-13 du 27 novembre 1981 portant régime des forêts, demeuraient assez réticents quant à la reconnaissance de droits propres aux riverains des forêts, ceci s'explique par le contexte de l'avènement de ces lois marquées par un emprunt important des textes coloniaux. La décentralisation ayant pour objectif l'implication les populations à la gestion des affaires publiques, il est donc capital que tout conflit ou relation de force entre l'Etat et les populations soit revisité, ce qui implique une certaine autonomie de gestion donc l'octroie de moyens pour y arriver. Et c'est là tout le bien fondé de la forêt comme chose commune. On ne saurait attribuer un droit exclusif sous le postulat de l'autochtonie au détriment du fondement constitutionnel de l'unité nationale. Le législateur donne plutôt un peu plus de droits aux riverains par rapport au reste de la population. Il prévoit, outre les droits exclusifs accordés dans des forêts communautaires et communales, le droit d'usage, d'usufruit et de préemption aux populations riveraines dans tous les espaces du domaine sous réserve des restrictions de la loi. La loi sur les forêts 124(*) stipule à cet effet que « le droit d'usage ou coutumier est au sens de la présente loi, celui reconnu aux populations riveraines d'exploiter tous les produits forestiers, fauniques et halieutiques à l'exception des espèces protégées en vue d'une utilisation personnelle. ». De même, l'arrêté N° 0518/MINEF/CAB125(*) souligne que « les communautés villageoises jouissent d'un droit de préemption en cas d'aliénation des produits naturels compris dans leurs forêt »s. La prise en compte de leurs droits à pour conséquence l'application de la subsidiarité à leur profit. 2- La reconnaissance de la subsidiarité. La subsidiarité est un concept Janus dans la gestion décentralisée des ressources forestières. Sa reconnaissance constitue la base de toute application localisée du principe de participation. Elle recouvre à la fois le sens constitutionnel et environnementale. Lorsqu'il s'agit à proprement parlé de Décentralisation, le principe de subsidiarité postule l'idée selon laquelle « les compétences sont attribuées à l'instance administrative, élu ou nommée, la plus proche de ceux que les compétences concernent et la mieux à même de les exercer ». Dans le droit de l'environnement, « la subsidiarité vise à déléguer la responsabilité d'une action publique environnementale à l'échelon inferieure capable de résoudre le problème avec autant d'efficacité126(*) » ; il s'agit de trouver le bon niveau d'action publique. La subsidiarité apparait alors comme un principe et un précepte général dans l'organisation des communautés : il implique que les décisions et leur application doivent intervenir au niveau le plus bas possible dans la hiérarchie des gouvernements et autres institutions127(*). Chacun des niveaux plus élevés doit être considéré comme subsidiaire, devant s'effacer devant le niveau inférieur, et n'intervenant qu'à l'instar d'un filet de sauvetage, lorsque pour une raison quelconque, le niveau inférieur ne peut pas résoudre le problème. Ainsi dans la gestion des forêts, la reconnaissance de la subsidiarité a pour conséquence l'application localisée du pouvoir qui peut alors revenir au niveau le plus bas ; ce qui est l'essence même du transfert de gestion opéré par la loi de 1994 et confirmée en 2004. Rappelons tout de même que la loi cadre de 1996 consacre un principe de subsidiarité différent, qui concoure tout de même à renforcer la construction d'une participation localisée. En effet, elle reconnait qu' « en absence d'une règle de droit écrit, générale ou spéciale (....) la norme coutumière identifiée d'un terroir donné qui s'est avérée plus efficace s'applique 128(*)». La loi de 1994 portant régime des forêts est le fruit de la prise en compte de la subsidiarité par la volonté politique, à travers un élan de démocratisation. Elle signifie dans le domaine de la gestion des forêts que priorité est donnée aux compétences locales. Ainsi la prise de décision à des niveaux décentralisés favorise l'autonomie des personnes et la participation du public, ouvrant la voie à des choix prenant en compte les conditions locales, surtout lorsque c'est la population riveraine qui est appelée à supporter la majeure partie du coût de la protection de l'environnement et du développement. L'information est la cheville ouvrière de toute participation. Sans information, on ne peut valablement parler de participation. En fait, comment intervenir lorsqu'on ne connait pas véritablement la source de la question. Le législateur prévoit à cet effet une obligation d'information à la charge de l'Etat lors de tout projet sur la forêt ; il est précisé que , « le classement d'une forêt domaniale ou communale dans les régions disposant d'un plan d'affectation des terres est précédé d'une période de trente jours au cours de laquelle le Ministre chargé des forêts informe par avis les populations concernées du projet de classement, et d'une période de quatre vingt dix jours pour les régions n'en disposant pas. Passé ce délai toute opposition éventuelle est irrecevable »129(*). De même, avant d'entreprendre toutes activités forestières, le titulaire d'un titre d'exploitation doit en informer les autorités administratives et traditionnelles130(*). L'information est rendue publique par voie de presse et d'affichage dans les préfectures, sous préfectures, mairies et services de l'administration chargés des forêts de la région concernée, ainsi que par voie de notification aux chefs traditionnels des communautés concernées. En outre, la loi prévoit toutes les voies de communications utiles. La loi cadre sur l'environnement consacre l'obligation d'information, elle stipule que, « toute personne a le droit d'être informée sur les effets préjudiciables pour la santé de l'homme et sur l'environnement des activités nocives, ainsi que des mesures prises pour prévenir ou compenser ces effets131(*) ». L'on retrouve précisément cette obligation dans la procédure d'étude d'impact, les consultations et les audiences publiques sont employées pour informer les populations et recueillir leurs avis132(*). Toutefois, la législation reste muette quant à la question de l'information des populations riveraines sur les fonds issues de l'exploitation forestière. On pourrait peut être se référer à la loi d'orientation de la Décentralisation133(*) qui donne à tout habitant ou contribuable d'une collectivité la possibilité de prendre copie totale, ou partielle des procès verbaux du conseil régional ou municipal, des budgets, des comptes ou arrêtés revêtant un caractère réglementaire. Cette disposition consacre le préalable à toute participation, à savoir la communication des activités menées par les organes directeurs de la collectivité de base. La construction locale de la participation comme outils pour l'efficacité d'une gestion décentralisée des forêts poursuit des enjeux généraux, qui représentent d'une certaine façon, l'idéal poursuivie par tout transfert de compétence en général. B) Les enjeux de la construction locale de la participation dans la gestion des forêts. L'application locale de la participation projette l'impulsion de la démocratie participative(1) et l'instauration de la gouvernance forestière (2). 1- L'impulsion de la démocratie participative. L'approche participative permet d'inscrire dans la durée l'engagement des communautés locales dans la gestion des ressources forestières de leurs terroirs, ce qui a un fort impact sur la démocratie. Le règne de la démocratie participative dans la gestion des ressources forestières est l'objectif de la territorialisation de la gestion des ressources forestières. La « démocratie écologique »134(*) exige une participation qui s'apparente à la démocratie directe. Le cadre juridique de la gestion des forêts au Cameroun a mis en avant la relation entre environnement et développement, en laissant entendre que la démocratie était une condition indispensable pour la lutte contre la pauvreté et pour le développement durable, c'est-à-dire soucieuse des ressources et de l'environnement. Le processus de territorialisation du pouvoir de gestion des forêts amorcé dés 1994 et concrétisé par les lois de décentralisation de 2004 est une preuve de l'objectif d'impulser la démocratie participative dans le domaine. Les politiques publiques de décentralisation ont pour objectif d'induire le développement local. Dans son rapport de 1997, la Banque Mondiale soutient dans cette logique que « les programmes publiques donnent de meilleurs résultats lorsqu'ils sont exécutés avec la participation des bénéficiaires et lorsqu'ils exploitent le potentiel associatif de la collectivité135(*) ».CHARLES NAH MBACK relève à cet effet que, dans cette perspective, « la décentralisation est liée à sa capacité à consolider les liens socioéconomiques à l'intérieur des collectivités locales, elles mêmes assises sur un socle territorial clairement défini »136(*). Ainsi, s'agissant de la participation dans la gestion des ressources forestières, il est évident que c'est elle qui donne un sens à la décentralisation et la légitime. La loi N°2004/017 du 22 juillet 2004 affirme à cet effet que, la décentralisation est l'axe fondamental de la promotion du développement local137(*). Le législateur de 1994 en transférant la gestion de l'espace et en octroyant une partie des revenus tirés de l'exploitation forestière s'y était déjà engagé. La consécration de la participation comme outil de l'effectivité de la décentralisation forestière a pour enjeux le développement local, et l'émergence de la démocratie participative. Ces objectifs ne peuvent être atteints qu'à travers des mécanismes formels de la décentralisation qui lui donnent d'ailleurs tout son sens opératoire. * 118 BERGEL (J-L), op.cit. P 261 ; * 119 La participation entre dans toutes les politiques publiques de l'Etat de Droit * 120 PRIEUR (M), « Démocratie et droit de l'Environnement et du développement » R.J.E.1993-1 Pp13-17 * 121 Le professeur Maurice KAMTO parle de niveaux de participation. Voir le Droit de l'environnement en Afrique op.cit. P 28 * 122 PRIEUR (M) op. cit. p 16. * 123 FOUMENA BELINGA GABRIEL : Décentralisation et participation politique au Cameroun. Mémoire de DEA droit public, université de Yaoundé II 2004, P43 * 124 Article 8 de la loi du 20 janvier 1994 * 125 Art 3a1 de l'arrêté du MINEF fixant les modalités d'attribution en priorité aux communautés villageoises riveraines de toutes forêts susceptible d'être érigée en forêt communautaire. * 126 KISS (A) ET SHELTON (D), op.cit. P 41 * 127 Idem * 128 idem * 129 Article 18 du décret N°94/436/PM du 23 aout 1994. * 130 Article 4 de la décision N°0108/D/MINEF/CAB du 09 février 1998 portant application des normes d'intervention en milieu forestier en république du Cameroun. * 131 Article 7 de la loi cadre sur l'Environnement de 1996. * 132 Article 11 du décret N°2005/0577/PM du 23 février 2005, sur les modalités de réalisation des études d'impact environnemental. * 133 Article 13 alinéa 2 de la Loi d'Orientation de la Décentralisation de 2004. * 134 C'est ainsi que le Professeur MAURICE KAMTO conçoit la démocratie participative en matière d'environnement. Voir le droit de l'Environnement en Afrique, op.cit. P 28 * 135 Banque Mondiale, l'Etat dans un monde en mutation, Rapport sur le développement dans le monde en 1997, P11. * 136 NACH MBACK (C), Démocratisation et Décentralisation, KARTHAKA 2001, P 38 * 137 Article 2 alinéa2 de la loi N° 2004/017 du 22 juillet 2004 |
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