II.Des mesures allant au delà du principe de
réparation intégrale
Il ne s'agira ici que de réparations au titre du
préjudice patrimonial. L'objet de cette subdivision étant de
démontrer que les tribunaux réparaient au delà du
préjudice subi, il convient nécessairement pour
l'apprécier de se référer à une base objective. Les
préjudices
29 Paris, 12 oct. 1992, GP 1993, 2, somm.
357.
30 Paris, 22 nov. 2002, « Sté
d'Exploitation des Ets J. Jacques c./ Sté Christian Dior Couture »
: Annales, 2003, p. 199.
31 F. Pollaud-Dulian, Le droit d'auteur,
Economica, 2005, n° 1211.
moraux subis par les titulaires de droits de
propriété intellectuelle ne se prêtent pas à une
telle appréciation.
Nous verrons que le principe de la stricte réparation
du préjudice était finalement souvent mis à mal par la
jurisprudence. En effet, en premier lieu l'allocation de dommages et
intérêts conséquents se faisait parfois en l'absence
d'éléments justifiant réellement un préjudice (A),
en second lieu, il arrivait que les juges allouent officieusement des sommes
allant au delà de la stricte réparation (B), en troisième
et dernier lieu, les juges augmentaient ouvertement le taux de la redevance
indemnitaire allouée à la victime de la contrefaçon
(C).
A.L'allocation de dommages et intérêts en
l'absence d'éléments justificatifs
Puisque en droit français les dommages et
intérêts étaient jusqu'ici supposés réparer
« tout le préjudice et rien que le préjudice », l'on
attendait naturellement du demandeur à l'action en contrefaçon
qu'il établisse l'étendue de celui-ci. Il est fréquent que
les magistrats se plaignent du peu d'éléments versés au
débat pour quantifier le préjudice. Ainsi, pour Mesdames Brun et
Oppelt-Reveneau, magistrates, « l'une des raisons, moins citée,
expliquant la parcimonie reprochée aux juridictions dans l'allocation
des dommages et intérêts, est l'indigence des preuves
versées aux débats par les plaignants, et notamment l'absence de
production de documents comptables de nature à prouver la perte du
bénéfice allégué »32.
Pourtant, de façon surprenante, certaines décisions, tout en
constatant une telle lacune, accordaient néanmoins des dommages et
intérêts substantiels aux demandeurs en contrefaçon. Ainsi,
par exemple, dans une espèce portant sur une contrefaçon de
brevets d'invention, le Tribunal de Grande Instance de Paris relevait dans un
jugement du 4 juillet 2003 que la société demanderesse «
ne produit (...) aucun document de quelque nature que ce soit pour
justifier de son préjudice ; qu'elle n'a fait procéder à
aucune saisie-contrefaçon dans les locaux (...) ce qui lui
aurait permis de faire appréhender certains documents comptables
». Pourtant, le Tribunal accorde la somme de 7 000 euros de dommages et
intérêts à la société titulaire du droit de
brevet et celle de 10 000 euros au licencié exclusif33. Dans
une autre espèce concernant une contrefaçon de marque, le
Tribunal de Grande Instance de Paris notait encore « qu'il
était loisible à la société demanderesse de
poursuivre ses investigations pour avoir une connaissance plus précise
de l'importance de la commercialisation des modèles
32 B. Brun et M.-E. Oppelt-Reveneau, «
Améliorer le contentieux de la contrefaçon : du souhaitable au
possible », Propriété Industrielle, juin 2004, p.
14.
33 TGI Paris, 4 juill. 2003, « André
Bellamy et autre c./ Luxtend France SARL », PIBD 2003,
774-III-534.
considérés, ce qu'elle ne fit pas »
mais lui accorde in fine une « somme globale de 15 000
euros »34.
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