II.Comparaison des sommes allouées au sein du
droit de la propriété industrielle
Nous étudierons ici les réparations
allouées en fonction des droits de propriété industrielle
en cause pour voir s'il existe des différences notables. A cette fin, il
conviendra d'abord de comparer les sommes globales accordés pour
réparer les atteintes (A), puis, plus précisément selon
les chefs de préjudice (B) et enfin nous mettrons ces montants en
rapport avec ceux alloués au titre de la concurrence déloyale
(C).
A.Comparaison des sommes globales78 allouées pour la
contrefaçon au sein du droit de la propriété industrielle
(brevets et marques)
Sur un échantillon de vingt-sept décisions
récentes79 en droit des marques, nous observons que les
sommes allouées à titre de dommages et intérêts
sanctionnant la contrefaçon s'échelonnent d'un montant de 3 000
à 150 000 euros. Parmi elles, seules trois décisions font
état d'un montant égal ou supérieur à 100 000
euros.
S'agissant du droit des brevets, sur un échantillon de
vingt-huit décisions récentes80, les montants
alloués vont de 10 000 euros à 693 653 euros81. Ici,
treize de ces décisions font état d'un montant égal ou
supérieur à 100 000 euros.
L'écart entre les montants apparaît peut
être encore plus significatif si l'on compare les sommes moyennes
allouées. La somme moyenne de dommage et intérêts
accordée à un demandeur, d'après les décisions
relevées en droit des marques, est de 28 700 euros alors qu'en droit des
brevets, l'on atteint la somme de 168 000 euros. D'après nos
données, les dommages et intérêts alloués pour les
contrefaçons de brevets sont donc près de six fois plus
importants que ceux accordés pour des contrefaçons de marques.
77Par exemple une espèce où le demandeur
réclamait 60.000 euros et n'en obtint que 8.000 : TGI Paris, 21 sept.
1994, « Consorts Giraud d'Agay et autres c./ Emmanuel Chadeau et autres
» : RIDA, janvier 1995, p. 253.
78 Nous entendons par l'expression « sommes
globales », le montant alloué, tout chef de préjudice
confondu (gain manqué, pertes subies...).
79 Il nous a semblé plus pertinent de
choisir des décisions récentes afin de brosser un portrait du
droit positif. La plus ancienne décision de cet échantillon
remonte au 21 octobre 2002. Ont été retenues uniquement des
décisions où le titulaire reçoit in fine des
dommages et intérêts pour la contrefaçon de son titre.
80 La plus ancienne décision de cet
échantillon remonte au 13 juin 2003.
81 TGI Paris, 8 mars 2006, « Citec Environnment
SA c./ Ka France SARL et autre », PIBD 2006, 832-III-429.
Cet écart s'accroît encore si l'on prend en
considération un autre facteur que nos chiffres n'incluent pas. Sur les
vingt-huit décisions étudiées en droit des brevets, la
moitié d'entre elles seulement n'alloue ces sommes qu'à titre
définitif, ce qui n'est jamais le cas en droit des marques dans les
décisions analysées, les autres le faisant à titre de
provision. En effet, en droit des brevets, la détermination de la masse
contrefaisante revêt une grande importance. Celle-ci est souvent longue
et compliquée. Ainsi, lorsque le juge statue, il ne possède pas
nécessairement tous les éléments pour apprécier
l'entier préjudice. Pour ne pas faire attendre le demandeur trop
longtemps, il alloue souvent une somme provisionnelle à valoir sur
l'indemnisation définitive. Ainsi, pour connaître l'ampleur de
l'entier préjudice, le juge ordonnera une mesure d'expertise pour
déterminer précisément la masse
contrefaisante82. D'ailleurs, les titulaires de brevets victimes de
contrefaçons demandent souvent une provision à hauteur d'une
certaine somme et non pas des dommages et intérêts
définitifs83. Parfois le juge n'accordera qu'une somme
provisionnelle au demandeur mais déterminera l'entier préjudice
dans un second temps une fois que le défendeur aura produit les
pièces que le juge lui ordonne de fournir dans le dispositif même
de la décision84.
Quoi qu'il en soit, il faut donc majorer le chiffre moyen de
168 000 euros de dommages et intérêts alloués au titre de
la contrefaçon de brevets pour avoir une idée plus proche de la
réalité. Cela amplifie encore l'écart important avec le
chiffre moyen de 28 700 euros pour la contrefaçon de marques. Notre but
ici est de montrer l'ampleur de l'écart entre les réparations de
contrefaçons de marques et de brevets et non pas de pointer une
injustice entre le traitement qui serait réservé aux
différents droits de propriété industrielle. L'importance
des chiffres relatés pour les brevets s'explique d'une part par le fait
qu' en cette matière, c'est le produit lui-même qui est
contrefait, alors qu'en droit des marques, on ne traite que de la marque
apposée sur le produit. De plus, comme il a été dit, les
juges réparent en principe uniquement le préjudice subi par le
titulaire du droit de propriété intellectuelle. Ainsi, le montant
des sommes alloués devraient seulement refléter l'importance du
préjudice souffert par le titulaire.
82 Voir par exemple : TGI Paris, 1er juin 2006,
« Mecaplast SAM c./ Grupo Antolin Irausa SA et autre », PIBD
2006, 837-III-605 ou TGI Paris, 11 mars 2005, « Valois c./ Rexam
Dispending System », PIBD 2005, 816-III570.
83Voir par exemple : TGI Paris, 5 oct. 2005, «
Zodiac Pool Care Europe c./ Arch Water Products France et autres»,
PIBD 2006, 821-III-14 où le Tribunal considère que la
demande de provision formulée à hauteur de 200 000 euros est
incontestablement justifiée.
84 Voir par exemple : TGI Paris, 25 janv. 2006,
« Sonja Klotz et autre c./ Castorama France SA et autres »,
PIBD 2006, 828-III-277 : le juge considéra dans cette
espèce que la mesure d'expertise ne s'avérait pas
nécessaire compte-tenu de l'absence de complexité en
l'espèce de l'évaluation des préjudices.
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