B.Comparaison des montants alloués au titre du droit
patrimonial et du droit moral au sein d'une même affaire
A l'occasion d'actes de contrefaçon, les titulaires des
droits demandent souvent en justice à la fois réparation au titre
des droits patrimoniaux et au titre des droits moraux en distinguant nettement
les préjudices subis. C'est toutefois loin d'être toujours le cas.
En effet, sur les cinquante-cinq décisions relevées, concernant
toutes des contrefaçons d'oeuvres protégées par
49 TGI Paris, 23 nov. 2005, « Jacob Gautel
c./Editions Albin Michel, Bettina Rheims et Sté Art et Confrontation
» : RIDA, juill. 2006, p. 353.
50 Paris, 28 juin 2006 : RIDA , oct. 2006, p.
383.
51 Voir par exemple Versailles, 15 janvier 1998,
« Sté Movie Box c./ Me Chavaux » : RIDA, juill. 1998,
p. 267.
52 Voir par exemple TGI Paris, 9 février 1998,
« Sté Cybion c./ Sté Qualisteam » : RIDA,
juill. 1998, p. 292.
53 La liste des décisions
étudiées figure en bibliographie.
le droit d'auteur, vingt d'entre elles voient la victime de
ces actes demander l'allocation de dommages et intérêts
distincts.
Sur ces vingt décisions 54, nous constatons
que les juges accordent des réparations pécuniaires plus
élevés au titre du préjudice patrimonial qu'au titre du
droit moral dans douze cas, alors que l'inverse ne se produit qu'à six
reprises et qu'une égalité des montants est à relever dans
trois espèces. Il convient naturellement d'être prudent quant aux
enseignements à tirer de cette statistique car d'une part le nombre
d'affaires étudiées n'est pas très élevé et
d'autre part les atteintes à chacun des droits ne sont pas
nécessairement d'une gravité équivalente.
D'après cet échantillon de décisions,
l'on peut dire qu'il est deux fois plus fréquent que les juges
réparent mieux le préjudice patrimonial. L'écart entre les
montants accordés est parfois très important, dans une
espèce par exemple les juges accordent cinq fois plus pour la
réparation du droit patrimonial que pour celle du droit
moral55 (100 000 francs contre 20 000 francs). Mais la
différence peut aussi être moins marquée, par exemple le
préjudice commercial subi par un auteur dont la chanson a
été reproduite dans un karaoké a été
estimé à 80 000 f alors que son préjudice moral
l'était à 60 000 f56.
Ainsi, si le préjudice patrimonial est le plus souvent
mieux réparé, les réparations allouées au titre du
droit moral sont loin d'être systématiquement inférieures
au sein d'une même affaire. Dans un arrêt concernant la
contrefaçon d'une photographie de Maria Callas par exemple57,
la Cour d'appel de Versailles avait accordé plus de deux fois plus de
dommages intérêts au titre du droit moral qu'au titre du droit
patrimonial, soit 50 000 f contre 20 000 f. Dans une autre affaire concernant
une fresque d'un musée dont l'auteur n'avait pas autorisé la
reproduction dans un spot publicitaire, la Cour d'appel de Paris alloue 750 000
francs au titre du préjudice patrimonial mais 950 000 francs au titre du
préjudice moral58. Enfin, pour prendre l'exemple le plus
spectaculaire des décisions retenues, dans une affaire, la Cour d'appel
de Paris59 a accordé 750 000 euros de dommages et
intérêts au demandeur au titre de l'atteinte portée
à ses droits patrimoniaux du fait de la contrefaçon mais a en
même temps alloué 1. 000 000 d'euros au titre de l'atteinte
portée au droit moral. Les montants alloués au titre de
l'atteinte au droit moral ne sont donc pas nécessairement plus faibles
que ceux accordés pour les
54 Les décisions relevées datent de
septembre 1994 à mars 2007. Nous avons exclu de cette sélection
celles où le demandeur n'exigeait qu'un franc ou un euro symbolique
à titre de réparation de son préjudice moral, la
comparaison des valeurs allouées n'ayant dans ces situations plus
d'intérêt à notre sens.
55 Seconde cession de droits sur les photos sans
autorisation et recadrage de celles-ci. Paris, 5 mai 2000, « Sté
Galerie de France c./ Jacques L'Hoir et autres » : RIDA, avr.
2001, p. 352.
56 Paris, 29 mai 2002 : RIDA, oct. 2002, p.
325.
57 Versailles, 5 nov. 1998, « Sté Arkadia
c./ Jean-Pierre Leloir » : RIDA, avr. 1999, p. 367.
58 Paris, 11 juin 1997, « Consorts Lemaitre c./
Société Guerlain et autres » : RIDA, oct. 1997, p.
255.
59 Paris, 8 sept. 2004.
atteintes aux droits patrimoniaux, c'est ce que montre
également une comparaison des dommages et intérêts
alloués aux deux titres, indépendamment lorsque l'on ne s'en
tient plus nécessairement à une même affaire.
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