Première partie L'application jusqu'ici d'un
principe contesté : la réparation intégrale
S'il ne fait pas de doute que le système reposait jusqu'
à présent4 sur le principe de la réparation
intégrale (I), un courant jurisprudentiel allait néanmoins
à l'encontre (II).
I.Le principe de la réparation
intégrale
Le but n'est pas de présenter systématiquement
et dans le détail les mécanismes de réparation de la
contrefaçon dans ses différentes composantes. Il sera simplement
démontrer à quel point le principe de réparation
intégrale était présent dans le système.
Ce principe reposait sur des fondements textuels (A),
justifiés par une doctrine (B) et mis en pratique par les tribunaux
(C).
A.Les fondements textuels
Selon les professeurs A. et H.-J. Lucas, en matière de
droit d'auteur, l'ancien article L.335-7 du CPI renvoyait au droit commun de la
responsabilité civile pour l'évaluation du préjudice subi
par la victime de la contrefaçon5. Dans cette perspective, le
CPI invitait donc à se référer aux principes
généraux de l'évaluation judiciaire des dommages et
intérêts. En droit français, la responsabilité
civile vise à réparer le dommage subi par une victime mais
uniquement celui-ci. En effet, l'on considère que les dommages et
intérêts ne doivent pas être pour la victime une occasion de
s'enrichir. Leur fonction est de remettre la victime dans l'état
où elle se trouvait avant la survenance du dommage, ni plus, ni moins.
Ainsi, pour évaluer le montant
4Nous proposons dans cette partie une analyse du
droit positif qu'il nous est permis de connaître jusqu' à
présent, la loi du 29 octobre 2007 devrait dans une certaine mesure
remettre en question ces éléments. Ce texte sera
étudié dans notre troisième partie.
5 Les professeurs A. et H.-J. Lucas s'appuient en
effet sur la rédaction de l'article L.335-7 du CPI disposant que «
le matériel, les objets contrefaisants et les recettes ayant
donné lieu à confiscation seront remis à la victime ou
à ses ayants pour les indemniser de leur préjudice ; le surplus
de leur indemnité ou l'entière indemnité s'il n'y a lieu
à aucune confiscation de matériel, d'objets contrefaisants ou de
recettes, sera réglé par les voies ordinaires ». A. et H.-J.
Lucas, Traité de la propriété littéraire et
artistique, Litec, 3 éd. 2006, n°984.
des indemnités à allouer, les juges du fond
s'inspiraient de deux textes essentiels du Code civil : les articles 1382 et
1149. Le premier, disposition phare de la responsabilité
délictuelle pose le principe de réparation intégrale du
dommage par celui qui le cause.
Le second provient du droit de la responsabilité
contractuelle et pose en principe que « les dommages et
intérêts dus au créancier sont, en général,
de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été
privé (...) ». C'est de cette dernière disposition que
les juges s'inspiraient le plus souvent pour évaluer le préjudice
et allouer une indemnité à l'aune du gain manqué
(lucrum cessans) et de la perte subie (damnum emergens) par
la victime de la contrefaçon. Les éléments du
préjudice étaient ainsi distingués et
évalués.
En droit de la propriété industrielle, en
l'absence de dispositions spécifiques dans le CPI, les
auteurs6 admettaient que l'évaluation des montants à
allouer à titre de réparation à la victime d'actes de
contrefaçon était également inspirée par les
articles 1382 et 1149 du Code civil, tant en matière de brevets qu'en
matière de signes distinctifs ou de dessins et modèles.
Le renvoi du CPI à la responsabilité civile
délictuelle ne fondait pas seulement l'allocation de dommages et
intérêts mais aussi d'autres mesures prononcées par les
juges comme la publication de la condamnation prononcée aux frais du
condamné qui, elle aussi, peut s'analyser comme une sanction
réparatrice. En effet, s'efforcer de remettre la victime de la
contrefaçon dans l'état où elle se trouvait auparavant
peut nécessiter d'informer le public de la condamnation
prononcée. Le public a pu être trompé en attribuant
faussement une oeuvre ou un produit à une personne, il convient donc de
le détromper en l'informant des évènements7.
De même, le juge prononce le cas échéant
des sanctions dites « restitutives » en interdisant au contrefacteur
de poursuivre les actes illicites, au besoin sous astreinte, voire même
en ordonnant la confiscation des produits contrefaisants pour éviter
leur dispersion.
Ces mesures, réparatrices (dommages et
intérêts, publication de la condamnation...) ou restitutives
(interdiction de poursuivre les actes illicites, confiscation...)
étaient donc commandées par les principes de la
responsabilité civile sur le modèle des article 1382 et 1149 du
Code civil, l'idée étant réellement de réparer et
de restituer pour compenser le mal causé par la contrefaçon, mais
sans jamais aller au delà.
6 Voir notamment J. Azéma et J.-C. Galloux,
Droit de la propriété industrielle, 6e
édition, Dalloz, n° 697 concernant les brevets et n° 1582
concernant les marques ou F. Pollaud-Dulian, Droit de la
propriété industrielle, Montchrestien, 1999 n° 733.
7 Une telle mesure, même prononcée par
une juridiction civile, comporte nécessairement un aspect punitif en
plus de l'aspect « réparateur » puisque les mesures de
publication font mention de la décision de justice, ce qui peut
conférer une très mauvaise image à l'entreprise ainsi
condamnée. Ceci est d'autant plus vrai que la décision est
souvent publiée dans des périodiques au choix du titulaire de
droits, afin de toucher le public pertinent. Voir par exemple : Paris, 12
déc. 1995, RIDA, juill. 1996, p. 372.
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