C- ~ Le missionnaire qu'il devient
Un an après avoir laissé les tranchées,
Joseph Auzanneau se rend au Grand Séminaire de Poitiers en octobre 1919
en vue de se former pour le sacerdoce. Au moment de son sousdiaconat, il fait
part à son évêque de sa vocation missionnaire et sa
préférence pour un apostolat en Afrique. Dans un poème
qu'il écrit au cours de cette période, on retrouve ces strophes
:
« Je n'emmènerai point une femme à mon
bras Par les sentiers où les coeurs parlent bas.
Tu seras mon épouse, Afrique aux noires
tresses.
Nul berceau gazouillant n'attendra mes baisers,
Mais vous serez mes fils, païens
catéchisés ;
Sur vos seuls fronts mes mains poseront mes
caresses102. »
Le 17 juin 1923, Joseph Auzanneau est ordonné
prêtre. Mais il devait passer un an au noviciat de la Congrégation
du Saint-Esprit, à Orly, où il fait profession le 23 novembre
1925. Après sa Consécration à l'apostolat qui eut lieu le
12 juillet de cette même année, il voit son rêve
d'être l'époux de l'Afrique se réaliser : il
connait son affectation au vicariat apostolique de Brazzaville, capitale du
Congo Français. C'est ainsi que le 5 mars 1926, après avoir
laissé Bordeaux le 26 janvier 1926, le missionnaire débarque
à M'bamou qu'il laisse en juillet 1927 pour résider à
Kibouendé.
Pendant les quinze années passées dans les
brousses congolaises, le prédicateur de la bonne nouvelle,
confronté à la fatigue d'un quotidien fait de difficultés
de toutes sortes, loin de se laisser décourager, manifeste un sentiment
de sacrifice qui l'anime depuis avant son départ pour l'Afrique
lorsqu'il écrivait dans ce même poème :
« Ceux qui n'ont pas reçu mission pour les
cimes
102 ERNOULT, Jean, Mazano... Op. cit., p. 15
Récolteront les petits bonheurs
légitimes.
Mais moi, j'engrangerai les joies du sacrifice103.
»
Ce sentiment d'abnégation exprimé dans ces vers
influe sur le mode de vie du spiritain à qui on reproche de n'avoir pas
accordé assez d'importance à sa santé. En témoigne
cette déclaration d'un de ces collègues, le Père Soul,
visiteur envoyé par la maison mère dans les missions de l'A. E.
F. :
« Ce jeune Père sorti du noviciat en plein
ardeur est exposé à négliger sa santé. Il fait de
longues courses à pied en plein soleil sans que cela paraisse lui
fatiguer. Il est négligeant pour faire préparer sa nourriture et
quand il lui arrive d'être seul à la mission, il donne, parait-il,
congé au cuisinier. Il se défend de tout cela, disant que la
négligence qu'on lui reproche ne vient pas du tout de l'esprit de
mortification, mais de que lui, il se trouve très bien et
n'éprouve pas le besoin de compliquer l'existence104.
»
Ce témoignage parmi tant d'autres semble confirmer son
ascétisme que défendent certains de ces homologues dont le
Père Ernoult qui, lui aussi, fut missionnaire au Congo après le
départ du Père Auzanneau. Cette vie d'ascète semble
d'autant plus probable que le missionnaire lui-même se dit ne pas
être l'esclave du confort105. Il établit un
lien entre son appel à l'apostolat à sa protection pour laquelle
il semble ne pas s'inquiéter :
« Mais, je sais, mon Dieu qu'il n'est pas De
sécurité pour nous hors de la place Que vous nous avez
préparé106. »
Tandis que les autres missionnaires ménagent leurs jambes
en se servant d'un tripoy107 lors de leurs tournées, le
Père Auzanneau, estimant que c'était trop confortable, se
contente
103 Ibidem
104 ERNOULT, Jean, Mazano... Op. cit., p. 5
105 Idem, p. 169
106 ERNOULT, Jean, Op. cit., 1994, p. 7
107 Sorte de chaise à porteur. Le missionnaire s'y
installe et ses compagnons indigènes le transportent pendant le
trajet.
de son baton de voyage et l'aide de quelques
catéchumènes qui apportent sa valise-hotel et sa chaise
longue faisant office de lit.
Ces sacrifices sont consentis dans le but de servir Dieu, mais
aussi les Noirs à l'endroit desquels le missionnaire adopte une attitude
paternaliste lorsqu'il les prend pour ses fils. Mais, il semble que ce
paternalisme est bien perçu et accepté par le peuple de
Kibouendé. En effet, après s'être absenté pendant
treize ans, de 1941 à 1954, pour se faire soigner à Brazzaville
puis à Bordeaux, il est à peine de retour à Brazzaville
qu'une lettre portant la signature de la population de Kibouendé est
adressée au président de l'Association des Originaires de Kinkala
à Brazzaville pour lui demander de « bien vouloir se prosterner
devant Son Excellence Monsieur Bernard » afin d'obtenir le retour de ce
« brave prétre plein d'estime et de charme à la mission
» .
Ces propos ne pourraient que surprendre certains missionnaires
du XIXe siècle qui ont eu à faire face à
l'hostilité des peuples qu'ils évangélisaient, tel Mgr
Augouard qui, au début de son ministère au Congo, fut l'objet des
attaques armées de la part des populations locales108. Ce
fait que nous venons de citer témoigne donc qu'entre
l'évangélisateur et les évangélisés, s'est
tissé un rapport plutôt cordial. Par ailleurs, un
élément important de ce rapport est le comportement qu'adopte le
missionnaire vis-à-vis de ses fidèles qui rappelle celui d'un
père à l'égard de ses enfants. Le paternalisme du
Père Auzanneau est révélateur d'une mentalité dont
le missionnaire européen est porteur, thème qui fera l'objet du
nouveau chapitre de ce travail.
Dans un contexte de renouveau de l'oeuvre missionnaire
généré par des facteurs multiples, le père
Auzanneau, poitevin, spiritain, d'une certaine formation intellectuelle,
consacre son apostolat au service des Africains. Sa rencontre avec le monde
noir lui permettra de discourir sur l'espace et les habitants. La
deuxième partie de cette étude s'efforcera d'analyser ce discours
en tenant compte de l'environnement structurel dans lequel il était
conçu.
108 LAMOUR BECHET, Antoine, Op. cit., f° 23
|