B- L'humanitarisme colonial
On constate au début du XXe siècle
une volonté chez les colonisateurs français d'adopter des mesures
plus « souples » à l'égard des peuples des colonies.
Cet adoucissement de la politique coloniale est sans doute une
conséquence de l'émergence de la notion de respect de la
pluralité des cultures.
En 1900, en effet, le « Congrès de sociologie
coloniale " avait conseillé de « respecter les moeurs, les
traditions, les préjugés mémes des populations soumises
à domination ", le but d'une politique coloniale étant «
d'assurer aux indigènes les garanties indispensables. " Trente ans plus
tard, les Semaines sociales de Marseille, par le biais de son organe
officiel, disent souhaiter un « plein épanouissement
économique, spirituel et moral de tous les peuples " et non leur
assimilation aux Européens298.
Cette remise en cause de la méthode assimilationniste
fut entreprise par les grands sociologues universitaires de l'époque
dont Lévy-Bruhl et Durkheim qui développent l'hypothèse
selon laquelle les faits humains sont d'une très grande
variété et, conséquemment, ils ne peuvent pas être
traités uniformément. L'Ecole coloniale en connait l'influence
avec un spécialiste de l'Afrique occidentale, Maurice Delafosse, membre
du Conseil supérieur des colonies. En 1925, il fonda l'Institut
Ethnographique. En 1937, Robert Delavignette devint
298 Le problème social aux colonies, Semaines
sociales de France, 1930, p. 640 Cité par VALLETTE, Jacques, La
France et l'Afrique. L'Afrique subsaharienne de 1914 à 1960.
Regards sur l'histoire, Sedes, Paris, 1994, p. 75
directeur de l'école. Anthropologue et colonial
à la fois, il unissait ses préoccupations scientifiques à
ses expériences acquises au contact des communautés paysannes
d'Afrique occidentale. Auteurs de plusieurs ouvrages qui défendent la
nécessité d'une autre politique en Afrique, ses influences furent
remarquables sur les futurs administrateurs qui sortiront de l'école. Ce
fut sur son initiative que prendra chair un projet de la communauté
africaine. Il écrira en 1940 dans sa Petite Histoire des Colonies
Françaises : « Nos colonies ne sont pas les pièces
détachées de la métropole ou les annexes d'une firme qui
aurait son siège à Paris. Elles rassemblent des hommes pour
ordonnancer une civilisation. Elles sont solidaires entre elles et avec la
France d'Europe. Elles composent un Empire et cet Empire tend vers une
communauté qui sera animé par une politique
sociale299. »
Sur place, les administrateurs coloniaux comprennent la
nécessité de changer de pratique politique. Dans le but
d'associer les populations à leur administration, ils prévoient
la création d'un véritable pouvoir autochtone qui sera
composé de chefs de villages, commissions de villages avec des chefs de
famille, commissions de villages avec des chefs de familles, commissions de
canton avec des chefs de villages, le tout devra rendre compte à un
commandant français. Cette mesure fut proposée en 1935 par le
gouverneur général de l'A.O.F, Jules Brevié.
Ce changement au niveau de la méthode de colonisation
se fait ressentir dans la politique sociale qu'entretient la métropole
au cours de cette période. En 1940, on compte en AOF « 140
maternités, 34 dispensaires de puéricultures animées par
240 sages-femmes dont seulement 5 Européennes. La mortalité
infantile est contenue entre 3 à 5%300. »
L'établissement de ces structures médicales est une
nécessité pour réduire les conséquences des
maladies tropicales et vénériennes sur la population. En 1922,
une mission conduite par le docteur Jamot arrive en Afrique pour combattre la
maladie du sommeil (trypanosomiase) dûe à la mouche
tsé-tsé ainsi que la tuberculose, principal fléau qui
ravage les capitales comme les brousses. Des dispensaires et des groupes
mobiles sont installés sur tout le territoire. Un Institut de la
lèpre est fondé à Bamako, un Institut Pasteur à
Kindia en Guinée ; le tout avec l'aide des missions ou la fondation
privée comme celle du docteur Schweitzer au Gabon.
299 VALLETTE, Jacques, Op. cit., p. 77
300 GOUREVITCH, Jean-Paul, La France en Afrique. Cinq
siècles de présence : vérités et mensonges.
p.
211
Dans cette méme logique est créé un
embryon de médecine curative, l'Assistance médicale
indigène présente à Paris et à Brazzaville. Au
méme moment s'organise une médecine préventive. Ces
instituts forment des médecins de brousse qui apporteront le plus loin
possible l'aide médicale aux indigènes. Néanmoins, les
faiblesses de ces structures naissantes empêchent que certains pays comme
Mauritanie, Tchad, Dahomey soient touchés véritablement.
Ces efforts sont également perceptibles au niveau de
l'éducation scolaire. Le 24 septembre 1903 un décret fixe la
structure de l'enseignement en Afrique occidentale française (AOF). Le
système comprend trois niveaux : le primaire élémentaire,
le primaire supérieur, l'enseignement professionnel et spécial
dispensé à Dakar et à Saint-Louis. Le primaire
élémentaire comprend à son tour les écoles
préparatoires dites de villages, écoles
élémentaires, écoles régionales et urbaines, et
cours pour adultes. On y enseigne l'hygiène, quelques notions de
français, d'agriculture, d'histoire et de morale laïque. Les
meilleurs sont sélectionnés pour les écoles
élémentaires, ils y apprendront en deux ans : français,
calcul, matières d'éveil. Les plus doués accèdent
à des niveaux supérieurs. Deux établissements secondaires
sont fondés : à Dakar, le futur lycée Van-Vollenhoven,
l'autre se trouve à Saint-Louis, le lycée Faidherbe. « La
croissance de cet enseignement est effective, mais lente : 15 000
élèves en 1914, 70 000 en 1938, soit 2,2% de la population plus
les écoles de missions301 .» Il faut souligner
que le développement de ces écoles n'est pas pareil partout en
Afrique, il se fait à la carte. L'AOF, beaucoup plus riche reçoit
la quasi-totalité de ces implantations tant disque l'AEF est
traité en parent pauvre.
Il y a donc une redéfinition de la politique coloniale
de la France entamée au cours de cette période. Certains parlent
d'une « morale de la colonisation » basée sur les obligations
du Droit naturel et qui incombe au colonisateur le devoir de s'occuper des
problèmes de la vie sociale des peuples coloniaux. « La France,
écrit Albert Sarraut302, ne doit pas avoir double visage,
celui de la liberté tournée vers la métropole, celui de la
tyrannie tendu vers les
301 Ibid., p. 214
302 Albert Sarraut, homme politique français. Au cours
des années 1920, alors ministre des Colonies, publie La mise en valeur
des colonies françaises, un ouvrage où il expose une vision
renouvelée de la colonisation française.
colonies303. » Mais, cette
volonté de donner un visage humain à la colonisation est aussi et
surtout une volonté de s'adapter à l'évolution de
l'histoire. C'est, en d'autres termes, une réponse aux grandes remises
en questions formulées tant en France qu'ailleurs face à l'oeuvre
impériale de l'Occident.
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