C - . . .mais utile.
Dès son arrivée au Congo, l'une des
priorités du Père Auzanneau, c'est de développer des
activités agricoles dans le pays. L'agriculture occupe une place non
négligeable dans les occupations auxquelles le poitevin consacre son
temps. Contrairement à ses devanciers qui se contentaient de s'indigner
devant la « paresse » des Noirs (du moins ceux qui font l'objet du
livre de Salvaing), notre missionnaire, lui, accompagne cette condamnation
à une volonté d'apprendre aux enfants surtout283, la
méthode de travail connu en Europe. Dès leur jeune âge, les
adolescents qui sont présent à la Mission sont mis au travail de
la terre. Mais un tel
282 Ces fréquentes épidémies seraient
dues à la promiscuité : ils sont plus de 3 000 personnes vivant
à la cour de la Mission en 1926.
283 Depuis le XIXe siècle, les missionnaires
se montrent particulièrement intéressés aux enfants qui
occupent une place de choix dans leur plan d'action. Tout passe par l'enfant.
Cette attitude, on peut la comprendre, quand on se réfère
à leur projet de transformer les moeurs de la société.
exercice ne leur va pas sans poser de problèmes :
« Quand je rassemble les enfants à 8h. pour le travail, comme
en saison sèche le soleil est encore dans les nuages, ces pauvres
enfants son en transis. Ils s'amènent la main droite accrochée
à l'épaule droite et la main droite accouchée à
l'épaule gauche...tout ramassé sur eux-mêmes. Et ainsi, ils
grelottent284. » Avec le temps, les travailleurs
ont commencé par se connaitre dans le domaine et ont fini par
gagner la confiance du maître qui leur laisse des plantations
dont ils doivent faire l'entretien.
Leur travail peut consister aussi « à abattre
la forêt, à laisser sécher et à mettre le feu dedans
; ensuite, sur l'emplacement, on pique des branches de manioc ou on sème
le riz285. » C'est à cette pratique culturale que
souscrit le missionnaire-cultivateur. Cette technique lui permet d'être
certaines fois satisfait de ses efforts : « En ce moment, nous en
sommes à la récolte des haricots. Nous en avons une grande
étendue. Ils ont l'air bien donné, mais il n'y en aura jamais
trop pour nos pensionnaires286. » C'est vraisemblablement,
l'agriculture en jachère qui consiste à laisser
périodiquement un champ non cultivé pour permettre à la
terre de se reconstituer, car quand il fait mention de ses activités de
plantations, il parle souvent de déchiffrement de forêt. Faute
d'instruments aratoires nécessaire, la quantité de travail
fournit par les laboureurs dans une journée ne peut pas atteindre le
niveau souhaité. Pourtant, il arrive à avoir des plantations
assez diversifiées oü l'on retrouve le maïs, le manioc,
l'haricot indigène, le manioc, les ignames, des légumes (choux et
tomates principalement) et des fruits dont la noix. Tout cela dépend des
aléas des saisons et de l'état de l'atmosphère :
« Au Congo aussi, la vraie saison des légumes
et des petites semences commence en mai-juin. Pendant la saison des pluies, les
petites plantes ne tiendraient pas sous les averses... Il y a toute
l'année la chaleur suffisante. La difficulté, ce sont les
tornades ; aussi, il n'y a que pendant les saisons sèches que l'on peut
espérer avoir du jardin, seulement, tandis que vous, vous ensemencez en
mars, nous, nous n'ensemençons qu'en mai-juin... Les grandes
plantations, riz, manioc ont lieu en octobre, commencement des
pluies287.»
284 « Lettre du 20 juillet 1926 », cité par
ERNOULT, Jean, Op. cit., p. 36
285 « Lettre du 22 juillet 1927 », cité par
Ibidem, p. 56
286 « Lettre du 15 janvier 1931 », cité par
Ibidem, p. 106
287 « Lettre du 28 juillet 1926 », cité par
Ibidem, p. 39
Son désir de cultiver la terre, alors que son objectif
premier est de s'occuper de l'âme de ces païens africains, lui est
venu par une nécessité que lui impose sa pastorale. Dans la
vision du missionnaire, ces deux aspects dans la vie d'un individu (temporel et
intemporel) sont liés étroitement. La Mission, de ce fait,
constitue en quelque sorte un internat où petits et
grands288- notamment les femmes - trouvent refuge à qui le
spiritain apprend les « manières des Blancs ». En
1926, à peine installée, elle abrite 3. 000 personnes pour
lesquelles il faut trouver, selon les termes du Père Auzanneau, la
« becquée quotidienne289. » Cette
volonté est aussi liée au passé du personnage qui aime
dire à ses élèves fainéants qu'il avait
fait la méme chose quand il était à leur age. C'est
également la suite d'un constat. « Indolent ", le «
Congolais n'aime pas beaucoup la terre » et par conséquent
ses pratiques culturales « ne sont pas trop variées
». De ce fait, « Ils [les indigènes] n'ont
pas beaucoup dépassé les anciennes traditions d'ensemencement :
maniocs, arachides, ignames, courges ; ce qui est l'affaire de la femme ».
Les Congolais s'attachent d'autant plus à la méthode de
leurs ancétres qu'« ils trouvent leurs légumes dans la
foret, c'est-à-dire en fait des légumes, des feuilles comestibles
dont ils connaissent une grande variété290.
» Face à cet état de chose, le missionnaire adopte une
attitude didactique en leur inculquant, pour ainsi dire, le « sens de la
nouveauté. "
Si à l'inverse de certains de ses
prédécesseurs, le poitevin ne se met pas à contempler la
beauté d'une nature idyllique, certains éléments du milieu
congolais sont l'objet d'une appréciation particulière de la part
du missionnaire. Il se montre en général assez indulgent à
l'égard d'un environnement qui se révèle pernicieux
à sa santé et à son travail. Il laisse plutôt le
soin à sa famille qui le lit de voir elle-même les
difficultés auxquelles il se trouve confronté. Pour
détourner sa vue sur ces écueils que lui dresse le monde physique
africain, le spiritain porte un regard favorable sur quelques produits
indigènes dont le fameux vin de palme dont il décrit ici la
technique de production :
« [Le palme], c'est un très bel arbre,
ordinairement très droit ; mais sa culture exige
288Cette population est constituée de femmes
ayant laissé leur toit marital, de catéchumènes... Ces
derniers laisseront la Mission avec leur certificat de baptême et
leur titre de chrétien. A leur départ, ils seront
remplacés par des centaines d'autres qui donneront à leur tour
leur place à des nouveaux venus. (Cf. Lettre du 06 janvier 1931,
cité par Ibidem. p. 105)
289 « Lettre du 23 novembre 1933 ", cité par
Ibidem, p. 194
290 « Lettre du 15 janvier 1931 ", cité par
Ibidem, p. 106
beaucoup de soin. Il faut être professionnel pour
s'en occuper. C'est le métier du malafoutier. A mesure que l'arbre
pousse, on coupe les branches du tronc de façon à ne laisser
qu'un fat et un bouquet de branches à la cime. A la naissance des
fleurs, on fait un trou, on met un tuyau auquel on suspend une gourde et la
sève, au lieu de monter dans la fleur descend dans la gourde : c'est le
vin de palme qu'on recueille chaque matin291~ »
Cette boisson naturelle alcoolisée semble plaire
énormément au missionnaire qui la nomme « précieux
malafou292». Il juge nécessaire de la
recommander à ces compatriotes européens : « Si le vin
blanc manque cette année, avis aux buveurs matinaux, ils pourront ouvrir
la série avec malafou293. » Voilà qui
pourrait nous permettre de justifier l'ouverture d'esprit du missionnaire ou un
fléchissement de son européocentrisme si dans cette méme
lettre il n'écrirait pas : « au Congo tout se passe à
l'inverse du pays des Blancs. » N'est-on de préférence
en présence de la coexistence d'une double vision qui se confronte et
qui annonce une autre façon de voir l'Afrique, laquelle perception se
justifiera plus tard?
« L'historien des idées est familier du
paradoxe 294», disait Raoul Girardet. Il n'est donc pas
illogique de relever chez un méme sujet l'existence d'une conception
double, surtout quand cet individu se situe à une époque
transitoire où il y a un présent qui doit disparaitre et un futur
qui s'annonce lentement. Le père Auzanneau se place dans ce carrefour
où se rencontrent deux mentalités antagoniques. On pourrait
même parler de situation de crise dans le sens étymologique du
terme, c'est-à-dire une période marqué par une
instabilité provoquée par la confrontation d'un ordre ancien et
d'un ordre nouveau. La troisième partie de ce travail sera axée
autour de ce nouvel ordre qui déterminera une autre façon
d'appréhender l'Autre dans la culture occidentale.
291 « Lettre du 28 juillet 1926 », cité par
Ibidem, p. 39
292 C'est le nom du vin dans langue des Congolais.
293 « Lettre du 28 juillet 1926 », cité par
ERNOULT, Jean, Op. cit., p. 39
294 GIRARDET, Raoul, Op. cit., p. 225
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