B- Une nature hostile...
Il parait difficile de faire une analyse climatique rigoureuse
à partir des relevés ponctuels ou des observations faites
à ce sujet par le missionnaire. Les seules informations qu'il transmet
à ses lecteurs rendent compte des situations exceptionnelles et ne
peuvent, en aucun cas, servir à établir un tableau
météorologique complet. Néanmoins, par suite de grandes
constantes des conditions climatiques tout au long de l'année et de la
différence à peine marquée des types de temps affectant
cette région, l'information recueillie, bien que fragmentaire, permet
d'établir un diagnostique plus ou moins satisfaisant.
Dans la description qu'il fait du climat à sa famille, les
termes « chaleur », « pluies », « orages »,
« tornade », « grosses nuages » reviennent souvent. Au
cours même de son
262 Ibid. p. 144
263 Ibid. p. 194
voyage pour Congo, sur la mer, il se rend compte de la rigueur
du soleil et s'en protège: « Mon compagnon et moi arborons
notre casque car le soleil pourrait être méchant. On tend les
bâches au dessus du pont, autrement ça taperait un
peu264. »
Arrivé à Dakar oü l'embarcation devait
faire escale, la température estivale semble moins sévère
et se rapproche de celle de la France : « Il ne faisait pas plus chaud
à Dakar que chez nous l'été ; même le soir, on sent
une petite brise douce. Seulement il n'a pas plus depuis le mois d'octobre et
il ne pleuvra pas d'ici le mois de juillet. Alors la chaleur sera plus
accablante265. »
L'effet du climat un peu fluctuant, le temps aidant, le
Père Auzanneau s'adapte progressivement à l'environnement
congolais. Moins d'un après son arrivée au pays, il calme
l'inquiétude de sa famille : « Je m'acclimate tout doucement au
pays. C'est tout ce que j'ai à faire pour l'instant à
Brazzaville266. » Mais, le climat équatorial
n'arrête pas de se manifeste dans ses rigueurs extrêmes : «
Pendant la journée, le thermomètre montait jusqu'à 45,
50°C et la nuit il restait aux environs de 25, 30°C. C'était
un peu beaucoup lourd, et je ne me sentais pas gaillard pour la
besogne267. » Il ajoute d'autre part : " pour cette
période, nous n'avons pas eu une goutte d'eau, rien que du
soleil268. » Dans chacun des cas, fortes pluies ou chaleur
intense, l'activité du missionnaire en paie les frais : « Je
voudrais faire une petite tournée cette semaine ; il fait chaud mais
sec, pas de pluie comme au mois de décembre ou janvier269.
» Et, " Voilà deux fois que nos arrêtons à
cause de la pluie, ce qui n'accélère pas les
affaires270. »
Les problèmes climatiques ont toujours
été un obstacle de taille pour l'évangélisation de
l'Afrique. Les missionnaires européens après s'être
installés dans le continent firent face à des graves
problèmes de santé dus au climat si différent de le leur.
Fièvre jaune, paludisme, dysenterie, fièvres bileuses et
abcès au foie271... telles sont les maladies les plus
fréquentes qui décimèrent la population missionnaire
présent en Afrique au XIXe siècle. Ce fait a pour
264 « Lettre du 3 février 1926 », cité
par ERNOULT, Jean. Op. cit., p. 14
265 « Lettre du 7 février 1926 », cité
par Ibidem, p. 15
266 « Lettre du 3 mars 1926 », cité par
Ibidem, p. 21
267 « Lettre du 11 novembre1937 », cité par
Ibidem, p. 228
268 « Lettre du 03 janvier 1928 », cité par
Ibidem, p. 65
269 « Lettre du 03 février 1927 », cité
par Ibidem, p. 48
270 « Lettre du 18 février 1929 », cité
par Ibidem, p. 85
271 SALVAING, Bernard, Op. cit., p. 144
conséquence, une réticence de la part de
certains missionnaires pour aller évangéliser l'Afrique, «
tombeau de l'homme blanc ». « Dans les années quarante,
souligne Salvaing, personne dans la CMS (Church Missionary
Society) ne voulait partir en Afrique Occidentale272.
»
Le Père Auzanneau, se trouvant dans un environnement
qui lui est étranger, arrive difficilement à se tenir en bonne
santé. Dans les jours qui suivent son arrivée à
Kibouendé, le spiritain se trouve indisposé pendant quelques
jours par une fièvre et des eczémas qui apparaissent sur son
corps. Il parait qu'il se trouve souvent dans un état fiévreux
avec une fréquence régulière, si vrai que cela lui semble
notable de dire à ses parents « Dieu merci, la santé est
bonne, je n'ai pas de fièvre depuis le mois de juin273.
» La saison sèche qui se caractérise par une faiblesse
relative des précipitations est particulièrement difficile pour
le poitevin. C'est en cette période, en effet, que son état de
santé se détériore le plus. Le beau temps est favorable,
dit-il, aux « chiques qui s'installeront dans les pieds sans crier
gare274. » Ces puces qu'on retrouve en milieu tropical se
nourrissent de sang et trouvent refuge en général sous les ongles
de leur hôte. Elles occasionnent des démangeaisons et provoquent
des inflammations. Il s'agit d'une expérience assez douloureuse, comme
on peut le voir dans ce témoignage : « ces gentilles
bêtes ont entrepris mes pieds en commençant au talon et aux
extrémités des orteils ; heureusement qu'il y a une bonne
distance entre ces deux points ; aussi, j'ai encore un peu de délai
avant de voir mes pieds disparaitre275. » Pour les
traiter, le Père Auzanneau se sert d'une aiguille pour déloger
l'insecte. Cette opération, une fois terminée, engendre d'autres
soucis: « ... mes pieds ne peuvent plus me porter, suite à des
extractions de chiques, les plaies sont remplies de pues. Je perce tous les
abcès276. » Mais, il arrive que les
problèmes que génèrent les chiques deviennent plus
importants et exigent un traitement spécial. Dans ce cas, il se voit
obligé de se rendre à Brazzaville pour se faire soigner par un
médecin.
272 Ibidem. p. 143
273 « Lettre du 11 décembre 1927 », cité
par ERNOULT, Jean, Op. cit., p. 64
274 « Lettre du 15 mai 1927 », cité par
Ibidem, p. 53
275 « Lettre du 18 juillet 1926 », cité par
Ibidem, p. 35
276 « Lettre du 21-22 juillet 1928 », cité par
Ibidem, p. 74
Une autre catégorie de petites bêtes qui porte
gravement atteinte à la santé et donc, au travail du
missionnaire, reste les filaires, une espèce de ver parasite
retrouvé dans les milieux équatoriaux. Ils vivent sous les tissus
cellulaires sous-cutanés et se déplacent de temps en temps en
suçant le sang du malade. Ces propos qui suivent traduisent la douleur
vécue par un homme qui veut se réconforter en exprimant sa
souffrance à travers un langage qui témoigne sa résilience
: « Il y a un personnage qui vient me faire une visite dans l'oeil...,
il se promène sous la peau par tout le corps, mais quand ça
arrive dans l'oeil, c'est assez douloureux... je sens cette promeneuse qui
arrive autour de l'oeil... Quand cette lettre vous arrivera, la visiteuse sera
déjà passée dans un autre secteur277.
»
A cela s'ajoutent les grandes plaies qui contrarient le
dynamisme du spiritain. Ces lésions cutanées, aussi encombrant
que les chiques, apparaissent au niveau des membres inférieurs du
missionnaire. De petites plaies qui se referment toutes seules et de grandes
qui nécessitent des interventions chirurgicales, le Père
Auzanneau expérimente dans les brousses congolaises des douleurs
physiques assez importantes : « Me voici donc depuis quatre ou cinq
jours avec un pied gros comme une citrouille, il crache du pus278...
» Les pieds du prédicateur sont d'autant plus importants pour
lui qu'il ne dispose pas d'autres moyens de locomotion. « Au temps des
plaies, avoue-t-il, on les attend guérir... au temps des pieds
fermes, on les utilise pour faire la visite des postes, ce qui constitue ici
une part importante du ministère279. » Ces
blessures sont dues à des causes diverses. Certaines résultent de
ces longues tournées « dans ces petits sentiers
étroits280 », d'autres semble se former sous
l'action du climat ; il y en a aussi que les chiques engendrent. Ses compagnons
n'échappent pas, eux non plus, à ces écueils de la vie
missionnaire sous les tropiques. Les pères Jean-Marie Morvan et
François Noter, à peine arrivés pour prêter la main
à leur collègue Auzanneau, sont atteints par des troubles de
santé si conséquents qu'ils se sont rendus à la capitale
pour recevoir du soin. Le clergé est donc devenu, dit le spiritain,
« la congrégation des éclo pés281.
»
277 « Lettre du 16 octobre 1934 », cité par
Ibidem, p. 204
278 « Lettre du 20 octobre 1934 », cité par
Ibidem, p. 204
279 « Lettre du 24 novembre 1934 », cité par
Ibidem, p. 208
280 Expression utilisée souvent par le Père
Auzanneau pour rendre compte des difficultés rencontrées lors de
ses longues marches. Du frottement de l'une de ses semelles à son
cheville de l'autre pied naissent des petites plaies qui se sont agrandies et
creusées, voire multipliées.
281 « Lettre du 20 octobre 1934 », cité par
ERNOULT, Jean, Op. cit., p. 204
Les maladies ne touchent pas exclusivement l'ensemble des
ecclésiastiques présent à Kibouendé, les habitants
sont aussi concernés. Dans les écrits du missionnaire, nombreux
sont les cas oü il mentionne l'état déplorable de la
santé des gens du pays. D'ailleurs, ses tournées constituent un
moment pour lui de rendre visite à ces malades qui présentent
parfois des symptômes graves. Rares sont les lettres oü il n'y a pas
l'annonce d'un décès ou l'état anormal des enfants et des
personnes âgées. Selon le poitevin, les conditions sanitaires des
habitants À mais aussi les esprits méchants - sont pour
beaucoup dans cette mortalité. Beaucoup de mères au moment de
leur accouchement n'arrivent pas à survivre, leurs enfants non plus. Des
épidémies de grippe, de toux et de fièvre causent des
disparitions multiples parmi les gens qu'il héberge à la
Mission282.
Des considérations qui précèdent, il
ressort que le milieu naturel congolais représentait pour l'homme de
Dieu un véritable péril pour l'équilibre et le bon
fonctionnement de son organisme, mais aussi pour son oeuvre
évangélisatrice des Noirs. Toutefois, cette nature hostile,
au-delà de son caractère offensif, se révèle apte
à servir à quelque chose qui ne sera pas un désavantage
pour le travail du missionnaire. Il s'agit d'une activité que la
Révolution néolithique a introduite dans les
sociétés humaines, il y a 10 000 ans.
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