B- Le temps des grandes découvertes129
A partir de la deuxième moitié du XVe
siècle, les progrès de la technique navale, de la
géographie, mais aussi les nécessités économiques
poussent l'Europe à envisager de se tourner vers l'extérieur.
Surmontant leur peur d'une mer hostile et l'emprise des légendes qui
affirment qu'au-delà de l'horizon règne le vide, certains
individus quittent les rivages de la
127 A ce sujet, voir R. P. Jameson, Montesquieu et
l'esclavage, 1911, pp. 172 à 182
128 COHEN, B. William, Op. cit., p. 125
129 Nous entendons par temps de grandes découvertes, la
période située entre la fin du XVe et le début
du XVIIIe siècle
péninsule Ibérique pour se lancer à
l'aventure. C'est ainsi qu'après plusieurs tentatives avortées,
des portugais comme Diaz en 1487, Vasco de Gama en 1498 arrivent à
marquer l'histoire en passant comme les premiers véritables explorateurs
des cotes de l'Afrique : un nouveau monde s'ouvre alors à la
connaissance mais aussi et surtout à la convoitise des Européens.
L'Etat se méle profondément de la partie. Il ne s'agit plus
d'initiatives individuelles d'aventuriers, mais de la mise en place par la
couronne portugaise d'une véritable politique des découvertes. Au
même moment, le Genevois, Christophe Colomb découvre un continent
nouveau dont on ne soupçonnait pas l'existence jusqu'alors,
l'Amérique.
Dès lors, ces pionniers de l'exploration de l'Afrique,
seront suivis par de nombreux d'autres individus attrapés par ce que
l'on pourrait appeler une « fièvre du dehors », le
désir de connaitre l'étranger dont on parle beaucoup en des
termes qui suscitent la curiosité. Ces derniers feront une relation de
leur voyage pour livrer à leurs lecteurs l'étonnement qui fut le
leur en découvrant ces êtres si différents, si bizarres de
par leurs coutumes, leurs modes de vie, etc. Ces récits de voyages sont
exposés d'une manière qui n'est pas innocente puisque le
narrateur ne se contente pas de montrer la différence qui existe entre
le monde d'oü il vient et celui qu'il découvre, mais il cherche
aussi à montrer la « barbarie » de ces populations dans une
perspective d'infériorisation. Et ces voyageurs sont partis à la
rencontre de ces populations avec des images préconçues dans
leurs têtes, ce qui les empêche de faire une observation
réelle de leurs hôtes. Ces stéréotypes sont les
mêmes que l'on se fait de l'Afrique depuis le Moyen Age, puisque des
auteurs comme Pline que nous venons de citer furent très lus au cours de
cette période. William B. Cohen130 parle d'une
redécouverte de Pline au cours de cette période dont son
Histoire Naturelle connut six éditions entre 1450 à
1550. Donc, ces récits ne font que cimenter les images transmises par
l'Antiquité et le Moyen Age pour lesquelles l'Afrique se
réduisait à un pays peuplé de monstres et d'hommes
sauvages.
Toutefois, l'un des mérites de ces récits
consiste, d'une part, dans le fait qu'ils apportent des éléments
précieux pour éclairer l'histoire sociale et politique de
régions traversées par le voyageur, voire l'histoire des cultures
matérielles, de l'alimentation, des religions. D'autre part, ils se
révèlent fort utiles pour appréhender la mentalité
de l'époque puisqu'ils auront pour effet d'influencer l'imagination
collective non seulement des contemporains mais aussi des
générations à venir. Mais, on ne peut pas ignorer que ces
récits souffrent de deux
130 COHEN, William B., Op. cit., p. 130
problèmes majeurs : ils sont très
répétitifs et contradictoires. Certains auteurs se contentent de
plagier leurs prédécesseurs en empruntant des
stéréotypes déjà utilisés. Et, de plus, ils
considèrent tout fait observé comme représentatif de la
société dans son ensemble131.
On sait par ailleurs que ces écrits inspiraient
certains écrivains qui y trouvaient des sujets d'intrigues mais aussi
des renseignements sur les moeurs et les coutumes des peuples étrangers
pour traiter des sujets à caractère exotique.
Rabelais, auteur de la Renaissance, se trouve influencé
par cette même image de l'homme Noir élaborée depuis
l'époque médiévale. Dans Pantagruel, il avance
que « l'Affrique est coustumière toujours choses produire
novelles et monstrueuses132. »
Donc, l'idée d'une Afrique effrayante est encore
présente à la Renaissance.
Cependant comme le souligne William B. Cohen, c'est à
partir du XVIe siècle que le premier contact direct entre
Français et Africains allait avoir lieu. C'est à ce moment que
des marchands à la recherche d'ivoire, de gomme, d'or et d'esclave
commencent à explorer les côtes de l'Afrique occidentale. De ce
contact nait un « choc » oü l'étonnement pour les uns,
l'admiration pour les autres constituent la trame ; car le maitre-mot
convenable pour rendre compte de cette rencontre est l'incompréhension.
Toute la suite de ce rapport entre l'homme blanc et l'homme noir nous semble
découler de cette réalité.
Ce contact entre Français et Noirs eût lieu sur
le continent africain, mais aussi et surtout dans les colonies antillaises
établies dans les années 1620-1630. En 1625, le flibustier Pierre
Belain, sieur d'Estambuc, conquit la petite île de Saint-Christophe dans
le bassin de la Caraïbe. L'aventurier arrive à convaincre le
gouvernement français de la nécessité d'occuper les
îles avoisinantes. C'est ainsi que quelques années plus tard, la
Guadeloupe et la Martinique devenaient françaises. Saint Domingue,
habitée alors par des boucaniers, des flibustiers et des pirates
français, tombera en 1655 sous le contrôle de l'Etat
français. Ces territoires seront vite exploités par la main
d'oeuvre servile des noirs ramenés d'Afrique. La mise en esclavage de
ces derniers concorde avec leur infériorité tout en la
raffermissant. L'entrée en relation des Français avec les
Africains ne change pas réellement la donne.
131 Ibidem, p. 57
132 RABELAIS, Pantagruel, dans OEuvres
Complètes, t. 3, Paris, 1873, p. 19
L'idée que l'on se faisait du Continent noir demeure.
En 1648, Pierre Bergeron publie Les voyages fameux du Sieur Vincent Le
Blanc qui a eu un succès considérable avec plusieurs
éditions successives et des traductions en langues
étrangères comme Anglais et Hollandais. Le portrait qu'il dresse
des peuples vivant à l'intérieur de l'Afrique ne diffère
pas de celui du siècle précédent : « Il y a des
peuples si sauvages qu'ils ne scavent presque point parler, si salles qu'ils
mangent les entrailles des bêtes toutes pleines d'ordures sans les laver,
et si brutaux qu'ils ressemblent plutôt à des chiens
affamés qu'à des hommes qui ont l'image de la
raison133.»
Toutes ces images élaborées sur l'Afrique depuis
l'Antiquité ne sont que des images préconçues et
figées, et donc acquises en dehors de toutes expériences, sans
fondement précis. Paradoxalement celles-ci sont partagées par un
grand nombre de gens, si ce n'est l'ensemble. Ces représentations
collectives, telles qu'elles sont ici décrites, se trouvent
ancrées dans l'imaginaire des individus et influencent leur vision ainsi
que leur discours sur le monde noir.
Que nous léguera alors le XVIIIe siècle
à ce sujet ? Le siècle des Lumières va-t-il tout changer
ou, au contraire, continuer cette vielle tradition ?
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