Section2 : Les sanctions extrapatrimoniales : la
déchéance des sûretés
Les sanctions prescrites par l'article 118 de l'Acte Uniforme
portant Organisation des Procédures Collectives et d'Apurement du Passif
sont à juste titre impressionnantes. Il peut s'agir d'une condamnation
au paiement des dommages intérêts, et d'une
déchéance des sûretés. Cet article, bien qu'il donne
la latitude au juge de choisir la sanction la plus appropriée, il peut
aussi les cumulées. La mesure de ces sanctions doit attirer l'attention
du pourvoyeur de fonds et l'amener davantage à plus de
précaution.
La déchéance d'un droit peut être
définie comme le fait de ne plus pouvoir en obtenir la reconnaissance en
justice. Ainsi, on est déchu d'un droit lorsqu'on ne peut plus jouir de
ce droit. Elle peut être le fait du temps, c'est-à-dire la non
mise en oeuvre d'un droit pendant une période précise. Elle peut
aussi être le fait d'une faute commise
155 Cf. LIENHARD (A.), Sauvegarde des entreprises en
difficulté, 2°éd. Delmas 2007, p 470, n°2305.
156
Cass. Com. 16 octobre 2007,
n°06-15.386 (arrêt n°990, F-D), Gaz. Pal. 23-24 janvier 2008, p
59, obs. ROUTIER (R).
postérieurement à la conclusion du
contrat157 et c'est celle qui a été retenue par le
législateur OHADA. Compte tenu de l'ampleur de cette sanction il est
reconnu en la matière le principe « pas de
déchéance sans texte. » Aucune déchéance
ne peut être prononcée que si un texte le prévoit
expressément.
La déchéance est donc une sanction prévue
par le droit civil, qu'a reprise l'Acte uniforme sur les procédures
collectives, l'alinéa 2 de l'article 118 de cet acte uniforme
prévoit que « la juridiction compétente choisit pour la
réparation du préjudice [...] soit la déchéance des
sûretés pour les créanciers titulaires de telles
sûretés ». Ainsi, le créancier banquier qui,
ayant, consenti du crédit à son débiteur en contre partie
d'une sûreté ou d'une garantie158, n'est plus
fondé à se prévaloir de celle-ci du fait que le
crédit ait été fautif. Cette déchéance
provient du fait que, le banquier n'a pas pris toutes les mesures
nécessaires avant d'octroyer le crédit.
La formulation du texte laisse croire qu'il s'agit d'une
déchéance de plein droit qui, bien entendu, reste à la
discrétion du juge. Il reste que le régime de cette sanction
n'est pas prévu par la loi. Qu'adviendra-t-il si la sûreté
a fait l'objet d'un commencement d'exécution ? Autrement dit cette
déchéance a-t-elle des effets rétroactifs ?
C'est sans doute pour éviter de telles interrogations
que l'article L650-1 du code de commerce français parle plutôt de
nullité. Ainsi, si même la sûreté a reçu un
début de commencement d'exécution, la nullité, par son
effet rétro actif remettra les parties en l'état,
c'est-à-dire on considèrera qu'aucune sûreté n'a
été conclue entre le banquier et débiteur.
On aurait alors souhaité que l'acte uniforme fasse autant
ou soit un peut plus explicite sur le régime de cette sanction somme
toute importante.
157 Ainsi lorsque dans un contrat de prêt prévoit
un remboursement par fractionnement de la dette et qu'une clause édicte
qu'en cas de non-paiement d'une seule échéance l'emprunteur sera
déchu du terme après une mise en demeure restée sans
effet, cela signifie que, du fait de sa négligence, le débiteur a
perdu le droit de se libérer par acomptes aux échéances
prévues par le contrat et que, donc, la totalité des sommes
restant dues au jour de la défaillance devient immédiatement
exigible et en sa totalité. Le contrat n'est pas le seul domaine de la
déchéance ; le Code civil a prévu les cas de
déchéance de la nationalité camerounaise ou encore de la
déchéance de l'autorité parentale sur leurs enfants
mineurs et bien d'autres cas de déchéance.
158 Il peut s'agir du cautionnement, du gage ou encore de
l'hypothèque.
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
Comme en droit commun, celui qui se plaint du mauvais concours
du banquier doit pouvoir établir l'existence d'un préjudice et
d'un lien de causalité. Il peut s'agir, d'un préjudice collectif
inhérent à la masse dans les procédures collectives, ou
d'un préjudice individuel qui est celui que se plaint un des
créanciers mais extérieur aux procédures collectives. En
jurisprudence, on assiste à une tendance visant à recevoir
davantage l'action introduite par les tiers et beaucoup moins pour les
personnes présentes à la convention de crédit, notamment
l'emprunteur ou encore la caution interne. Cette tendance se justifie par le
fait que l'emprunteur qui contracte connaît mieux que quiconque sa
situation financière. Aussi est-il inadmissible qu'il vienne mettre en
cause par la suite le banquier.
Toujours est-il que lorsque la responsabilité du
banquier est reconnue, celui-ci peut être condamné au paiement des
dommages intérêts ou à la déchéance des
sûretés qu'il a consenties envers le débiteur. La mesure de
ses sanctions parle d'elle-même et s'inscrit dans la mouvance consistant
à considérer le banquier comme toujours solvable. L'innovation de
l'article 118 de l'Acte uniforme réside toutefois dans la latitude
laissée au juge de prononcer la sanction la plus appropriée et
c'est à lui que revient au final la charge de trouver la juste mesure
entre le banquier et ceux qui se plaigne de ces mauvais concours.
CONCLUSION GENERALE
Au terme de notre étude, il convient de constater que
le contexte de difficulté des entreprises est parfois propice à
la commission d'actes répréhensibles par le banquier dispensateur
de crédit.
A l'analyse, cette responsabilité du banquier
relève des règles classiques de droit commun, néanmoins
elles conservent une certaine spécificité en raison du
caractère professionnel de l'activité bancaire.
En effet, la responsabilité professionnel est à
la fois plus stricte et plus souple que la responsabilité civile de
droit commun. Elle est plus stricte dans la mesure où, on exige du
banquier une diligence beaucoup plus étendue que celle d'un bon
père de famille. On estime que s'agissant d'un professionnel, celui-ci
dispose de plusieurs moyens, tant matériels qu'intellectuels, qui lui
permettent d'éviter un grand nombre d'erreurs. Elle plus souple que la
responsabilité du droit commun dans la mesure où il faut prendre
en considération certains impératifs techniques et certains
rapports privilégiés entre le banquier et ses clients. Pour
concilier ses deux situations contradictoires les juges étendent le
contenu des obligations qui pèsent sur le banquier.
Le banquier doit non seulement mettre à la charge du
client les fonds promis, mais aussi s'assurer de la proportionnalité
desdits fonds avec les ressources personnelles du client et lui donner au
besoin les conseils nécessaires au bon déroulement des
opérations. Il doit désormais, au regard de l'obligation de mise
en garde attirer l'attention du client profane ou non averti sur les aspects
négatifs de l'investissement projeté par le client. Il doit
ensuite procéder à la surveillance des fonds sans toutefois
s'ingérer dans les affaires de son client, au risque de se retrouver
dirigeant de fait. Par ailleurs, il doit s'abstenir de fournir du crédit
à une entreprise vouée à l'échec et dont la
situation est irrémédiablement compromise.
Inévitablement, la responsabilité d'un
établissement de crédit rend compte du paradoxe que rencontrent
les banquiers dans leur profession. Ils peuvent, en effet, se voir reprocher un
soutien sans discernement au profit d'un client dont la santé
financière justifie une rupture précoce, alors même qu'ils
sont soumis à une obligation de non-ingérence dans les affaires
de leurs clients.
Malgré cette rigueur de la faute, on
décèle des cas de limitation de la responsabilité du
banquier. C'est notamment le cas lorsque le client est un emprunteur
averti. En pareille situation, la responsabilité du
banquier est exceptionnellement ouverte, précisément lorsque le
professionnel rapporte la preuve que le banquier avait sur l'investissement des
informations que lui-même ignorait. Aussi, la responsabilité du
banquier ne peut être retenue s'il démontre que son concours
financier accompagne une perspective sérieuse de redressement.
Dès lors, l'opportunité économique du crédit
octroyé devient peu-à-peu, mais inexorablement, le critère
d'irresponsabilité du banquier, et son inopportunité, un
critère de responsabilité159.
D'un point de vue économique, cet état de chose
peut justifier la frilosité des banques à traiter les
difficultés des entreprises ayant recours au financement bancaire,
surtout les jeunes entreprises. Ainsi, les petites entreprises, à la
différence des grandes, se heurtent à un traitement financier
plus défavorable de la part des banques. Pour PILLASKI160,
celui-ci se traduit par « un coût de la dette plus
élevé mais aussi par un risque de rationnement plus fort de la
nouvelle entreprise ». Par ailleurs, les difficultés pour la
banque d'identifier le risque ou la qualité de l'emprunteur sont plus
importantes pour les jeunes entreprises, puisqu'elle dispose peu d'information
sur les capacités managériales ou sur les opportunités
d'investissements de celles-ci. On en déduit que le système
actuel de responsabilité du banquier dispensateur de crédit n'est
pas favorable au financement des entreprises. La France, consciente de cet
enjeu a reprécisé les contours de la responsabilité du
banquier dispensateur de crédit à travers la réforme
intervenue le 18 décembre 2008161. La responsabilité
de la banque y est désormais cantonnée à trois cas bien
précis : l'immixtion, la fraude, et la garantie
disproportionnée.
159Cf. MESTRE (J.), PUTMAN (E.), VIDAL (D.), Grands
arrêts du droit des affaires, D 1995, n6, p. 437.
160 Cf. PILLASKI, « Le rationnement du crédit et PME
: une tentative de mise en relation », Revue internationales P.M.E vol.
N°3-4, pp. 67-68.
161 L'Ordonnance française n° 2008-1345 du 18
décembre 2008 reformant le droit des entreprises en difficulté
qui a procédé à un allègement de la
responsabilité bancaire, a conduit certains auteurs à parler d'un
« principe d'irresponsabilité du banquier ». La
responsabilité bancaire est désormais cantonnée en France
dans trois cas bien définis : à savoir les cas de fraude,
d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur et de
la disproportion dans la garantie des concours. L'article L. 650-1 du Code de
commerce précise que «Lorsqu'une procédure de
sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est
ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables
des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf cas de fraude,
d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si
les garanties prises en contreparties de ces concours sont
disproportionnées à ceux-ci. Pour le cas où la
responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises
en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou
réduites par le juge»
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