1.4.2. Quant l'aide alimentaire ?
C'est probablement la question essentielle d'une
démarche éthique concernant l'aide alimentaire si l'on veut
éviter des effets pervers dont nous avons parlé en
première partie. L'analyse de la nature de la famine et de sa cause est
indispensable. Une origine erronée aboutit à une politique d'aide
alimentaire inadéquate, souvent conçue pendant la crise et qui
conduit à des effets inefficaces voire condamnable.
La seule approche macroéconomique pour expliquer une
crise alimentaire ne suffit pas. Les liens de causalité
systématique entre une crise alimentaire et la pression
démographique ou la disponibilité de la nourriture ne sont pas
vérifiés empiriquement.
Selon Sen, c'est plutôt un
problème de droit à l'accès à la nourriture. Il
décrit alors la famine comme un manque des capacités. Ces
capacités sont déterminées par la carte d'échanges
propre à chaque individu et à son positionnement dans la
société, elle-même caractérisée par des
aspects légaux, politiques et économiques. Ainsi, Sen montre
qu'il peut y avoir famine alors même que les greniers sont
pleins72.
71 NOZICK (Robert), « Distributive justice
»,Philosophy and public affairs, vol.3,p.45
72 MAHIEU (François-Régis), Op.cit,
p.155
Dès lors que la crise est due au dysfonctionnement des
échanges et à une inégalité des capacités
des individus, fournir de la nourriture ne résout pas le problème
à long terme : La prévention des famines met en jeu des mesures
si faciles que la véritable énigme tient à ce qu'elles
continuent à sévir. Ainsi, une situation
d'insécurité alimentaire comprend un aspect conjoncturel
(catastrophe, conflit...) qui joue le rôle de catalyseur et un aspect
structurel (vulnérabilité des populations liée à un
effondrement de la production causé par des politiques agricoles
inappropriées, une instabilité politique...) qui
représente la prédisposition de la population à passer
d'une situation de sécurité à une situation
d'insécurité.
Le don alimentaire se justifie pleinement dans l'urgence d'un
événement générant une famine car
l'universalité des droits humains justifie la nécessité de
l'ingérence des pays riches plutôt que le respect de la
souveraineté d'Etat en incapacité de faire face. Cependant,
dès lors que les facteurs structurels à l'origine de la
vulnérabilité des populations sont identifiés, le don
alimentaire ne peut être la réponse systématique. Gardons
en outre à l'esprit qu'il existe de nombreux cas où la famine est
au mieux instrumentalisée, au pire créée à des fins
politiques73. Bien analyser l'origine de la famine, c'est
éviter d'engager une action d'aide alimentaire soit qui sera inefficace,
soit qui nourrira des affameurs. Il convient donc d'identifier le bon moment
où il faudra changer de mode d'intervention.
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