La reformulation Rawlsienne des principes de la justice( Télécharger le fichier original )par Pénéloppe Natacha MAVOUNGOU Institut catholique de Toulouse - Master 2 de philosophie 2011 |
Chapitre I : Critiques internes des principes de la justice.Section 1- Limites du premier principe de la justice : Raisons pour réviser le premier principe de la justice.L'une des raisons qui conduisent Rawls à réviser le premier principe de Justice est celle de l'emploi du mot « liberté » au singulier13(*) dans Théorie de la justice. Cette idée, selon Rawls, obscurcit la compréhension des libertés. Car en faisant appel à une « liberté » au singulier, Théorie de la justice place une liberté au-dessus des autres libertés. Employer le mot « liberté » au singulier serait comme considérer que ce mot contient une supériorité qui le placerait comme seul objectif de la justice politique et sociale. Au sein du premier principe, en effet, il n'y a pas de priorité lexicale, car toutes les libertés de bases égales liées à ce principe ont des spécificités, au sens où la liste des libertés inclut toutes les autres libertés (pensée, association...). Selon Rawls, la révision du premier principe de justice « explicite le fait qu'aucune priorité n'est assignée à la liberté en tant que telle, comme si l'exercice de quelque chose nommée ``liberté'' possédait une valeur prééminente et constituait le principal, sinon le seul objectif de la justice politique et sociale »14(*). Cette affirmation de Rawls exclut l'idée d'une liberté prioritaire sur toutes les autres. La justice comme équité n'a pas la prétention de s'écarter des voies classiques en matière de liberté, puisqu' il y a, pour Rawls, toujours eu équilibre entre les libertés. L'expression « liberté » possède certes une valeur indestructible et irremplaçable, mais elle n'est pas à penser en terme singulier comme si elle avait priorité sur tout. C'est pourquoi, dans La justice comme équité, John Rawls préfère préciser que les libertés sont mises au plurielles, parce qu'il existe plusieurs libertés formant un système unique et qu'elles se valent. Cette conception de la liberté prolonge la conception usuelle qui prend en compte les libertés, non la liberté. Rawls ne prétend pas proposer une liberté hors du contexte traditionnel de l'histoire de la pensée démocratique, c'est pourquoi, préférant suivre la voie de ses prédécesseurs, il choisit de suivre la voie traditionnelle qui prend en compte non une liberté mais les libertés15(*).Tout en apportant de nouvelles idées, La justice comme équité tient compte des déclarations des droits humains pour fonder les principes de la justice politique. En outre, Rawls fait observer que le premier principe de la justice s'applique essentiellement à la constitution d'une société, qui en est le garant. Il paraît impossible de déterminer certains droits de base sans qu'ils soient passés par une institution, dans la mesure où ce principe s'applique aussi à la structure de base de la société. C'est pourquoi les questions des libertés de base sont très importantes, parce qu'elles font parties, selon Rawls, des problèmes qu'on désigne comme « les questions constitutionnelles essentielles »16(*). Par conséquent, le caractère fondamental des droits et des libertés de base constitue en lui-même une forme de supériorité, dans la mesure où ils sont essentiels à l'organisation d'une société. C'est ce qui leur vaut le titre de premier principe ayant priorité sur le second. Le sens que Rawls donne à cette priorité est le suivant : « Le second principe doit toujours être appliqué dans le cadre d'un contexte institutionnel qui satisfait aux exigences du premier principe. »17(*). En d'autres termes, pour appliquer le second principe de justice, il faut être sûr que les libertés et droits fondamentaux sont pris en compte et que, ces libertés sont exercées dans un cadre institutionnel. Ce qui nous rappelle que les principes de la justice sont des principes inhérents à la structure de base qui est leur premier lieu de mise en pratique. Le plus important dans le principe d'égale liberté, c'est son caractère transcendant, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un attribut de tous les êtres humains, par-delà toutes les contingences sociales. Par exemple, celui qui est issu de l'aristocratie n'est pas plus libre que celui qui est issu de la classe ouvrière. Tous les hommes sont égaux en droits et en liberté, au niveau du premier principe de la justice comme équité. En matière de gouvernement, par exemple, tous les humains sont des potentiels gouvernants, parce que la valeur équitable des libertés politiques garantit que les citoyens qui sont doués et motivés à un degré équivalent ont à peu près une chance égale d'influencer la politique du gouvernement et d'occuper des positions d'autorité18(*). Il faut aussi souligner que ces libertés ne peuvent pas faire l'objet de substitution ou de marchandage ou encore de troc. On ne peut, par exemple, demander à un être humain d'échanger sa liberté politique contre de l'argent ou d'y renoncer dans le cadre d'un marché. De ce point de vue, Rawls demeure fidèle à la vision rousseauiste, selon laquelle « renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d'homme, aux droits de l'humanité, même à ses devoirs »19(*). Dans cette révision du premier principe, Rawls reconsidère le concept de « liberté politique » sur lequel il insiste pour pouvoir montrer que la conception de la justice est une conception politique et non une conception métaphysique20(*), car pour lui, la théorie de la justice comme équité a été conçue pour des démocraties constitutionnelles, et il n'est pas possible dans le cadre d'une démocratie constitutionnelle, que la conception de la justice dépende des doctrines englobantes21(*). C'est pourquoi il pense que « la conception publique de la justice doit être politique et non pas métaphysique »22(*). La théorie rawlsienne de la justice est une théorie politique. Rawls juge cette précision importante, parce qu'il estime ne pas l'avoir souligné ou pas assez dans Théorie de la justice. Cela est d'autant plus important parce qu'une conception de la justice telle que comprise par Rawls a pour objet la structure de base de la société, qui lui confère son titre de « conception publique ». C'est donc dans ce contexte qu'il faut comprendre l'expression « liberté politique ». Dans la réserve qu'il émet à l'égard du premier principe de la justice, Rawls ajoute une précision quant à la priorité du principe d'égale liberté sur les autres principes. En effet pour parler des conditions favorables de réalisation de ce premier principe, une exigence s'impose : faire appel à des conditions historiques, économiques ou sociales. Ces dernières sont nécessaires parce qu'elles permettent au gouvernement d'avoir un regard équitable face aux difficultés qu'il est susceptible de rencontrer. Car ces difficultés peuvent avoir plusieurs origines, même si, de manière générale, elles viennent de la mentalité ou des habitudes politiques d'une société ou de son organisation. Voilà pourquoi l'idée qui consiste à penser que les difficultés sont dues à la défaillance du système économique ou éducatif est à proscrire, dans la mesure où ce n'est pas cela qui peut empêcher la marche d'une société démocratique. C'est la coopération de base qui ne fonctionne pas. Il y a un vice initial qui peut affecter à la base une structure de coopération. Aussi le grand problème à régler, selon Rawls, vient des contingences sociales et économiques existantes dans la société. La priorité du principe d'égale liberté doit bénéficier à tous et non uniquement aux plus favorisés. Nul n'a besoin d'être riche pour jouir de ce principe : agir au sein de la coopération sociale suffit. L'auteur de Théorie de la justice définit les« questions constitutionnelles essentielles »23(*) comme étant « des questions cruciales au sujet desquelles, compte tenu du fait du pluralisme, l'urgence de l'élaboration d'un accord politique est la plus grande »24(*). Parmi ces questions, on peut noter les principes fondamentaux qui servent à organiser la société et les questions des droits fondamentaux ainsi que celle des libertés égales. En outre Rawls considère que les questions constitutionnelles permettent la sauvegarde de la coopération sociale. Par ailleurs il faut garder à l'esprit que Rawls considère les questions constitutionnelles en rapport avec l'idée « d'opposition loyale ». En fait, dans tout régime constitutionnel, on ne peut faire abstraction de l'idée d'opposition, dans la mesure où elle lui est essentielle. L'adjectif « loyale » dit ce qu'est cette opposition ou bien ce que devrait être une opposition dans un régime constitutionnel. Le mot « loyal » a pour synonyme la fidélité, l'honnêteté, la franchise et le dévouement. En anglais, il se dit « devoted, loyal, true...». Ce qui donne donc à comprendre que l'opposition dont il est question ici n'est pas une opposition malsaine ni malhonnête qui mettrait en avant ses propres intérêts. Au contraire, tout régime constitutionnel doit voir sa majorité et son opposition s'accorder sur les questions essentielles ou fondamentales comme la liberté et l'égalité. Ces règles fixées ensemble doivent être respectées. Ainsi l'idée des questions constitutionnelles essentielles couvre l'ensemble du premier principe de la justice qui se résume au respect des libertés de base égales : la liberté de pensée, la liberté de conscience, les libertés politiques (le droit de voter et de participer à la vie politique), la liberté d'association, de même que les droits et libertés qui correspondent à l'intégrité physique et psychologique de la personne. Après avoir souligné le rapport qui existe entre les questions constitutionnelles essentielles et le premier principe de la justice, Rawls distingue celui-ci du second principe, parce qu'il estime ne pas l'avoir suffisamment fait dans Théorie de la justice. En ce qui concerne le principe d'égale liberté, Rawls le fait coïncider avec les questions constitutionnelles essentielles, alors que le deuxième principe, lui, concerne davantage des questions de justice distributive et soutient que l'égalité équitable des chances doit être garantie, de même que « les inégalités sociales et économiques doivent être régies par le principe de différence »25(*). Pour Rawls, « si l'existence d'un principe d'égalité des chances relève d'une question constitutionnelle essentielle, l'égalité équitable des chances requiert plus que cela et n'est pas comptée parmi les questions constitutionnelles essentielles. De la même manière, si un minimum social qui couvre les besoins de base des citoyens relève également d'une question constitutionnelle essentielle, le principe de différence exige davantage et n'est pas considéré de cette façon »26(*). En tant qu'il est principe de justice politique, le deuxième principe élaboré par John Rawls exprime aussi des valeurs politiques comme le principe de la liberté. Mais la distinction des deux principes est à comprendre dans les rôles coordonnés joués par la structure de base. Dans sa première fonction, « la structure de base spécifie et protège les libertés de base égale des citoyens [...] et établit un régime constitutionnel juste »27(*), tandis que dans la deuxième, elle « procure le contexte institutionnel de justice sociale et économique sous la forme qui convient le mieux aux citoyens vus comme libres et égaux »28(*). Cette distinction permet de comprendre que le premier principe concerne la question de l'« équitabilité » des libertés égales, et le deuxième principe concerne des questions économique est sociales. Cette différence établie entre les deux principes, John Rawls juge nécessaire de préciser le cadre dans lequel sont appliqués les principes de justice. L'on peut se demander de quel cadre il s'agit, d'autant plus que la grande représentation reconnue dans la théorie de Rawls est la position originelle. N'oublions donc pas que la position originelle, telle qu'elle sera développée plus loin, permet aux partenaires de choisir les principes de la justice. Il s'agit donc ici du schéma de la séquence des quatre étapes qui comme démarche d'application des principes de justice s'impose à notre étude. * 13 Ibid., P. 72. * 14 Ibid.,. * 15 Rawls se réfère ici à ce que Benjamin Constant appelle la liberté des anciens et la liberté des modernes. La liberté des anciens est celle qui s'incarne dans la sphère politique, tandis que la liberté des modernes, elle, privilégie la liberté de l'individu et la place au-dessus de tout. Mais, pour Rawls, les deux types libertés sont conciliables. C'est la référence à cette tradition qu'il appelle « voie traditionnelle ». * 16 Les lois fondamentales de la société (souligné par nous). * 17 Ibid., p. 74. * 18 Ibid. * 19 Jean Jacques Rousseau, Du contrat social, Paris, Livre de poche, coll. « Les Classiques de la Philosophie », 1996, Livre I, Chapitre IV, p. 49. * 20 Le terme métaphysique revient très souvent chez Rawls, pourtant il n'est pas à comprendre ici, dans le sens de la science de l'être en tant qu'être. Rawls ne définit pas ce terme de façon explicite, mais à travers les occurrences que nous retrouvons dans son texte, métaphysique ici voudrait dire tout ce qui ne fait pas partie de la sphère politique. Cette idée rejoint celle des doctrines englobantes, de laquelle la conception publique de la justice doit se distinguer. * 21 Les doctrines englobantes sont des doctrines qui tentent de prendre en charge toutes les dimensions de l'existence humaine. Elles s'intéressent aux conceptions de la vie bonne, à la religion, aux valeurs. * 22 John Rawls, « La Théorie de la justice comme équité : une théorie politique et non pas métaphysique », dans Catherine Audard (dir.), Individu et justice sociale, Paris, Éd. du Seuil, coll. points-politique, 1988, p. 279. * 23 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 51. * 24 Id., La justice comme équité, op. cit., p. 74. * 25 Id., op. cit., p. 75. * 26 Idem, 75-76. * 27 Ibidem 76. * 28 Ibid. |
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