b) L'identité et les mécanismes de
représentation
Dans la première partie de ce mémoire nous avons
analysé la gestion et l'expression des appartenances nationales et leur
caractère essentiellement symbolique enserré et
déterminé par des rapports de pouvoir et de coercition. Nous
avons vu aussi de quelle façon l'identité et le sentiment
d'appartenance nationale sont gérés par des institutions de
représentation symbolique et de négociation de l'appartenance
nationale. Symbolique et identification interagissent dans la construction de
l'idée que l'on se fait de la société nationale.
Cependant, les formes de matérialisation du symbolique sont
étroitement liées
46 Chivallon C., Retour sur la «
communauté imaginée » d'Anderson. Essai de clarification
théorique d'une notion restée floue, Raison Politiques 2007/3,
n°27, p.131-172.
à notre système de perception, ainsi, pour notre
système cognitif, le réel ne s'oppose pas forcement à
l'imaginaire.
Berger et Luckmann nous donnent quelques pistes à ce
sujet : la réalité sociale se construit au travers de
systèmes de signes qui « objectivent » les significations dont
la vie sociale est dotée, ordonnent le monde en motifs et objets et
participent ainsi à l'extériorisation de la subjectivité.
« L'existence humaine est une extériorisation continuelle,
l'homme construit le monde dans lequel il s'extériorise, il projette ses
propres significations dans la réalité ». Le partage de
sens et lien social sont possibles grâce à la pratique d'espaces
codés47.
L'imaginaire social est la condition première à
l'existence sociale, et par définition, il fait exister ce qui n'existe
pas. L'imaginaire ne reste pas nécessairement au stade de l'onirique ou
de mythe désincarné, sa portée dans l'édification
sociale est forcément liée à l'activité symbolique
qui met en oeuvre tout langage, verbal et non verbal, destiné à
traduire des représentations et à leur donner leur sens
perceptible au travers de mots, d'objets et d'agencements matériels.
L'imaginaire ne se définit donc pas par opposition au réel, mais
par les degrés de concrétude qu'il acquiert.
Dieu par exemple, ne se présente pas de façon
physiquement identifiable, même si Benoit XVI dirait le contraire. Mais
il existe en raison d'un travail d'encodage symbolique qui traduit une
présence perçue, cette réalité peut donc quand
même exister mais seulement à travers des manifestations qu'on lui
prête (signes réels) et dont elle peuple le monde perceptible.
« Le symbolisme recouvre ici l'acception anthropologique large, qui
est celle de l'attribution de sens au monde. L'activité symbolique
consiste alors en ces multiples opérations d'encodage, opérations
qui ne peuvent se passer de la matérialité pour faire advenir au
perceptible ce qui est de l'ordre de la pensée48
».
L'édification du social et de l'appartenance nationale
utilise donc le symbolique, non seulement pour s'exprimer, mais pour exister,
pour passer du virtuel au statut du
47 Chivallon C., Retour sur la «
communauté imaginée » d'Anderson. Essai de clarification
théorique d'une notion restée floue, Raison Politiques 2007/3,
n°27, p.131-172.
48 Chivallon C., Retour sur la « communauté
imaginée » d'Anderson. Essai de clarification théorique
d'une notion restée floue, Raison Politiques 2007/3, n°27,
p.131-172.
réel, tangible et perceptible. Lorsque la nation
crée ses dispositifs scéniques dont les signes verbaux et non
verbaux occupent l'espace public (documents, drapeaux, hymnes, contes,
monuments aux morts, cartes géographiques, noms des rues) c'est pour
établir une matérialité indispensable au symbolique afin
d'être perçue comme la réalité du corps social qui
conduit à l'auto-identification.
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