Conclusion
A l'heure de grands questionnements qui surgissent en raison
de la mondialisation, de l'unité économique, sociale et
technique, ainsi que de l'augmentation des interrogations d'ordre
technocratique, j'ai voulu approfondir une réflexion et apporter un
raisonnement sur une réalité qui me semble mal comprise dans le
discours public et social. Les crises des états-nations ne sont pas
uniquement économiques ou financières, elles se projettent aussi
sur la conception du rôle de l'être humain dans le concert
international. L'intention de ce travail n'est pas seulement d'apporter des
réponses, mais aussi d'ouvrir des pistes à d'autres
réflexions.
Mon travail de terrain m'a permis de vérifier, nuancer,
découvrir et délimiter des aspects qui s'insèrent dans les
interactions sociales et humaines, et qui déterminent des modifications
dans les rapports des appartenances et des identités. J'ai pu observer
et évaluer les enjeux de l'Identité cosmopolitique, et confirmer
certaines de ses particularités, cependant d'autres resterons
irrésolues dans le cadre de ce travail.
Reprenons donc les problématiques qui ont
été présentées dans l'introduction. Le premier
groupe de questionnements peut être résumé et contenu dans
la problématique suivante : quel est le rôle de
l'état-nation dans la construction de l'appartenance? Dans la
première partie, nous avons donc vu que le fait d'être nés
quelque part et de quelqu'un, est une condition intrinsèque de tous les
hommes, ce constat est la source étymologique et le fondement du concept
de « nation ». L'état-nation s'approprie ces faits en leur
attribuant une valeur et un sens propres, par un travail de construction
symbolique qui se traduit par l'appartenance nationale. Ce type de filiation
identitaire est donc fondé, comme nous l'avons dit, sur des faits
objectifs et non-objectifs tels que la race et la citoyenneté ou
l'ethnie et le territoire. Ces faits se voient
réinterprétés au sein d'un système de
représentation collective qui est indissociable et inhérent
à l'état-nation. L'imaginaire national fonctionne ainsi comme un
assemblage de concepts qui acquièrent une cohérence propre.
Ensuite, nous avons abordé les enjeux de la mondialisation
afin d'établir une approche sur ses potentielles répercutions
dans les réorganisations des appartenances et
des identités, dans un monde dominé par les
échanges et les croisements de cultures. L'acte migratoire est une
figure indissociable non seulement de la mondialisation mais aussi de la nature
sociale et territoriale de l'homme. Il se profile incontestablement comme le
phénomène sociodémographique qui va dominer le
XXIème siècle. Nous avons établi un angle d'approche
culturel de l'acte migratoire, traité comme une « expérience
multiculturelle » entraînant des bouleversements qui
réordonnent la notion de l'appartenance et de l'identité. Cela
nous amène aux problématiques principales sur lesquelles nous
avons axé ce travail de recherche : quelles sont les
répercussions de l'acte migratoire, entendu comme une expérience
multiculturelle, dans le sentiment d'appartenance nationale et dans le
processus d'affranchissement des catégories rationnelles du national ?
L'Identité cosmopolitique est-elle le résultat de ce processus
?
Les hypothèses que nous avions avancées pour
répondre à ces questionnements étaient les suivantes :
l'« expérience multiculturelle » produit, chez certains
individus, une reconfiguration identitaire qui s'inscrit dans un processus de
détachement et de transformation du sentiment d'appartenance nationale.
L'Identité cosmopolitique est le résultat de ce processus, elle
se traduit par une contestation et un affranchissement progressif des
catégories rationnelles du national dans l'expérience du
quotidien. La constitution de l'Identité cosmopolitique est impossible
en l'absence de l'expérience multiculturelle. Ce processus se divise en
deux phases : la première se définit en fonction du rapport que
l'individu entretient avec son pays d'origine et la deuxième est
déterminée par la relation que l'individu entretient avec les
cultures d'accueil.
Nous avons établi que notre système cognitif est
profondément influencé par ces formes de représentation de
l'identité et que cela conditionne nos rapports envers les autres
univers nationaux. Cependant, en me basant sur un travail de terrain et sur
l'analyse sémiotique des documents, mon travail ne me permet pas
d'affirmer avec certitude si l'expérience multiculturelle permet de
s'affranchir effectivement du nationalisme méthodologique. Le
nationalisme méthodologique relève du cognitif, il ne s'agit pas
d'une démarche qui relève du rationnel ni de l'émotionnel.
Ainsi, pour savoir si l'expérience multiculturelle permet une
modification au niveau cognitif, il faut se référer à la
psycho-sociologie, afin de comprendre comment le système cognitif
s'enrichit ou évolue dans le cadre de cette expérience.
Quel est le rôle du rapport aux origines et du rapport
à la société d'accueil dans la construction de
l'Identité cosmopolitique ? Le lien avec le pays dépend
essentiellement de circonstances personnelles. Bien que l'identité
cosmopolitique se détache du sentiment d'appartenance nationale, les
conditions du départ jouent un rôle déterminant dans le
dialogue avec le pays d'origine, ainsi qu'avec le pays d'accueil. Ces aspects
n'ont pas pu être éclaircis.
La troisième hypothèse à confirmer
était de savoir si l'Identité postnationale correspond au stade
qui précède l'Identité cosmopolitique. Dans la
première partie du deuxième chapitre, nous avons parlé de
l'Identité postnationale. L'Identité postnationale est une
identité proprement politique, qui revendique la notion de
citoyenneté comme un principe qui va au-delà des
nationalités. Les droits et les devoirs, ainsi que l'ensemble des droits
fondamentaux ne sont pas divisibles territorialement de la même
façon que les états-nations. Toutefois, l'Identité
postnationale n'est pas forcement liée aux phénomènes
migratoires ou à l'expérience multiculturelle proprement dite.
Dans sa démarche politique, la démarche postnationale appuie et
structure son approche sous un angle éminemment cosmopolitique. Nous
pouvons donc affirmer que l'identité cosmopolitique rejoint
l'Identité postnationale au niveau de sa perspective cosmopolitique.
Elles partagent une vision cosmopolitique du monde. Il s'agit d'un point de
convergence important, qui ne permet cependant pas d'établir un lien
direct entre les deux.
La dernière des hypothèses était que
l'Identité cosmopolitique ainsi que l'Identité postnationale se
traduisent par un sentiment d'appartenance à une communauté
globale. Notre travail de terrain nous a permis de confirmer positivement le
fait que la sensibilité cosmopolitique ne nie aucunement que les
interdépendances croissantes ont des répercussions dans les
expériences de vie sur certaines personnes, qui déterminent une
mutation du sentiment d'appartenance.
En conclusion, tous ces changements nous obligent à
mettre en question la validité et la cohérence de nos
institutions nationales et internationales face aux évolutions
identitaires qui émergent de ce nouveau rapport au monde.
Ce travail a une valeur personnelle inestimable, il m'a
apporté un support et des réponses académiques à
des questionnements qui hantaient mon esprit. J'espère, très
sincèrement, que ce travail va permettre d'ouvrir les
horizons et d'élargir la perception des personnes candidates à
l'expérience multiculturelle pour qu'elles puissent compter avec des
meilleurs clefs d'interprétation et bénéficier ainsi d'un
changement de regard. Le but ultime de ce travail était d'apporter de la
lumière afin que l'on puisse profiter un peu mieux de la coexistence
dans ce même monde d'hommes et de femmes d'origines et cultures
différentes, l'enjeu en vaut la peine.
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