CHAPITRE DEUXIEME : NOTIONS SUR LA FRAUDE
FISCALE
A travers ce chapitre, nous commencerons par définir la
fraude fiscale ainsi qu'à donner ses causes ; ensuite nous
étudierons les différentes formes de la fraude fiscale et leurs
conséquences. Enfin, nous tenterons de donner les points qui constituent
la résistance active qui sont des actes ou tentatives qui s'opposent
à l'emprise fiscale et qui visent directement à échapper
à l'impôt. Il s'agit de l'évasion fiscale, de la fraude et
du refus de l'impôt.
SECTION 1 : DEFINITIONS ET CAUSES DE LA FRAUDE FISCALE
§1. L'évasion fiscale
Il y a grand risque de confondre la fraude fiscale à
l'évasion fiscale. D'où, la nécessité de les
définir toutes pour en saisir les nuances.
Il y a un moyen très simple d'échapper au
paiement de l'impôt, c'est de s'abstenir, de créer le fait ou de
poser l'acte à l'occasion duquel il est perçu ; en d'autres mots
cela revient à supprimer ou à éviter
l'élément taxable(1). Il y a évasion fiscale
lorsque celui qui devrait payer l'impôt ne le paie pas sans que la charge
ne soit reportée sur un tiers. C'est ce qu'on appelle l'évasion
fiscale. Elle se réalise généralement par la voie de
l'abstention ou de substitution. L'éventualité de
l'évasion dépend de deux facteurs à savoir: la pression
ressentie du fait de la charge fiscale et l'évitement de l'acte
imposé.
Dans certains cas, le contribuable ne supprime pas
réellement les éléments imposables par abstention ou
substitution, mais il les revêt de formes telles qu'ils ne peuvent plus
être atteints par l'impôt. On parle alors d'évasion formelle
ou apparente, parfois aussi de fraude d'intention ou de fraude
légale.
§ 2. La fraude fiscale
(1) Code Fiscal Annoté, éd. Wang Ngom,
avril 2003, P.91.
L'évasion fiscale, dont question ci-haut, n'est pas
susceptible d'une application généralisée car il n'est pas
possible au contribuable d'éviter tous les faits ni de supprimer tous
les éléments imposables.
Mais, lorsque l'évasion est irréalisable, le
contribuable se défend par d'autres procédés dont les
principaux sont la fraude ou la dissimulation (en matière
douanière on emploie surtout le mot contrebande).
La fraude, à l'opposé de l'évasion,
comporte une violation expresse de la loi ayant pour but d'échapper
à l'impôt ou d'en réduire la base. En fait, il s'agit en
l'espèce d'une forme de simulation : la réalité est
cachée ou tronquée par exemple au moyen d'une déclaration
inexacte ou par la fourniture des renseignements erronés.
A. En droit congolais (R.D.C.)
Le législateur Congolais n'a pas défini
expressément la fraude fiscale. L'article 101 de la loi n°004/2003
du 13 mars 2003 portant réforme des procédures fiscales parle
seulement de l'intention frauduleuse(1). Cet article dispose que
l'intention frauduleuse consiste à poser des actes en vue de se
soustraire ou de soustraire un tiers à l'établissement ou au
paiement total ou partiel de l'impôt dû.
Nous verrons très loin que cette définition de
l'intention frauduleuse correspond avec celle que d'autres droits et doctrines
donnent de la fraude fiscale.
B. En droit comparé
En droit français, la fraude fiscale est définie
par l'article 1741 du code général des impôts qui dispose :
« Quiconque s'est frauduleusement soustrait ou tenté de se
soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total
ou partiel de l'impôt ; soit qu'il ait volontairement omis de faire sa
déclaration dans les délais prescrits ; soit qu'il ait
volontairement dissimulé une partie des sommes sujettes à
l'impôt ; soit qu'il ait organisé son insolvabilité ou mis
obstacle par d'autres manoeuvres au recouvrement de l'impôt ; soit en
agissant de toute autre manoeuvre frauduleuse... »(2).
(1) Journal Officiel, Décret loi n°004/2003 du
13 mars 2003 p.22
(2) Mémento pratique Francis Lefebvre ; fiscal
2004, éd. Francis Lefebvre, Levallois, 2004, p. 627.
En droit suisse, l'article 186 du livre d'impôts
fédéraux directs la définit comme le fait que le
contribuable, ou le tiers, ait agi dans le but de commettre une soustraction
d'impôt.
C. En doctrine
Pour MARC DASSESSE et PASCAL MINNE, la fraude fiscale
implique nécessairement une violation de la loi fiscale en vue
d'échapper totalement ou partiellement à l'impôt, voire
d'obtenir des remboursements d'impôts auxquels on n'a pas
droit(1).
Dans ce même ordre d'idée, BELTRAME abonde dans
le même sens que les deux auteurs précités en disant que la
fraude fiscale peut être définie comme une infraction à la
loi commise dans le but d'échapper à l'imposition ou d'en
réduire le montant(2).
D. Les éléments constitutifs de la fraude
fiscale(3).
Le délit de la fraude fiscale est établi par la
réunion des éléments
suivants :
1° L'élément légal : En RDC bien que
le législateur ne parle pas expressément de fraude fiscale, nous
pouvons dire que l'élément légal est les articles 101 et
102 de la loi n°004/2003 du 13 mars 2003 portant réforme des
procédures fiscales (ceux-ci parlent des infractions fiscales).
En France c'est l'article 1741 du code général
des impôts,tandis qu'en droit suisse c'est l'article 186 de livre
d'impôt fédéral direct (LIFD) qui constituent les
délits de fraude fiscale.
2° L'élément moral ou
intentionnel(3): c'est l'élément le plus important car
le plus difficile à prouver. L'infraction est constituée lorsque
le contribuable à qui l'on reproche la fraude l'a fait de manière
délibérée, de manière intentionnelle.
(1) Marc DASSESSE et Pascal MINNE, Droit Fiscal ; principes
généraux et impôts sur les revenus, 4è
éd., Bruxelles, Bruyant, 1996, p. 69.
(2) Amadou YARO N., Fraude et évasion fiscales : les
sanctions encourues in www.lefaso.net/ article
(3) Mémento pratique Francis Lefebvre ; fiscal
2004, éd. Francis Lefebvre, Levallois, 2004, p. 627.
Pour être punissable, la fraude fiscale doit ainsi
être commise avec conscience et volonté et dans le dessein de
tromper l'administration fiscale.
3° L'élément matériel peut prendre
les formes suivantes selon l'article 102 de la loi précitée, soit
l'omission volontaire de déclaration dans le délai prescrit, soit
de la dissimulation volontaire des sommes sujettes à l'impôt, soit
de la passation délibérée des écritures fictives ou
inexactes dans les livres comptables, soit de l'incitation du public à
refuser ou retarder le paiement de l'impôt, soit l'émission de
fausses factures, soit de l'opposition à l'action de l'Administration
des impôts, et soit de l'agression ou de l'outrage envers un agent de
l'Administration des impôts.
4° Les personnes punissables(1).
La fraude fiscale est un délit qui peut avoir pour
auteur toute personne physique (y compris l'organe) ou le représentant
d'une personne morale,( ou le représentant du contribuable).
Néanmoins, l'auteur principal de la fraude fiscale est en principe le
contribuable lui-même.
Le tiers qui participe à une soustraction ou à
une tentative de soustraction comme instigateur ou complice, y compris celui
qui commet la soustraction en qualité de représentant de
contribuable, peut être auteur, co-auteur, complice ou instigateur de la
fraude fiscale.
Il faut remarquer que le complice, c'est-à-dire la ou
les personnes qui ont aidé ou participé à la fraude
fiscale, s'étend ici aux professionnels de la comptabilité
(qu'ils soient salariés ou non) dans la mesure où ils ont
utilisé leurs compétences techniques pour échapper
à l'imposition par des irrégularités comptables.
En cas d'omission volontaire de déclaration ou de
signature de la déclaration, c'est la personne qui devait
légalement souscrire ou signer la déclaration qui est
pénalement responsable.
Si le contribuable légal est une personne morale (cas
d'impôt sur les sociétés par exemple), ce sont ses
représentants légaux qui sont pénalement responsables.
(1) Mémento Francis Lefebvre, op. cit.
p. 628.
5° Les sanctions
5°.1. En droit congolais
En droit congolais, elles reposent sur la loi n°004/2003
du 13 mars 2003 portant réforme des procédures fiscales à
son article 101 al. 1 qui dispose que, sans préjudice des peines
prévues aux articles 123 et 127 du code pénal, les auteurs
d'infraction fiscale qui procèdent manifestement d'une intention
frauduleuse sont passibles des peines ci-dessous :
a) pour la première infraction, un emprisonnement d'un
à 30 jours, une amende égale au montant de l'impôt
éludé ou non payé dans le délai, ou une de ces
peines seulement.
b) En cas de récidive, un emprisonnement de 40
à 60 jours, une amende égale au double au montant de
l'impôt éludé ou non payé dans le délai, ou
l'une de ces peines seulement.
5°.2. En droit comparé
En droit français(1), il faut distinguer les
peines principales des peines complémentaires et des peines
accessoires.
a) Les peines principales
L'article 1741 du code général d'impôt
français prévoit : emprisonnement d'un à 5 ans, amende de
750 à 37.500 Euro. (2),
Ces peines sont aggravées lorsque les faits ont
été réalisés ou facilités au moyen soit
d'achat et de vente sans facture, soit des factures ne se rapportant pas
à des opérations réelles, ou qu'ils ont eu pour objet
d'obtenir de l'Etat des remboursements injustifiés.
L'auteur encourt alors les peines suivantes :
l'emprisonnement de 5 ans et l'amende de 75.000 Euro.
En cas de récidive : l'emprisonnement de 4 à 10 ans
et l'amende de 2.200 à 100.000 Euro.
(1) DISLE E. et SARAF J., Droit fiscal, Manuel et
application 2004/2005, Paris, éd. Dunod, 2004, pp. 628-629.
(2) DISLE E. et SARAF J., idem, pp. 628-629.
Il n'y a pas de circonstances atténuantes. Les peines
d'amende et d'emprisonnement sont cumulatives.
b) Les peines complémentaires
Pour être appliquées, ces peines doivent avoir
été prononcées par le tribunal en complément de la
peine principale infligée.
Il s'agit pour l'essentiel, de la publication et de
l'affichage du jugement (peine obligatoirement prononcée par le juge).
La charge correspondante est supportée par la personne condamnée.
L'affichage ne peut être d'une durée inférieure à
trois mois de l'interdiction d'exercer une profession industrielle, commerciale
ou libérale et de la suspension du permis de conduire ; de la
privatisation des droits civiques.
c) Les peines accessoires
Ces peines sont automatiquement appliquées en
accompagnement des peines principales sanctionnant le délit de fraude
fiscale. Le juge n'a pas à les prononcer. Il s'agit de l'interdiction de
participer aux travaux de certaines commissions (commission communale,
départementale et centrale des impôts directs par exemple) ; de
l'interdiction relative à la direction (ou à la création)
de centres de gestion agréés.
En droit belge(1), il existe également les
peines principales prévues à l'article 449 du code d'impôt
et les peines accessoires prévues à l'article 455 du même
code.
a) Les peines principales
L'article 449 dispose : « sans préjudice des
sanctions administratives, sera puni d'un emprisonnement de huit jours à
2 ans et d'une amende de 10.000 à 500.000 FB ou de l'une des peines
seulement, celui qui, dans une intention frauduleuse ou à dessein de
nuire... »
(1) MARC DASSESSE et PASCAL MINNE, op. cit, pp.
351-355.
b) Les peines accessoires (articles 455 à 459) :
L'interdiction professionnelle. Il s'agit de titulaire des professions
suivantes : << conseil fiscal, agent d'affaires, expert en matière
fiscale ou comptable ou toute autre profession qui a pour objet de tenir ou
d'aider à tenir les écritures comptables d'un ou de plusieurs
contribuables, que ce soit pour compte propre ou comme dirigeant, comme membre
ou comme employé de société, association, groupement ou
entreprise quelconque, ou plus généralement de la profession
consistant à conseiller ou à aider un ou plusieurs contribuables
dans l'exécution des obligations définies par le présent
code ou par des arrêtés pris pour son exécution, du chef de
l'une des infractions visées aux articles 449 à 453, le jugement
pourra lui interdire, pour une durée de 3 mois à 5 ans d'exercer
directement ou indirectement à quelque titre que ce soit, les
professions susvisées » (article 455) ; La fermeture des
établissements et la confiscation (article 455 §1 dernier
alinéa) : << Le juge pourra, en outre, en motivant sa
décision sur ce point, ordonner la fermeture, pour une durée de 3
mois à 5 ans, des établissements, de la société,
association, groupement ou entreprise dont le condamné est dirigeant ou
employé » ; La publication des condamnations (article 459 :
<< Le juge pourra ordonner que tout jugement ou arrêt portant
condamnation... soit affichée dans le lieu qu'il détermine et
soit publié... » ; Obligation solidaire des co-auteurs ou complices
au paiement de l'impôt (article 455 alinéas 1) et
Responsabilité civile des commettants (article 458 alinéa 2) :
<< Les personnes physiques ou morales seront civilement et solidairement
responsables des amendes et frais résultant des condamnations
prononcées... contre leurs préposés ou administrateurs,
gérants ou liquidateurs ».
En droit Suisse(1), pour les articles 59 et 186
LIFD, la fraude fiscale est un délit punissable de l'emprisonnement ou
de l'amende jusqu'à 30.000 Frs, qui relève de la
compétence du juge pénal, qui dispose dans la poursuite de
l'infraction de toutes les mesures prévues par le code de
procédure pénale.
Signalons par ailleurs qu'en matière fiscale, il existe
deux types
de sanctions :
(1) Conférence du 16 mars 2006 pour les
stagiaires- notoires suisses
a) Les sanctions fiscales qui sont des sanctions
pécuniaires (pénalités, majoration de droits,
intérêt de retard par exemple) et qui sont infligées
directement par l'administration fiscale sous le contrôle du juge de
l'impôt. Ces sanctions sont définies par la loi ; elles sont
prévues par le code général des impôts et sont
susceptibles d'être contestées devant les tribunaux.
b) Les sanctions pénales, qui sont infligées
par les tribunaux de l'ordre judiciaire uniquement à la suite
d'infractions pénales. Les sanctions pénales ont la
particularité d'être répertoriées non pas dans le
code pénal mais dans le code général des impôts. Ces
sanctions sont prononcées par les juridictions, à la demande de
l'administration fiscale, contre les auteurs d'infractions fiscales graves
considérées comme délits (comme la fraude fiscale par
exemple) en complément des sanctions fiscales appliquées par
l'administration.
Par ailleurs, en France, le principe de cumul des sanctions
fiscales et des sanctions pénales, en cas de fraude fiscale
particulièrement, est admis tant parle conseil d'Etat que par la Cour de
Cassation, qui considèrent que ni le pacte international de New York
relatif aux droits civils et politiques ni la convention européenne des
droits de l'homme n'y font obstacle. Cependant, le conseil constitutionnel a
précisé que le montant global des sanctions éventuellement
prononcées ne doit pas dépasser le montant le plus
élevé de l'une des sanctions encourues(1).
6° Le juge compétent en cas de fraude fiscale
Il faut savoir que, en droit commun, l'initiative des
poursuites appartient au parquet. En droit fiscal, cette initiative appartient
à l'administration des impôts, dans la mesure où le parquet
ne peut pas engager de poursuite sans une plainte préalable
déposée par l'administration fiscale. L'administration se
retrouve en fait seule juge de l'opportunité de l'exercice des
poursuites et sélectionne les affaires qu'elle va soumettre au juge
pénal sans autre arbitre qu'elle-même(2).
(1) Mémento pratique Francis Lefebvre, op. cit, p.
1094.
(2) Christian Troussier, la commission des infractions
fiscales et dualité entre pénal et administratif, colloque,
20 juin 2003.
Le juge de la légalité en matière fiscale
est le juge de l'impôt. Dans la généralité des cas,
le juge de l'impôt est un magistrat de l'ordre
administratif(1).
Il y a donc indépendance des instances pénales
et fiscales. Selon un principe bien établi, les poursuites
pénales pour fraude fiscale et la procédure administrative
tendant à la fixation de l'assiette et de l'étendue des
impositions sont par leur nature différentes et indépendantes
l'une de l'autre. Il en résulte que le juge répressif n'a pas
à surseoir, à statuer jusqu'à ce que le juge de
l'impôt se soit prononcé. Cette indépendance se justifie
par l'éventard plus large des preuves admises devant le juge
pénal qui doit statuer selon son intime conviction(2).
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