Les comportements sexuels et reproductifs des femmes vivant sous antirétroviraux au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Moustapha Mohammed Nsangou Mbouemboue Université Yaoundé I - Master en sociologie 2010 |
I.2. Le poids des représentations sociales de l'enfantL'enfant en Afrique noire, a un poids social qui n'est plus à démontré. Il est à la fois une preuve de santé génésique de ses parents notamment pour sa mère, et constitue de ce fait un argument de réussite sociale et de gage d'avenir pour ses ascendants. I.2.1.Enfant comme preuve de la bonne santé de la mèreEn Afrique, la fécondité est une preuve ou un indicateur de fertilité ou de santé biologique des individus. Généralement, la santé de reproduction est toujours socialement évaluée chez la femme même si c'est l'homme qui est à l'origine de l'infertilité ou de la stérilité. Celui ci est souvent indexé lorsqu'il est impuissant et à ce moment la société saura que c'est lui qui est l'origine de l'infertilité. Lorsque deux individus se mettent ensemble dans le cadre d'une union ou d'un mariage, si au bout d'une période, il n'y a pas de signe de grossesse, c'est la femme qui est interpellée. Même chez les filles qui ont un âge relativement élevé, malgré la scolarisation qui est souvent poussée, la professionnalisation, autres formes d'occupations, celles-ci sont très souvent l'objet des pressions, afin que celles-ci essayent de prouver leur féminité. A ce niveau, l'enfant apparait comme la matérialisation de la santé génésique des parents plus précisément de la mère. La société très souvent, lit la santé de l'homme au niveau de son aptitude à garder la femme. Elle suppose ainsi qu'une femme ne peut rester longtemps avec un homme qui « ne fonctionne pas230(*) » ou est impuissant sans se plaindre. Lorsqu'une femme entre en union en Afrique noire, la société s'attend à ce qu'elle tombe enceinte dans une durée relativement courte. Cette situation non seulement rassure le partenaire de son choix, mais aussi permet à la famille, la belle famille et l'entourage de témoigner de la santé génésique parfaite de la femme. Cette situation se vérifie également dans les circonstances de contraception en ce sens que, lorsqu'un couple à l'unanimité, décide de limiter ou d'espacer largement les naissances, c'est la femme qui est d'abord interpellée pour répondre aux questions de la famille, de la belle famille ou des chuchotements de l'entourage sur leur silence procréateur. Ainsi, l'enfant est perçu comme preuve de réussite sociale et gage d'avenir. I.2.2.Enfant comme preuve de réussite sociale et gage de l'avenirL'enfant occupe une place de choix dans les structures de l'imaginaire en Afrique noire quelles que soient les couches sociales. Il est source d'honneur pour ses parents. Ceux ci à travers leur progéniture reçoivent une nouvelle naissance et cette renaissance est consacrée dans la société par un changement symbolique de nom. Une personne ayant eu un enfant est rarement appelé par son nom. La naissance d'un enfant permet à l'individu d'accéder à un statut privilégié dans l'univers des valeurs sociales. Ainsi, en Afrique noire, la fécondité s'inscrit dans une sorte de « code d'honneur ». Malgré de nombreuses transformations qui s'opèrent dans ces sociétés, l'enfant demeure une richesse. Chez les Bamiléké de l'Ouest Cameroun, le deuil d'un individu qui n'a pas d'enfant quelque soit son âge, se déroule avec légèreté. La durée des cérémonies funéraires est plus réduite et tout se passe comme si la société n'exprimait aucun regret à l'endroit du défunt. Une fois enterré, la société l'oublie, or si cet individu avait eu une descendance, celle-ci devait pérenniser son existence. D'après THEGHO, l'enfant permet d'« assurer l'immortalité des ascendants et perpétuer la lignée, constituer une main d'oeuvre et une assurance vieillesse, témoigner sa reconnaissance et sa gratitude, assurer un prestige social et la puissance de la famille »231(*). Au niveau de la mère, il permet à celle ci d'accéder à un meilleur statut et constitue par ailleurs la condition de son insertion auprès de la belle famille ; car en Afrique, le mariage est à la fois une affaire d'individus et de groupes. La femme est toujours une étrangère tant qu'elle n'a pas encore remplit son contrat avec la belle famille c'est-à-dire accoucher. Ainsi, par sa descendance plus ou moins nombreuse, la femme devient membre à part entière de son lignage d'adoption. Egalement, l'enfant constitue en même temps la condition de la survie des relations, et d'unions dans la plupart des cas, car son absence crée parfois des ruptures de couple ou d'union et la non application du système anthroponymique232(*). Une relation marquée par la présence d'une progéniture est difficilement tarissable car celle-ci emmène toujours les parents à se voire pour s'entretenir à son sujet. Quant au système anthroponymique, il impose à l'Africain de faire des enfants pour ressusciter les morts, en leurs donnant les noms des défuntes personnes importantes de la famille. Cette pratique des noms donnés aux enfants impose à l'Africain de remonter aussi loin que possible son arbre généalogique, et, lui permet en même temps d'instaurer un lien d'attachement entre les enfants et leur lignage. Cette pratique a pour objectif le maintien du nom des ancêtres et à comme finalité la protection des enfants auprès de ceux-ci. Dans la même lancée, l'enfant est considéré en Afrique noire comme un gage d'avenir ou un investissement à long terme, en ce sens que, c'est lui qui prendra la relève lorsque ses parents auront atteint le troisième âge, étant donné qu'ils vivent dans un contexte de pauvreté ambiante. A cet instant faire un enfant, c'est assurer sa sécurité sociale, car, c'est lui qui soutiendra ses parents lorsque ceux-ci ne parviendront plus à travailler ou à pouvoir s'occuper d'eux mêmes avec l'achat des médicaments en cas de leurs maladies, de l'assistance financière, matérielle ou nutritionnelle. C'est ainsi que le choix est souvent porté dans la plupart des sociétés africaines sur l'enfant de sexe masculin car « le garçon est celui qui reste et la fille, celle qui s'en va233(*) » c'est-à-dire que la fille est très souvent considérée comme une personne appelée à aller en mariage. Le garçon quant à lui perpétuera la lignée et deviendra le futur chef de famille. La religion et la société dans la plupart des cas valorisent le garçon en lui conférant le pouvoir de domination et certains privilèges politiques, économiques, sociaux et culturels. C'est ce qui explique la présence des grossesses supplémentaires dans certaines sociétés dans l'optique de faire des garçons. Comme l'histoire d'une femme rapportée par ISATOU TOURAY en ces termes : Je ne suis plus la femme favorite parce que je n'ai que des filles et mes belles soeurs me rappellent sans cesse que j'ai été amenée dans la famille pour leur donner un héritier. J'aimerai avoir un garçon pour ne plus subir les violences verbales de ma belle famille234(*). Ainsi, l'enfant (surtout le garçon) apparait dans la société africaine comme un argument qui permet à ses parents de s'affirmer et à la mère de garantir sa place auprès de son époux ou de son partenaire. Pour certaines femmes, une fécondité élevée est une stratégie qui, à long terme pourra leur permettre de s'affranchir d'une écrasante domination économique maintenue par des structures familiales inégalitaires. Ainsi, les enfants constituent pour leurs parents une source future d'avantages économiques. Demander à celle-ci de ne pas procréer, de retarder, de limiter les naissances ou de recourir à plusieurs conditions thérapeutiques posera à la femme séropositive des contraintes qui ne seront pas faciles à évacuer. Le principal souci de cette femme sera donc de prouver sa féminité à la société et de prendre en compte les recommandations médicales. * 230 En Afrique, selon les représentations sociales, l'infertilité n'est appréhendée que du coté de la femme. Si l'homme a déjà la possibilité d'être en érection, alors on suppose qu'il est bien portant et par conséquent il peut faire des enfants. Dans le cas où il n y a pas d'enfant la société suppose que c'est la femme qui a des problèmes de conception. * 231 THEGHO, L'enracinement culturel en Afrique : une nécessité pour un développement durable, Yaoundé, ed.Demos, 2001 pp.70-71. * 232 Dans la plupart des sociétés, les parents font des enfants pour leur donner le nom des ancêtres. Par ce système d'anthroponymie ces personnes ressuscitent les personnes déjà décédées et cela leur permet d'avoir non seulement une protection mais aussi une bénédiction de la part des ancêtres. * 233 G. NICOLAS, Dynamique sociale et appréhension du monde au sein d'une société Haussa, Paris, éd. Centre National de recherche scientifique, 1975, p.185. * 234 ISATOU TOURAY, « sexualité et droits ... » op. cit. p.131. |
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