Les comportements sexuels et reproductifs des femmes vivant sous antirétroviraux au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Moustapha Mohammed Nsangou Mbouemboue Université Yaoundé I - Master en sociologie 2010 |
II. ROLES DES ASSOCIATIONS DES PVVIHEn dehors de l'appui psychologique qui se fait dans les hôpitaux, les CTA et les UPEC avant et après le test de VIH à travers l'envoi de leurs membres dans le cadre du volontariat, les associations des pvvih au niveau de leurs structures apportent également un soutien multidimensionnel aux PVVIH adhérentes. II.1.Soutien psychologique, social et spirituel aux PVVIHPour vivre positivement avec le VIH, il faut d'abord accepter son statut sérologique. C'est l'une des missions fondamentales des associations des personnes vivant avec le VIH/SIDA. Cette acceptation de la sérologie ne se fait qu'en recourant à la prise en charge psychosociale qui n'est en réalité qu' « un soutien aussi psychologique que social apporté aux personnes vivant avec le VIH/SIDA 152(*)». Cette prise en charge se subdivise en deux parties à savoir : le volet psychologique, spirituel et le volet social. II.1.1.Soutien psychologique et spirituel.Parlant du volet psychologique, elle est beaucoup plus axée sur des conseils visant à promouvoir la vie positive. Pratique qui consiste à cultiver et à développer une attitude et un regard positifs envers soi-même et envers les autres puisque la découverte de la séropositivité s'accompagne très souvent du sentiment d'impureté, de souillure chez la personne infectée l'amenant à développer une auto-discrimination153(*) ou auto-stigmatisation154(*). Les associations des PVVIH permettent donc à ce titre selon Madame Pauline MOUNTON, présidente de l'AFASO « le remodelage de la perception du VIH/SIDA chez les personnes infectées »155(*)pour assister à ce que THIAUDIARE appelle la transition épidémiologique156(*). Pour en arriver, des séances de counseling sont encore organisées au sein de ces associations indépendamment des formations sanitaires. Séances au cours desquelles, des éclairages sur la maladie sont faites surtout avec la gratuité du TAR car, la perception de la maladie change avec cette gratuité du traitement ; à ce moment « le SIDA passe du spectre de la mort à la chronicité »157(*). Selon les dires de madame 00670/00 que nous avons rencontrée à l'AFASO, Je préfère le VIH que le cancer. Parce qu'aujourd'hui avec le VIH, une personne infectée a déjà les médicaments pour se soigner, peut également suivre un régime alimentaire pour vivre longtemps alors qu'avec le cancer, il n'y a pas espoir de vie. La personne atteinte par le cancer attend tranquillement sa mort158(*). Les propos de cette dame traduisent que son association lui a déjà permis d'accepter sa maladie. Cette acceptation du statut devient évidente avec les témoignages à visage découvert faits au sein des associations. Au cours des séances de réunion auxquelles nous avons assisté pendant notre enquête notamment à l'AFASO et au CEAM, avant les débuts de ces réunions, chaque membre se présentait nommément, donnait sa profession, son ethnie puis l'année de la découverte de son statut de séropositivité. Cette situation permet non seulement aux nouveaux membres de comprendre qu'ils ne sont pas les seuls dans cette situation, mais aussi leur permet grâce à la présence des anciens ou des doyens en âge dans la maladie, de comprendre qu'on peut vivre longtemps avec la maladie. Cette illustration se lit dans les propos de quelques femmes interrogées au sein de leur association en ces termes : Je suis arrivée au CEAM en 2008, lorsque j'ai vu plusieurs femmes comme moi et dans la même situation que moi, j'ai compris que je n'étais pas la seule. Malgré le discours de consolation que développe le personnel de santé, une personne séropositive ne peut se sentir réconfortée que si et seulement si c'est une autre personne qu'elle qui lui donne des conseils. Ce ne sont que les personnes qui vivent avec le VIH qui sont mieux outillées pour vous parler du VIH/SIDA159(*). L'espoir renait quand on voit les autres comme soi et lorsque chacun ou chacune de nous raconte les circonstances de la contamination, les modes de transmission, tu te rends compte que même sans avoir une vie de débauche comme pensent les gens, tu peux être contaminée160(*). Nous sommes très solidaires entre nous. Ce qui fait que nous parvenons à surmonter le poids de la maladie. Nous avons au sein de notre structure des petites activités qui nous lient par exemple des AGR, des tontines, des visites à domiciles et bien d'autres161(*). Une fois que la maladie est acceptée par les PVVIH, les associations font former quelques uns de leurs membres pour contribuer à la lutte contre le VIH/SIDA. C'est ce qui explique le fait que bon nombre de femmes rencontrées sur le terrain soient des conseillères psychosociales, des pairs éducateurs, des agents de relais communautaire. Les associations à travers ces personnes permettent d'impliquer les PVVIH dans la lutte contre la pandémie et de les rendre responsable du point de vue comportemental. L'histoire de Mme 1571/03 rencontrée à l'AFASO en est une illustration. En effet, cette dame de 40 ans, découvre sa sérologie positive depuis 2001 au cours d'une consultation prénatale lorsqu'elle était en classe de terminale A4 au lycée Général Leclerc de Yaoundé. Elle cachait son statut sérologique parce que dit elle « avait peur du regard de l'autre », puisque si elle annonçait son statut, non seulement ses camarades allaient l'éviter et le père de son enfant allait s'en aller l'abandonnant avec le bébé. Etant donné qu'elle évoluait dans un multi partenariat sexuel, elle développait des comportements peu responsables. Avec son partenaire principal(le père de son enfant), elle a dit qu'elle ne voulait plus concevoir pour la deuxième fois, une manière de le protéger. Quant aux autres qui l'abordaient, lorsqu'elle se rendait compte qu'elle avait à faire à un homme qui pouvait lui porter plainte pour contamination, elle refusait de sortir avec lui. Mais quand il s'agissait des personnes qui ne peuvent rien contre elle, elle les infectait. Sa logique était qu'il fallait infecter des personnes qu'elle n'aimait pas et préserver ceux qu'elle aimait. Puisqu'elle l'a affirmé en ces termes : « j'aimais mes ennemis et les vraies personnes je les détestais parce que je ne voulais pas les contaminer »162(*). Elle a caché son statut pendant plusieurs années à son partenaire et à son entourage puisque même l'enfant qu'elle avait mise au monde n'avait pas été allaité au sein. Elle avait évoqué l'argument selon lequel elle était encore élève et non seulement elle ne pouvait pas avoir le temps nécessaire pour allaiter son bébé mais aussi, voulait préserver sa poitrine. Cinq ans après elle entre à l'AFASO, fait la connaissance de plusieurs femmes comme elles avec qui elle a partagé ses expériences et son statut. Ce qui lui a fait bénéficier des conseils et grâce à ces conseils reçus de l'association elle a pu changer de comportement en quittant ses autres partenaires pour rester avec le père de son enfant. Malgré les conseils reçus en association de partager l'information, elle n'avait pas toujours annoncé son statut à son partenaire principal jusqu'au jour où celui-ci a découvert qu'elle prenait les ARV. « C'était un scandale » a-t-elle-dit. Mais après explication, son partenaire ne l'a pas quitté puisque au moment de notre enquête elle annonçait son mariage avec lui pour janvier 2010. De l'histoire de cette dame, il ressort que les associations jouent un rôle primordial dans la lutte contre le VIH/SIDA en ce sens qu'elles permettent de (...) promouvoir la reconnaissance de la maladie (...) pour établir le lien préventif et thérapeutique indispensable à l'efficacité des stratégies de lutte. A cet égard, l'affirmation publique de leur séropositivité par certaines personnes, parmi lesquelles les leaders sociaux ou culturels, aura permis de lever le tabou entretenu autour de la maladie dans nombreuses sociétés africaines163(*). Les associations socialisent leurs membres dans la protection des autres puisque selon leur idéologie, il faut préserver ceux qui ne sont pas encore atteints. Cette socialisation va se lire dans l'attitude de plusieurs membres. Au cours de nos entretiens, plusieurs femmes nous ont révélé qu'elles préfèrent fuir les hommes qui les approchent parce que en les acceptant, certains d'entre eux ne voudront pas porter le préservatif. L'histoire de Rosita en est une illustration. En effet, Rosita est une jeune femme de 28 ans, elle fait la connaissance d'un homme en 2008. Avant d'entretenir des rapports sexuels, ils ont décidé aller faire leur test de VIH. Son amant l'a amené dans un centre de santé où il connaissait des techniciens de laboratoire. Les deux tests ont révélé que les deux étaient séronégatifs. Or, l'homme était déjà infecté. Quelques mois plus tard, une des copines de Rosita tombe malade. Celle-ci conseilla à sa copine d'aller faire son test. Elle l'a accompagnée à l'hôpital de district de la cité verte où elle a même payé les frais de dépistage de sa copine. Voulant aussi faire un test de curiosité puisqu'elle connaissait déjà son statut sérologique, elle se rend compte que son résultat montre qu'elle est séropositive et sa copine qui était souffrante se révèle séronégative ; quel contraste. Elle a d'abord pensé à une probable confusion des résultats. Elle s'est donc dirigée vers le centre Pasteur du Cameroun (CPC) où il y a eu confirmation de son statut sérologique. Rosine, ne se reprochant de rien informe son partenaire. Celui-ci lui demande de se débrouiller. Elle a fait des efforts pour qu'ils restent ensembles puisqu'ils étaient déjà tous deux infectés. Mais l'homme l'a toujours quitté. Elle rejoint le CEAM en 2008 où elle reçoit des conseils de ne pas infecter autrui, de songer à sa préservation et à celle de l'autre. En 2009, elle rencontre un autre jeune homme avec qui elle s'entend. Rosita insiste sur l'utilisation du préservatif parce qu'elle ne voulait pas infecter l'homme qu'elle aimait. Peu de temps après son partenaire fait un accident de moto au point où il a fait un mois sans marcher. Rosine le soutient pendant la durée de son infirmité. Leur relation s'intensifie au point où le nouvel amant de Rosita lui demande qu'ils aillent faire leur test parce qu'il ne voulait plus utiliser le préservatif. Selon lui entre deux personnes qui s'aiment bien, le préservatif ne doit pas s'interposer. Rosita connaissant bien son statut déploie des stratégies pour contourner le test. Son homme s'en va faire son test. Lors d'un rapport il a insisté ne pas utiliser le préservatif. Rosita a refusé parce que pour elle, la loi n'autorise pas à contaminer quelqu'un d'autre de manière consciente. Un soir, après plusieurs heures de conversation entre les deux, Rosita avoua qu'elle refuse de ne pas entretenir des rapports sexuels sans préservatif parce qu'elle est séropositive. Situation qui amena son partenaire à se plier. Aujourd'hui, elle préfère fuir un homme lorsqu'il l'aborde parce qu'elle ne veut plus être victime des déceptions, ni infecter un partenaire parce qu'elle veut le garder. De même les associations des PVVIH encouragent tous leurs membres à continuer le traitement car certaines personnes abandonnent très souvent leur traitement parce qu'elles ont retrouvé leur santé physique. Selon la major EBALLE de L'UPEC du CMPY, Il est déconseillé aux patients d'interrompre leur traitement. Car, même si la charge virale du patient devient indétectable ça ne veut pas dire que le virus n'est plus présent. Il est toujours là mais n'attend que des opportunités pour revenir en force. A ce moment le traitement sera inefficace car le virus aura développé des résistances. Cependant, il y a des patients qui interrompent leur traitement lors qu'ils ont retrouvé leur santé physique parce qu'ils craignent la suspicion de leur entourage due à la continuation du traitement alors qu'ils sont déjà en santé164(*). Pour éviter l'interruption volontaire des traitements, madame Solange BEKOMO, conseillère psychosociale à l'AFASO, affirme que, L'une de nos missions c'est de veiller à ce que nos membres poursuivent leur suivi médical. Ceci n'est possible que grâce à des causeries éducatives que nous organisons au sein de notre structure au cours desquelles nous présentons les avantages du suivi médical et les inconvénients de l'interruption du traitement. Nous les encourageons également à consulter le médecin dés l'apparition des premiers symptômes des maladies ou des infections opportunistes et les déconseillons l'automédication qui est source de nombreuses aggravations des maladies165(*). Sur le plan spirituel, ces associations encouragent leurs membres à beaucoup prier. Avant de commencer toute réunion, une séance de prière est d'abord faite. Car en situation d'infection au VIH, ces personnes trouvent une grande force dans la religion et constatent que leurs craintes diminuent. Lors de notre passage dans les différentes associations, ce qui a retenu notre attention c'est la présence des photos de la vierge Marie et du seigneur Jésus respectivement installées dans les locaux de l'AFASO et du CEAM. Ce qui traduit l'importance qu'accordent les PVVIH au domaine spirituel parce qu'elles sont en détresse et recherchent une force spirituelle pour affronter l'épreuve de la maladie. De même, les PVVIH sont en contact permanent avec les religieux car cela leur permet de s'accepter, d'accepter les autres et à chasser les idées pessimistes. La foi leur permet ainsi de rester constructifs. C'est le cas de madame 00670/00 qui, lorsqu'elle se découvre séropositive au cours d'un épisode de maladie, a été abandonnée par sa famille. Pour se maintenir en vie, elle a dû bénéficier du soutien des soeurs de la mission catholique de Mendong166(*) pour son suivi médical et pour obtenir un logement. Au départ, elle était stressée, angoissée, elle savait qu'elle devait mourir mais ne voulait pas être méconnaissable avant de mourir comme son mari. Mais, lorsqu'elle a fait la connaissance des soeurs par le biais d'une de ses copines, après sa sortie de l'hôpital où elle a séjourné pour deux mois, elle est devenue très pieuse. Elle effectue souvent des travaux domestiques au sein de sa confession religieuse, une façon pour elle de témoigner sa reconnaissance auprès des soeurs qui lui ont sauvé la vie. Elle envisageait, lorsque nous l'avons interrogé, monter un projet AGR pour obtenir un financement. Parce que selon elle, « je dois me battre pour vivre et montrer à ma famille que Dieu existe 167(*)». * 152 M. A. ABESSOLO, « L'impact de la prise en charge psychosociale sur l'amélioration de l'état de santé des jeunes femmes séropositives de 21 à 30 ans : le cas de l'hôpital de jour de l'hôpital central de Yaoundé », mémoire de maitrise de psychologie, Université de Yaoundé I, 2001-2002, p.21. * 153 L'auto-discrimination est une attitude qu'adopte généralement les séropositifs pour se retirer, se marginaliser de la société parce qu'elles estiment qu'elles ne sont plus des personnes normales. * 154 L'auto-stigmatisation est une attitude qui consiste à un auto-déclassement. Au cours de notre enquête, nous avons vécu cette auto-discrimination avec la plupart de nos enquêtées célibataires qui ont avouées qu'elles ne peuvent plus se marier à cause de leur statut sérologique. Au Cameroun actuellement, nombreuses sont des personnes qui recourent au test pré marital avant de s'unir. * 155 Entretien, septembre 2009 * 156 Voir C. THIAUDIAIRE, op. cit. En effet, il utilise ce concept pour montrer que le SIDA devient une maladie qui s'attaque à l'individu et lui laisse la possibilité de vivre longtemps. Ce qui participer au changement de perception chez celui-ci. * 157 L. NCHOUTNDAP, LIMBEPE, op cit. p.60. * 158 Entretien, novembre 2009. * 159 Entretien avec Rosita, 28 ans, Secrétaire générale du CEAM, janvier 2010. * 160 Entretien, avec Mme QD 7235/05, 38 ans, veuve, membre de l'AFASO aout 2009. * 161 Entretien avec Maman Coco, AFASO, septembre 2009. * 162 Entretien, septembre 2009. * 163 U. OLANGUENA AWONO, op cit, p.59. * 164 Entretien, aout 2009. * 165 Entretien, septembre 2009. * 166 Mendong est un quartier de la ville de Yaoundé 6e. * 167 Entretien, novembre 2009. |
|