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Le traitement médiatique du crash du vol Rio Paris par TF1 et Globo

( Télécharger le fichier original )
par Fernanda Morozini Batista
Université Paris 2 Panthéon-Assas - Institut Français de Presse 2010
  

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a) La fausse réalité

Ou le recours a l'effet de réel face a l'impossibilité de l'accès a la réalité.

I. L'information immédiate : la fausse cause, les faux débris

L'immédiateté est une technique régulièrement utilisée par les journaux télévisés dans le but d'avoir de la crédibilité, car un des arguments rationnels qui influence le choix du spectateur sur la chaîne à regarder c'est la vitesse avec laquelle l'information leur est fournie.

Cette technique, devenue presque une contrainte, peut nous expliquer la plus étonnante différence observée entre le 20 Heures et le Jornal Nacional au sujet du crash : l'hypothèse sur la cause de l'accident présentée par les deux chaînes a été complètement différente, voire opposée, dans le 1er jour qui a suivi l'accident.

La fausse cause

L'émission du 20 Heures du 1er Juin 2009, ainsi que celle du Jornal Nacional, ont consacré la plupart
de leur temps de diffusion aux informations relatives a la cause de l'accident ; 30% pour TF1 contre

40% pour GLOBO23. Cependant, les hypothèses présentées par les deux chaînes ont été opposées ! Le 20 Heures a soutenu la cause comme étant la foudre, pendant que le Jornal Nacional l'a indiquée comme « inconnue jusqu'au moment ~, tout en indiquant qu'il était très improbable que la foudre ait été a l'origine de la disparition de l'avion.

Le générique du 20 Heures annonce l'accident par la phrase "sans doute été foudroyé ». Selon Arnaud Mercier24, « Le générique est le lieu d'origine de la légitimation de l'information », il est responsable de la hiérarchisation des nouvelles et « Il crée l'espace d'énonciation des journalistes, il détermine le niveau d'attente du public ~. En affirmant dans le générique que l'avion aurait été « sans doute foudroyé », TF1 laisse donc voir son choix rédactionnel d'affirmer la cause de l'accident comme étant la foudre.

Le contenu de certains reportages laisse également voir cette décision ; un reportage de deux minutes nous décrit la zone du « pot au noir », une zone intertropicale où se produisent souvent des orages et turbulences violentes, par oi l'avion aurait passé, puis une interview avec Evelyne Dhéliat, la présentatrice météo de TF1, nous explique les conditions météorologiques auxquelles l'avion aurait été exposé. Un reportage de trois minutes est même consacré a l'explication de la façon dont un avion réagit à une décharge électrique !

Le Jornal Nacional, en dépit du fait d'avoir consacré beaucoup de son temps de diffusion aux hypothèses, ne va pas défendre une cause spécifique. Leur générique diffuse seulement les informations factuelles sur le vol25 et leur choix rédactionnel nous montre encore une volonté de contredire les médias qui avaient annoncé la foudre comme hypothèse principale ; une intervention de Sônia Bridi, leur correspondante a Paris, présente l'opinion des experts français comme étant contraire a l'hypothèse de la foudre : « il est très difficile que la foudre fasse tomber un avion », « il faut beaucoup plus qu'une tempête pour faire tomber un avion, ceux-ci étant construits pour résister jusqu'aux ouragans26 », puis un reportage va renforcer cette faible possibilité de la foudre comme origine de la disparition de l'avion.

23 Voir données statistiques en annexe : Annexe 1, p. 53

24 MERCIER Arnaud, Le journal télévisé: politique de l'information et information politique, p. 200

25 Nombre de victimes, trajet prévu de l'avion et heure de la disparition : « um avião da Air France com 228 pessoas à bordo está desaparecido há mais de 20 horas. O vôo 447 saiu do Rio de Janeiro com destino à Paris, na França. Segundo a companhia aérea, 58 brasileiros embarcaram no vôo »

26 « é muito dificil que um raio derrube um avião », « é preciso mais do que uma tempestade para derrubar uma avião », « os aviões são construidos para enfrentar até furacões e sairem ilesos »

Les émissions du deuxième jour qui a suivi le crash ont consacré beaucoup moins de temps aux hypothèses ; 19% du temps total dédié au crash pour TF1 contre 18% pour GLOBO, par rapport à 30% et 40% la veille, respectivement. Les deux chaînes ont également changé leurs discours en insistant sur le fait que seules les boîtes noires permettraient de connaître la cause précise ; le 20 Heures a par ailleurs annoncé le changement de son discours par l'affirmation dans le générique : « la foudre ne convient plus aux pilotes".

L'analyse des émissions du 1er juin 2009 des deux journaux télévisés nous illustre ainsi la contrainte d'immédiateté auxquelles ont été soumis le Jornal Nacional et le 20 Heures pour avoir de la crédibilité ; les deux chaînes ont consacrée une grande partie de leur temps de diffusion aux hypothèses sur la cause de l'accident quand aucune information précise n'était connue sur le sujet. Cette imprudence est d'autant plus grave dans le 20 Heures, qui affirme la cause comme étant la foudre, information qui se révélera fausse.

Cette même imprudence, due a l'immédiateté, a pu être observée dans l'émission du 2 juin 2009 du Jornal Nacional, qui a consacré 49% de son temps de diffusion sur l'accident aux recherches, informant que des débris de l'avion avaient été repérés dans l'Océan Atlantique. Deux jours plus tard cependant, ces débris se révéleront comme appartenant à un navire cargo.

Les faux débris

Dans son émission du 2 juin 2009, le Jornal Nacional explique qu'un avion de la force aérienne brésilienne avait retrouvé des débris du vol 447 sur l'océan27. Le ministre de la défense brésilien à l'époque, M. Nelson Jobim, confirme cette découverte aux journalistes, puis d'autres reportages sur les recherches en suivent, expliquant en détail l'organisation des opérations de recherche et d'analyse des débris. L'émission du même jour du 20 Heures va également mentionner la découverte brésilienne, mais avec la réserve qu'il « reste à confirmer qu'il s'agit des débris du vol AF447 ».

L'imprudence de la diffusion de cette (fausse) information diffusée par le Jornal Nacional a été
d'autant plus grande qu'elle ne sera corrigée que trois jours après sa diffusion ; les présentateurs
vont annoncer que les médias français avaient critiqué la presse brésilienne pour sa précipitation, et

27 Une boue, une poltronne et tâches d'huile et kérosène

vont rediffuser des images du 2 juin, où le ministre de la défense affirmait avoir retrouvé les débris, de sorte a déplacer l'imprudence de la rédaction sur les autorités brésiliennes.

De toutes les différences perçues entre les deux pays dans le traitement de l'information sur le crash, les publications d'une fausse cause et de faux débris ont été les plus marquantes.

Mes hypothèses sur les cadres d'influence qui ont conduit chaque chaîne à son choix rédactionnel, concernent la confiance dans la « parole nationale ~, le cadre économique et d'autres faits, comme le décalage horaire.

Premièrement, la foudre a été l'hypothèse affichée par Air France le 1er Juin 2009 ; le fait qu'Air France soit une compagnie française peut expliquer que TF1 y fasse plus de confiance que GLOBO. Le même phénomène se produit pour la diffusion des faux débris, information qui avait été annoncée par le ministre de la défense brésilien.

Deuxièmement, il est aussi important de prendre en compte le cadre économique dans lequel les deux chaînes sont insérées. GLOBO est le leader du marché brésilien entre 9 autres chaînes hertziennes28, avec presque 50% de parts d'audience nationale en 200929, le Jornal Nacional étant le journal télévisé le plus regardé, avec plus d'audience que tous les autres journaux télévisés réunis30. TF1 est aussi leader dans le marché français, avec 26,1% de parts d'audience nationale en 2009 mais l'audience du 20 heures n'est pas toujours la plus élevée, son rôle de leader étant largement disputé par le 20 Heures de France 2. Cette domination du marché dont dispose GLOBO, peut expliquer la plus faible nécessité d'immédiateté ; si le Jornal Nacional n'éclaire pas les téléspectateurs sur la cause de l'accident, pendant que d'autres journaux télévisés le font, il est peu probable que les Brésiliens zappent. La même situation en France est moins vraie.

Troisièmement, il est aussi important de ne pas négliger l'influence du décalage horaire dans la conception des émissions ; en été, la France a cinq heures d'avance sur le Brésil, ce qui leur laisse moins de temps pour préparer l'information a être diffusée.

28 Rede Globo, Sistema Brasileiro de Televisão (SBT), Rede Bandeirantes de Televisão, Rede TV!, Rede Record de Televisão, Central Nacional de Televisão (CNT), TV Gazeta São Paulo, MTV e Cultura (SP).

29 Source : Mediadados http://midiadados.digitalpages.com.br/home.aspx

30 Le Jornal Nacional a eu une audience moyenne en 2009 de 15,4%, pendant que chacun des 4 autres journaux télévisés des chaînes hertziennes (Jornal da Band, Jornal da Record, Rede TV News et SBT Brasil) n'ont pas dépassé les 2%. Source : Media Workstation IBOPE (sur la base des individus âgés de 5ans et plus)

En plus de l'identification des cadres d'influence qui ont déterminé le traitement de l'information, un autre aspect intéressant se dégage de cette analyse : elle nous permet de voir que l'immédiateté auxquelles sont soumis les médias peut finir par nuire à la crédibilité, les procédés appliqués dans le but de construire une image crédible aux yeux du spectateur pouvant travailler contre eux-mêmes.

D'autres procédés utilisés dans le but d'avoir de la crédibilité ont par ailleurs aussi démontré un « effet contraire » : l'utilisation d'arguments opposés.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard