II. L'effet d'enquête : l'utilisation d'arguments
opposés
Toujours selon Arnaud Mercier31, l'utilisation
d'arguments opposés, ou la présentation bipartite, est
l'une des constantes du journal télévisé. « Le
journaliste recherche systématiquement les points de vue contraires qui
peuvent exister, pour mettre en valeur l'objectivité du discours.
».
L'analyse de l'hypothèse de la foudre, affichée
par l'émission du 20 Heures du 1er juin 2009 comme
étant la cause principale de l'accident, peut également nous
illustrer l'utilisation d'arguments opposés comme moyen d'obtenir de la
crédibilité aux yeux du spectateur, puisque malgré le fait
que la foudre ait été annoncée dans le
générique (« sans doute été
foudroyé ») et dans certains reportages, d'autres
hypothèses ont été également
présentées au cours de l'émission.
31 MERCIER Arnaud, Le journal
télévisé: politique de l'information et information
politique, p. 201
ANNONCE RAPPEL
GENERALE GENERAL
Comme nous illustre l'image ci-dessus, l'hypothèse
(couleur verte) a été traitée quatre fois pendant
l'émission, en plus du générique (couleur blanche) : la
première fois dans un bloc d'annonce générale sur le
crash, la deuxième fois dans une série de reportages et
interviews, dont une des interviews a été reprise plus tard dans
l'émission (troisième fois) et la quatrième fois dans le
rappel général. (La couleur noire représente les
informations ne concernant pas le crash).
Dans l'annonce générale du crash, la
présence d'arguments opposés a déjà
été évidente. L'hypothèse
annoncée par le narrateur est une « cause
mystérieuse », suivi par le témoin de François
Brousse, directeur de communication d'Air France, qui affirme que « on
ne connaît pas encore la cause ». Pourtant, une question
posée ensuite par un journaliste de TF1 va laisser voir le
choix de la rédaction de confirmer l'idée de la foudre : «
c'est possible que ce soit une foudre? », sa réponse a
été « oui ».
La série sur les hypothèses, composée de
trois reportages et deux interviews, va également illustrer
l'utilisation d'arguments opposés ; les deux premiers reportages et la
première interview vont présenter des hypothèses
opposées à celle de la foudre, pendant que le troisième
reportage et la deuxième interview vont reprendre l'idée de la
cause comme étant météorologique :
Le premier reportage se concentre sur un témoin qui
affirme la cause comme étant un enchaînement de facteurs :
météo, erreur humaine, faille technique. Le deuxième
reportage vient expliquer que les avions sont construits pour supporter les
décharges électriques, et la première interview va
conclure que la foudre ne fait pas tomber un avion et que "quelque chose
d'autre s'est passé", l'hypothèse la plus acceptable
étant un enchaînement de problèmes, dont une faille
technique.
Dans le sens contraire, le troisième reportage explique
la formation de la zone du "pot au noir", concluant que l'avion aurait
passé par une zone de violents orages et turbulences, et la
deuxième interview confirme cette idée, a travers la
participation d'Evelyne Dhéliat, présentatrice de la
météo de TF1. Dhéliat rajoute par ailleurs une
autre hypothèse qui se révélera également fausse :
le givre que se serait déposé sur l'avion et qui l'aurait
alourdi.
La fin du journal va laisser l'hypothèse dans l'air,
puisque le rappel général va conclure que la foudre ne serait pas
la seule hypothèse « Plusieurs experts doutent que la foudre,
hypothèse évoquée par Air France, soit l'unique cause de
la disparition du vol ».
Les arguments opposés sur les hypothèses de la
cause de l'accident vont ainsi remplir le discours de l'émission du
20 Heures du 1er juin 2009. Or, si cette
présentation bipartite a été un choix
stratégique de TF1 dans le but de « mettre en valeur
l'objectivité du discours », elle a fini par nuire à
cette objectivité ! Arnaud Mercier rajoute que « Ce faisant,
pourtant, l'idée même d'objectivité est remise en cause,
puisqu'il il n'est pas établi de hiérarchie dans les points de
vue, qui semblent avoir la même légitimité ou le même
statut ». Une hiérarchie des arguments sur la cause du crash
est mise en évidence par le générique, mais
l'incohérente organisation de la présentation des arguments
opposés va rendre trop subtile cette hiérarchie, d'autant plus
que la rapidité avec laquelle les informations sont
présentées ne laissent pas le temps au spectateur d'y
réfléchir.
Un autre fait intéressant a cette analyse est que les
hypothèses sur la cause de l'accident seront également
opposées entre l'annonce des reportages par la présentatrice en
studio et la conclusion des mêmes reportages, ainsi qu'entre les
questions posées aux interviewés et leur réponses ! Entre
le premier et le deuxième reportage, Laurence Ferrari affirme "on
vient de le voir, la foudre pourrait être à l'origine de cette
catastrophe", quand la conclusion du reportage présentait
l'idée d'un enchaînement des causes, dont erreur humaine et faille
technique. Dans la même logique, Ferrari affirme que "les conditions
de météo ont joué un rôle prédominant dans
cet accident", après l'interview qui avait conclu que "quelque
chose d'autre s'est passé". D'ailleurs, la présentatrice va
jusqu'à affirmer par erreur que quand il y a de la foudre, le
système électrique arrête de fonctionner, et cela
après un reportage qu'expliquait que les avions sont foudroyés en
moyenne une fois par
an !32
Cette opposition entre le discours énoncé par la
présentatrice et le discours relayé par les reportages finit
par rendre l'information incohérente. Ainsi, le recours à une
présentation bipartite engendre un
32 La présentatrice va être
également corrigée par Evelyne Dhéliat en affirmant que
« les conditions météo étaient
particulièrement défavorables cette nuit dans cette zone de
l'équateur », quand en fait « Il n'y en avait pas
plus que d'habitude ». Ces failles courantes de la
présentatrice laissent imaginer qu'elle ne prend connaissance des
informations diffusées qu'au moment du tournage, ce qui signifie qu'il
n'y a pas de vérification de la cohésion de l'émission une
fois les reportages édités : autre signe de contrainte
d'immédiateté
manque de clarté du discours. Une fois de plus, un
procédé appliqué dans le but d'avoir de la
crédibilité peut produire un effet contraire.
Le Jornal Nacional va également utiliser la
technique des arguments opposés, notamment au sujet de l'enquête,
pourtant de manière moins caricaturale que TF1. Toutefois, un
exemple ne paraît pas ici nécessaire.
Un autre procédé utilisé par les deux
journaux télévisés dans le but de gagner de la
crédibilité a été le recours à la parole
technique.
|