Les implications de la prolifération des sociétés militaires privées sur les droits de l'homme( Télécharger le fichier original )par Mohamed Youssef LAARISSA Université Cadi Ayyad - Master 2011 |
Section 1 : Au niveau Politico-juridique:« La sous-traitance généralisée des activités militaires déresponsabilise le donneur d'ordre. Privatiser, dans les démocraties de marché, c'est toujours réduire l'influence de la règle, la possibilité des régulations, les moyens de supervision, l'obligation de transparence, la suprématie de l'intérêt collectif sur tout autre (24). Le recours à ces acteurs encourage l'impunité, et permet d'échapper aux contrôles démocratiques, et jusqu'à un certains points de la responsabilité politique, il devient plus facile pour les gouvernements démocratiques de violer les lois internationales, et le cas échéant, de laisser commettre, voire d'ordonner la perpétration de violations des droits de l'Homme. En toute impunité » (25). §1- Contournement du contrôle démocratique. La sous-traitance militaire présente de nombreux avantages pour les Etats y ayant recours. Contourner le cadre légal et démocratique, faire fi de l'opinion publique en la maintenant désinformée, évincer le législatif en matière de politique étrangère, soutenir des positions contraires à sa politique officielle, notamment par rapport aux contraintes que supposeraient le respect et la protection des droits de l'Homme, et enfin, en cas d'exactions, la dilution de la responsabilité, sont désormais chose possible. Après la guerre du Vietnam, les Etats-Unis ont opté pour une armée professionnelle constituée de volontaires. Les chefs militaires ont alors mis en place toute une série de garde-fous afin de veiller à ce que la politique étrangère du gouvernement soit toujours en phase avec la volonté du peuple américain. Sous l'impulsion du chef d'état-major de l'époque, le général Creighton Abrams (1972-1974), les militaires ont voulu s'assurer que le gouvernement ne se lancerait pas dans une guerre sans le soutien (24) (25) Xavier Renou, Chapleau Philippe, Wayne Madsen, François-Xavier Verschave, La privatisation de la violence : Mercenaires et SMP au services du Marché, Agone, collection Dossier Noirs, Marseille, 2005, p 303. nécessaire de la nation. C'était la «doctrine Abrams». (26) La présence massive de contractors en Irak, en Afghanistan, démontrent bien à quel point cette doctrine a été vidée de sa substance. 1/100 en 1991, 1/10 en 2003, les contractors ont su multiplier leur présence au point de constituer le deuxième contingent présent en Irak après celui de l'armée américaine. D'autre part, La diffusion des images et des statistiques de guerre n'est jamais une chose positive pour un gouvernement. Les atrocités commises lors de la guerre du Vietnam et les images des déboires des soldats américains en Somalie ont profondément marqué les esprits au sein de l'opinion publique Américaine. S'engager dans une guerre impopulaire peut influencer négativement les intentions de vote des citoyens et coûter très cher aux gouvernements l'ayant menée. Ayant compris cela, les gouvernements vont voir en l'externalisation un excellent outil pour mener à bien leurs desseins sans la moindre contrainte. Noam Chomsky dans son ouvrage « La Manufacture du Consentement », explique qu'en démocratie, les gouvernements n'ont guère besoin de la force pour contrôler leur population, la création du consentement, notamment à travers la propagande et les médias, est plus que suffisante. A ce niveau, les gouvernements pourraient simuler l'humanitaire et la bienfaisance auprès de leur opinion publique tout en confiant les tâches politiquement incorrectes aux acteurs privés. Sur ce point, la sous-traitance va se montrer d'une utilité irrévocable. Permettant aux gouvernements de mener des actions politiquement au bord du correct, les gouvernements se feront un plaisir d'en faire un outil de divulgation des vérités, de neutralité apparente et de désinformation et de manipulation des opinions. En effet, ce processus va de paire avec la doctrine du zéro mort adoptée de plus en plus par l'occident, vu que ces contractors n'intègrent pas les statistiques des combattants tombés au combat. Comme combattants marginaux, les contractors, en cas de bavure ou d'insuccès sont plus faciles à sacrifier, et le désintérêt voire le mépris de l'opinion publique et des médias les rendent leur périssement plus facile et politiquement moins couteux que les soldats réguliers. Dans le bourbier irakien, personne ne semble à l'heure actuelle se soucier des plus de 1000 contractors ayant laissé la vie. (26) P.W.Singer http://www.courrierinternational.com/article/2007/10/25/comment-le-pentagone-est-devenu-accro-aux-mercenaires) §2- Un instrument de politique étrangère. La possibilité de négliger l'opinion publique et le contrôle parlementaire représente un avantage inouï pour les gouvernements ayant recours aux SMP. Plusieurs de ces SMP, pour ne pas dire la plupart, travaillent sous la houlette de leur gouvernement et certaines se croient même confiées un devoir patriotique. Soutenir les dictateurs les plus dépravés, contribuer au maintien par la force de personnes physiques et morales non désirées, préserver une influence dans des conflits sans y être engagés directement en disposant d'hommes de main fiables et fidèles autres que ses représentants officiels, ce sont là des actes tout à fait possible, et sans le moindre coût politique ou contrainte populaire et législative. Aux Etats-Unis, l'utilisation de contractors a par exemple permis à l'administration de s'immiscer dans les affaires d'autres Etats de manière non officielle ou encore de contourner les limitations du Congrès. En 2001, ce fut le cas en Colombie dans le cadre de la lutte contre la drogue où le Département d'Etat a outrepassé la limite fixée par le Congrès à 300 contractants civils en ordonnant à DynCorp d'embaucher des pilotes d'hélicoptères étrangers qu'il n'est pas obligé de compter dans ses rapports, contrairement aux citoyens américains. (27) En outre, le contingent de contartors en Irak, n'agit pas uniquement comme mécanisme multiplicateur de la main d'oeuvre guerrière, sans avoir à se soucier des coûts politiques traditionnellement que susciterait l'envoie supplémentaire de forces, mais aussi à dépasser, les contraintes bureaucratiques et institutionnelles. (28) Dans sa dimension internationale, le recours aux SMP offre aux gouvernements la possibilité de contourner les contraignantes dispositions du chapitre 7 de la charte des Nations Unies, et de garder une certaine neutralité par rapport à leur engagement dans tel ou tel conflit. Ce fut notamment le cas des Etats Unis en Ex- Yougoslavie, où ces derniers, désirant renverser le rapport de force défavorable aux Etats sécessionnistes,
mais également de préserver leur neutralité de part leur participation aux négociations de paix destinées à aboutir aux accords de «Dayton» ne pouvaient mener d'action directe contre la Serbie (28). La solution adoptée fut donc le recours à « MPRI ». En plus, et comme l'observe certains auteurs, le mercenariat et la sous-traitance constituent une prolongation du crime d'agression et une menace pour la paix et la sécurité internationales (29).
§3- La question de l'impunité: L'irresponsabilité des Etats et l'impunité des individus coupables de dérives et d'exactions semblent être l'unes des questions majeures posées par le phénomène de la sous-traitance. Bien qu'en principe les Etats sont tenus responsables des individus travaillant pour leur compte et ainsi répondre des actes de ces derniers, il semble en pratique que cela soit difficilement applicable. Nous pourrions même pousser l'analyse au point de dire, que le recours aux SMP offre aux Etats un moyen d'échapper à toute responsabilité. Au niveau disciplinaire, les armées régulières, sont des instituions dotées d'une discipline et de normes bien précises, dont la violation est sévèrement sanctionnée. Par ailleurs, en tant qu'acteur principal au sein des conflits armés, ces dernières sont tenues de respecter et de se soumettre aux dispositions du droit international humanitaire. La violation de l'une de ses dispositions est susceptible d'entrainer la responsabilité de l'Etat et les individus agissant en son nom, se verront appliqués le droit pénal militaire interne. Dans le cas des SMP et bien que l'Etat qui les contractent et s'en sert est censé théoriquement répondre de leur acte et en être responsable, cela est bien plus compliqué en pratique. Comme secteur survenu dans un environnement sans le moindre encadrement normatif concret, le principe de Nullum crimen, nulla poena sine praevia lege poenali, semble régir le secteur et encourager l'irresponsabilité et l'impunité qui lui sont relatives. De toutes les incalculables exactions commises par ces acteurs privés, aucune ne semble échapper à la règle de l'impunité, des fois même avec la tacite complicité des gouvernements. En 1999, des agents de la société DynCorp, employés par la force de police internationale des Nations Unies dans les Balkans, ont été mêlés à une affaire d'esclavage sexuel avec des mineures en Bosnie. Mis à pieds dans un premier temps, les contractors responsables ont été licenciés une fois le scandale révélé à la presse. Lors d'une de ses opérations de lutte anti-narco en Colombie, la société Dyncorp avait abattu par erreur 17 civils dont des enfants et du personnel religieux. Amené à se prononcer sur cette bavure, les autorités américaines dirent tout simplement qu'elles avaient à veiller sur le sécurité de leurs ressortissants et non sur ceux des autres Etats. En 2003, les autorités américaines avaient
délégué les séances d'interrogatoire au sein
de éclaté au grand jour, plusieurs militaires furent condamnés conformément à la législation militaire américaine. Ces derniers critiquèrent fortement le fait que leurs homologues privés n'aient eu le moindre souci judiciaire par rapport à cette affaire. Le 16 septembre 2007, alors qu'ils escortaient un convoi diplomatique à l'ouest de Bagdad, plusieurs employés de la société Blackwater se sont retrouvés impliqués dans la fusillade de 17 civils irakiens. Ils ont affirmé avoir agi en situation de légitime défense, suite à une attaque armée. Les témoins de la scène ont déclaré au contraire que les contractants n'avaient pas été préalablement agressés. Les circonstances de cette fusillade sont restées floues et en décembre 2009, le parquet fédéral américain a rejeté les charges pesant contre les agents contractuels au motif d'irrégularités dans la procédure criminelle. (Voir infra). Un autre point à signaler, concerne le fait que les dérives commises par les agents privés ne viennent guère s'ajouter aux registres de celles commises par l'armée régulière, ce qui doterait cette dernière d'une meilleure image auprès du citoyen. Devant l'obligation de diaboliser, discréditer l'ennemi et manipuler l'opinion, le gouvernement pourra discrètement évincer sa responsabilité grâce à l'opacité du secteur et à l'incohérence du cadre normatif qui le régit. En effet, la dilution de la responsabilité et le fait de maintenir ses mains propres tout en délégant les tâches susceptibles d'être gênantes à autrui semble être une prérogative très intéressante, de laquelle l'exécutif ne saurait lâcher prise aussi facilement. Devant l'absence d'un cadre normatif effectif, la messéance et inapplicabilité des normes existante, l'industrie militaire privée demeure tout simplement incontrôlable. |
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