Le Conseil constitutionnel sénégalais et la vie politique( Télécharger le fichier original )par Mamadou Gueye Université Cheikh Anta DIOP de dakar - Doctorant en science politique et droit public 2011 |
Paragraphe I : le poids de l'heritage de la 5ème République françaiseA l'origine, le conseil constitutionnel français ne disposait d'aucun capital spécifique, plus exactement il hérite d'un capital négatif qui contribuait à le mettre « hors jeu ». Toute l'histoire politique, depuis 1789 témoigne de l'hostilité de la France à l'égard de la création d'un organe spécial chargé de controler la constitutionnalité ; au point que certains interprètent l'entrée en scène du cinseil en 1958 comme la rupture d'une tradition républicaine fondée sur le souvenir des parlements de l'ancien régime, et la primauté de la loi. Toutes les autres institutions (le parlement et l'executif) bénéficie d'une légitimité, historique ou démocratique, sur laquelle appuyer leur revendication de pouvoir ; le conseil d'aucune. Ce déficit de légitimité explique et renforce la position médiocre attribué par la Constitution de 1958 : simple régulateur sur une saisine limitée de l'activité des pouvoirs publics. Egalement en 1958 encore la création du conseil constitutionnel est pour certains auteurs, la preuve du caractère bonapartiste et anti-parlementaire de la Constitution de la 5ème République, et sa composition l'assurance qu'il se comportera en serviteur docile des volontés du Président de la République108(*). A cet effet, François Mitterand dira : « le conseil constitutionnel n'a jamais eu d'autre utilité que de servir de garçon de course au Général de Gaulle, chaque fois que ce dernier a cru bon de l'employer à cet usage ».109(*) Le conseil constitutionnel sénégalais correspond actuellement à l'état du conseil constitutionnel français en 1958 où il faisait « figure de troisième chambre » ou était considérer comme « allier de l'executif ». Dominique Rousseau nous montre que l'hésitation des constituants à ne pas donner une grande importance au conseil se retrouve jusque dans la dénomination de l'organe constitutionnel : ni « comité » ou « commision » termes trop prosaiques, ni « cour » ou « tribunal » trop nobles, mais « conseil » qui n'engage rien de précis sur le plan juridique ou politique110(*) Le conseil constitutionnel sénégalais n'a pas connu ce meme parcours historique que le conseil français. La naissance du conseil français était une exigence et une nécessité pour la survie de la cinquième République française. En effet la Constitution avait délimité, pour la première fois le domaine de la loi en énumérant de manière précise, dans son article 34, les matières sur lesquelles le législateur peut intervenir, découvrant ainsi, a contrario, un vaste champ de compétence normative au bénéfice du gouvernement. La précision ou l'élevation à la qualité constitutionnelle de disposition traditionnellement du domaine des réglements intérieurs des chambres n'apparut pas suffisante aux constituants de 1958. Instruits par l'histoire constitutionnelle française, ils savent q'une Assemblée élue au suffrage universel direct et héritière de « mauvaises » habitudes, arrive toujours à détourner ou contourner les règles juridiques les plus rigoureuses : l'évolution de la quatrième République leur offrait une illustration éclatante de cette pesanteur de ces moeurs parlementaires. Aussi, les constituants ont-ils eu la prudence d'accompagner leur nouvelle réglementation d'un mécanisme de sanction en « imaginant »- le mot est de Michel Debré - une institution particulière chargée de la faire respecter et de maintenir le parlement dans le cadre strict de ses attributions. Cette institution, c'est précisément le Conseil constitutionnel. En d'autres termes, la création, en 1958, du Conseil constitutionnel repose sur une intention claire : mettre fin à l'arbitraire et à l'hégémonie du parlement. Mais elle se heurte aussitôt à une autre intention, tout aussi clairement exprimée : éviter d'instaurer une véritable juridiction constitutionnelle, contraire à la tradition politique française. Ceci illustre en quelque sorte la conception que les constitutants se font, en 1958, de l'institution qu'ils créent : un organe permettant seulement, mais permettant enfin de faire respecter, par son pouvoir de sanction, les dispositions constitutionnelles limitant le pouvoir du parlement. « Surveiller le Parlement », telle est, selon François Luchaire, la mission première assignée au Conseil constitutionnel.111(*) D'ailleurs lors des différentes étapes de l'examen du projet constitutionnel, le principe de l'institution d'un Conseil constitutionnel n'a jamais été véritablement discuté. En revanche, dès que le débat s'engage sur la question de ses fonctions, une hostilité très majoritairement partagée, se manifeste, avec fermeté et constance, contre l'idée de lui confier un contrôle de la constitutionnalité des lois veritables, c'est-à-dire portant sur le fond meme de la loi et non seulement sur les règles de compétence et de procédure fixées par la constitution. Ainsi dès le début des travaux, le Général de Gaulle lui-meme répond, le 13 juin 1958, au Président Cassin inquiet des rumeurs relatives à la création d'une cour constitutionnelle, que cette idée n'a jamais été envisagée par le gouvernement.112(*) L'argument qui emporte l'adhésion des plus constituants les plus réservés à l'idée d'un Conseil constitutionnel est l'assurance donnée par François Luchaire que, par son mode de saisine, « il ne sera pas le gardien de la Constitution mais permettra de régler certains litiges d'ordre politique opposant les grands organes de l'Etat ».113(*) Cette volonté explicite des rédacteurs de la Constitution de ne pas créer une justice constitutionnelle sur le modèle des autres pays européens à été clairement affirmée. Le Conseil constitutionnel sénégalais est à l'image du celui français de 1958. En effet le Conseil sénégalais semble étre calqué sur le texte de la constitution de 1958, dont il respecte beaucoup plus d'ailleurs que le conseil français, qui a connu une evolution surprenante. Cela s'explique par le fait que Conseil sénégalais est le fruit d'une simple parachutage institutionnel ou encore d'un mimétisme « à pérroquet » institutionnel. Et qu'il ne répond pas à la théorie qui voudrait que « chaque pays porte dans ses institutions, règles, procédures et traditions, les stigmates de son passé »114(*) On aurait pu initier ou imaginer par exemple le modèle béninois ou Sud-Africain de justice constitutionnelle car « tout projet de réforme devrait etre précédé d'une sérieuse étude d'impact effectuée notamment en utilisant les enseignement du droit comparé. L'ingénierie constitutionnelle n'est pas un jeu de construction, on ne peut changer les pièces au gré de l'imagination des réformateurs »115(*) Cependant cette attitude du Conseil sénégalais peut également trouver son fondement dans la quete d'une légitimité. * 108 Dominique Rousseau, Droit du Contentieux constitutionnel, Paris, 8ème Edition, Montchrestien, 2008, p.12 et s * 109 François Mitterand, Le coup d'Etat permanent, Plon, 1964, p.140 * 110 Dominique Rousseau, Droit du Contentieux constitutionnel, Paris, 8ème Edition, Montchrestien, 2008, p.35 * 111 François Luchaire, Le Conseil constitutionnel, Economica, 1980, p.20 * 112 Documents pour servir à l'histoire de l'élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958, volume 1, p.249 * 113 in Dominique Rousseau, Droit du Contentieux constitutionnel, Paris, 8ème Edition, Montchrestien, 2008, p. 26 * 114 Ives Meny, Politique Comparée. Les Démocraties : Allemagne, Etas-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Paris, 4ème édition, Montchrestien, 1993, p.10 * 115 Louis Favoreu in «Le retour des Mythes» le Monde 11 aout 1989 |
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