2-2/clinique et démarche en urgence
Ingestion volontaire ou accidentelle d'un toxique avec
examen clinique normal
ï Il s'agit, par exemple, du cas d'un enfant retrouvé
assis au milieu de boîtes de médicaments ou d'un adulte prenant
devant témoins un produit et qui est amené immédiatement
aux urgences.
ï En urgence, la certitude de l'intoxication n'est pas
nécessaire, la seule suspicion d'intoxication suffit au raisonnement. Le
raisonnement toxicologique en urgence s'effectue sur quelques critères
simples à savoir :
· la nature des produits ;
· la dose
ï le délai depuis l'ingestion.
ï Toutefois, avant de se pencher sur le raisonnement
toxicologique, il faut avoir examiné le patient. Un examen clinique
normal en toxicologie d'urgence signifie que le patient est non seulement
conscient mais aussi cohérent dans ses propos, qu'il bouge les quatre
membres. La fréquence et l'auscultation pulmonaire sont normales. Il n'y
a pas de cyanose. Le pouls, la tension sont normaux, il n'y a pas de marbrure.
Il n'y a pas de point d'appel abdominal. La température est normale.
L'électrocardiogramme(ECG), réalisé immédiatement,
est normal
ï Démarche en urgence
ï Un produit étant suspecté, l'appel au centre
antipoison permet de définir :
ï les points d'impact du toxique et donc les
paramètres à surveiller qui peuvent être cliniques ou
biologiques. En effet, pour certains toxiques, tels que le paracétamol
ou les anti vitamines K, l'examen clinique initial est normal, le tableau de
l'intoxication est biologique ;
ï l'intensité des troubles potentiels qui guide
l'indication d'une hospitalisation, voire d'une admission directe en milieu de
soins intensifs (ex. : intoxication par la chloroquine ou d'autres
cardiotropes) ou en chirurgie (ingestion d'acides ou de bases
fortes).L'administration d'une dose unique de charbon activé est
indiquée en respectant ces contre-indications classiques devant
l'ingestion :
ï d'un produit toxique ;
ï à dose toxique ;
ï avec un délai d'ingestion inférieur
à 1 heure. L'administration de dose répétée de
charbon activé est discutée devant les intoxications par :
ï carbamazépine
ï digitaliques ;
ï phénobarbital ;
ï quinine ou quinidine ;
ï théophylline ;
ï toutes les formes à libération
prolongée ;
ï salicylés.
ï Les indications du lavage gastrique sont maintenant
extrêmement limitées et clairement définies. Il s'agit des
intoxications par les produits non adsorbés par le charbon
activé, c'est-à dire:
ï les alcools (éthanol, méthanol,
éthylène glycol), dans l'heure qui suit l'ingestion ; Point
important Si la personne intoxiquée est encore asymptomatique, les
indications de décontamination, le plus souvent digestive, s'imposent
d'emblé.
Présence de symptômes et prise de
toxiques définis
Il s'agit, par exemple, d'un malade retrouvé somnolent
ou comateux avec des boîtes de médicaments à
côté de lui. La première question que soulève cet
examen initial est de savoir si les symptômes présentés par
le malade nécessitent un traitement d'urgence. En d'autres termes de
savoir s'il existe une défaillance d'organe. Il est en effet fondamental
de bien concevoir que c'est l'amélioration du traitement symptomatique
qui a permis d'améliorer le pronostic de nombreuses intoxications (ex. :
insuffisance respiratoire aiguë des comas toxiques, collapsus
cardiovasculaires toxiques). L'adage américain dit :
« Traite le patient avant de traiter le poison ». Il
faut connaître les situations où existe un risque vital
immédiat afin d'en faire rapidement le diagnostic et de corriger sans
tarder cette ou ces défaillances vitales.
Connaître un toxique permet d'évaluer
les points d'impact du toxique, les risques encourus par le patient et de
définir les éléments de surveillance grâce à
un appel auprès du centre antipoison. Cependant, pour que cet appel soit
le plus constructif possible, il faut que le médecin qui appelle ait
réalisé au préalable un examen clinique complet de son
patient ainsi qu'un ECG. Cet examen clinique détermine s'il existe une
adéquation entre les produits toxiques suspectés et les
symptômes présentés par le patient. Il faut en effet savoir
si les produits suspectés expliquent à eux seuls la
totalité du tableau clinique. Une réponse négative conduit
à poser deux questions :
· l'intoxication est-elle réelle ?
Devant toute suspicion d'intoxication, il convient de garder
présent à l'esprit les diagnostics différentiels que les
symptômes présentés par le patient peuvent évoquer.
Dans la mesure où bon nombre d'intoxications évoluent
favorablement sous traitement symptomatique, cette situation nécessite
une grande vigilance vis-à-vis des diagnostics différentiels que
l'on peut opposer aux étiologies toxiques. En effet, les pathologies
sont nombreuses où des traitements spécifiques sont
nécessaires (ex. : comas métaboliques, endocriniens, infectieux,
choc septique, etc.
· quels sont les autres toxiques qui peuvent
expliquer ces symptômes? Le corollaire d'une réponse positive
à cette question est de savoir quels risques nouveaux font alors
apparaître ces produits associés. Les fonctions vitales
étant assurées, l'intérêt d'une
décontamination peut être discuté. Les indications des
antidotes pourront être posées Il ne faut pas sous-estimer
l'intérêt de ceux-ci en urgence. Bien conduits, ils facilitent
très souvent la réanimation symptomatique.
L'augmentation de l'élimination du toxique pourra
être obtenue par une diurèse provoquée ou par une
épuration extrarénale qui n'intéresse pas les
intoxications les plus fréquentes mais uniquement des intoxications
rares ou très limitées.
Le diagnostic toxicologique pourra être
étayé par une analyse toxicologique en urgence.
L'intérêt de l'analyse toxicologique en urgence dépasse
d'ailleurs le simple cadre diagnostique (cf. infra« L'analyse
toxicologique en urgence »).
Patient symptomatique, étiologie toxique
suspectée mais sans orientation initiale
Il s'agit par exemple d'un sujet retrouvé comateux dans
une chambre d'hôtel, dans la nature, ou d'une intoxication dite « de
poubelle » de l'enfant. Le premier problème est encore de
vérifier l'absence de détresse vitale qui nécessiterait un
traitement immédiat. Dans cette situation, il ne faut pas oublier que si
l'interrogatoire du patient ou de son entourage sont impossibles, un examen
clinique soigneux et répété, l'analyse critique des
examens biologiques de routine apportent des informations qui, à elles
seules, orientent le diagnostic. Il faut alors préciser, par l'examen
clinique initial, le syndrome toxique, le « toxidrome »dans lequel se
situe cette suspicion d'intoxication (ex. :
Encéphalopathie, coma, hallucinations, état de
mal convulsif).L'examen clinique et les examens para cliniques rechercheront
progressivement, au sein du tableau clinique et biologique, les
éléments discriminants .Les fonctions vitales étant
assurées, l'indication d'une décontamination peut être
discutée. Devant une intoxication symptomatique, si les symptômes
sont compatibles avec le diagnostic suspecté, la certitude diagnostique
n'est pas nécessaire à la mise en route des traitements
spécifiques par antidotes .L'indication d'une épuration
extrarénale n'est discutée que devant des troubles
métaboliques sévères. Le diagnostic peut être
confirmé par une analyse toxicologique.
Conduite à tenir en fonction du tableau
clinique initial Conduite à tenir devant UN coma présumé
toxique
Devant un tel coma, il faut simultanément :
· évaluer sa profondeur par la mesure du score
de Glasgow ;
· trouver son étiologie ;
· rechercher des complications qui peuvent être
:
Communes à tous les états comateux.
propres à l'étiologie suspectée.
Évaluation de la profondeur
La profondeur du coma permet d'évaluer le risque
immédiat de survenue d'une insuffisance respiratoire.
Étiologie
L'énorme valeur d'orientation diagnostique de l'examen
clinique doit être reconnue. Il ne faut jamais oublier que :
· hormis le monoxyde de carbone et
l'hypoglycémie, les comas toxiques ne s'accompagnent jamais de signes de
localisation. Leur existence doit faire suspecter une cause neurologique et
impose l'examen tomodensitométrique en urgence.
· les comas toxiques peuvent être fébriles
(pneumopathies d'inhalation) mais il n'existe jamais de syndrome
méningé. Au moindre doute, une ponction lombaire doit être
réalisée.
· devant une suspicion de coma toxique, les examens
toxicologiques les plus importants à obtenir en urgence sont en fait les
examens biologiques : glycémie, ionogramme sanguin, calcémie,
hémogramme, taux de prothrombine, gaz du sang,
créatininémie.
Conduite à tenir devant un coma
présumé toxique avec collapsus cardiovasculaire
L'association d'un collapsus à un coma est une
situation fréquemment rencontrée en toxicologie et de haute
gravité. La démarche diagnostique et thérapeutique lors de
la découverte d'un coma présumé toxique avec collapsus est
la suivante.
Mise en route sans délai du traitement
symptomatique
Sa primauté doit être soulignée. Il
associe :
· la mise immédiate sous oxygène au
masque, voire l'intubation et la ventilation assistée même si le
coma n'est pas profond ;
· la pose de deux abords veineux de bonne
qualité. La réanimation de ces états commence toujours par
un remplissage vasculaire ;
· la pose d'une sonde urinaire : l'évacuation
du globe vésical permet de débuter la surveillance horaire de la
diurèse.
Orientation étiologique et traitement
adapté au mécanisme et à la cause du collapsus
Les caractéristiques cliniques du coma, la prise de la
température et l'ECG permettent de répondre au problème de
l'étiologie et du traitement spécifique de ce coma avec
collapsus.
Selon la température
En cas de collapsus hypotherme, pour que le collapsus puisse
être rattaché à l'hypothermie, il faut que celle-ci soit
franche, c'est-à-dire inférieure à 32 °C, pouvant
atteindre 28 °C. La fréquence cardiaque n'est alors jamais
accélérée. Le collapsus hypotherme reconnaît un
traitement symptomatique bien codifié. L'hypothermie est une
complication non spécifique des comas toxiques.
En l'absence d'hypothermie, l'attention doit se
porter sur l'ECG.
Selon l'électrocardiogramme
QRS larges supérieurs ou égaux à
0,10 s. L'élargissement des
complexes QRS associé à des troubles de
repolarisation, ondes T plates, QT allongé, doit faire évoquer
une intoxication par produits à effet stabilisant de membrane. De
très nombreux produits ont un tel effet Le pronostic vital est
constamment engagé lorsque la durée des complexes QRS est
supérieure ou égale à 0,16 s. Devant des complexes QRS
larges, supérieurs ou égaux à 0,16 s, le traitement fait
appel de première intention aux sels de sodium hypertoniques :
bicarbonate ou lactate de sodium molaire. En l'absence d'efficacité des
sels de sodium molaire, il faut avoir recours aux catécholamines et une
étude hémodynamique est nécessaire. Dans les formes
majeures, il faut savoir discuter
l'indication d'une assistance circulatoire
périphérique.
QRS fins à l'ECG inférieurs à
0,10 s. Il existe des causes non spécifiques de collapsus au
cours des comas toxiques. Leur diagnostic est habituellement facile pour peu
que ces étiologies soient évoquées (mise à part
l'hypothermie) :
· choc septique précoce accompagnant une
pneumopathie d'inhalation. Les hémocultures à l'admission sont
positives ;
· choc hypovolémique accompagnant une
rhabdomyolyse étendue, cliniquement évidente .Au sein des causes
toxiques, de première intention, on évoquera une intoxication
par le méprobamate. Les phénothiazines sont une
cause de collapsus. Un collapsus peut être observé à la
phase précoce d'une inhalation de fumées d'incendie. Il
témoigne d'une intoxication cyanhydrique sévère
associée à l'intoxication oxycarbonée. Les patients ont
toujours un trouble de conscience et sont couverts de suies. Outre l'intubation
et la ventilation contrôlée en oxygène pur, le traitement
fait appel à l'hydroxocobalamine administrée par voie
intraveineuse à la dose de 5 g en 15 minutes éventuellement
renouvelée. Les opiacés ont un effet vasodilatateur à
l'origine d'une hypovolémie relative à laquelle sont toujours
associés myosis, sédation et bradypnée.
Coma, collapsus et bradycardie
L'hypothermie est bien sûr évoquée de
première intention, ainsi que les opioïdes et plus
particulièrement l'héroïne ou la morphine en raison de leur
effet vagal.
L'association d'un collapsus, d'une bradycardie et d'un coma
doit faire évoquer la prise associée de psychotropes et de
b-bloquants ou d'inhibiteurs calciques. Les
b-bloquants lipophiles comme le propranolol
peuvent être responsables du coma.
Coma et troubles du rythme ventriculaire
Au cours des intoxications par les a stabilisant de
membrane associé à la
Tachycardie sinusale anti cholinergique d'une véritable
tachycardie ventriculaire. Les torsades de pointes peuvent aussi être
observées.
Coma, collapsus et acidose métabolique
Lorsque l'acidose lactique est intense, certaines
étiologies particulières peuvent être
évoquées de première intention :
· intoxication par des produits tels que les
antitussifs comme le clobutinol qui sont à l'origine d'états de
mal convulsif ; certains raticides contiennent de la chloralose ou de la
crimidine ;
· intoxication par les cyanures chez une victime
d'incendie. Une lactacidémie supérieure ou égale à
10 m mol/l est un signe sensible et spécifique d'intoxication
cyanhydrique associée à une intoxication oxycarbonée ;
· acidose lactique compliquant un traitement par
metformine .Si les lactates ne sont pas très élevés et
n'expliquent pas à eux seuls le trou anionique, il faut savoir
évoquer une forme grave d'intoxication par l'éthylène
glycol ou le méthanol.
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