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Les contrats de financement dans les banques islamiques

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par Malika Amri
Toulouse 1 - Master 2 droit international et comparé 2009
  

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CHAPITRE II

Les formes possibles du partenariat

Les formes contractuelles, reposant sur le principe de partage des pertes et profits, restent peu nombreuses par rapport au foisonnement d'instruments de financement reposant sur la dette que nous avons décrits dans la première partie de notre étude1.

Les contrats de financement par participation de la banque islamiques sont essentiellement au nombre de deux.

Il y a d'abord le financement par la mudharaba où le rôle de gestion est exclusivement réservé au client-partenaire (section I). A côté de la mudharaba, il est possible d'employer un mode de financement plus sûr pour la banque islamique et par lequel elle pourrait contrôler plus activement la gestion de l'activité financée, et ce en ayant recours à la technique de la mucharaka, littéralement « participation » (section II).

1 Ces instruments font l'objet des pages 35 à 55 de notre étude

SECTION I Le financement par la mudharaba

Le terme de mudharaba signifie littéralement « multiplication ». Le contrat de mudharaba est un instrument de financement défini comme étant un contrat par lequel l'une des parties, le rab al-mâl (détenteur de fonds), fournit les fonds à l'autre partie, le mudhareb (multiplicateur) qui s`engage dans la gestion d'une activité pour engendrer un certain profit. La mudharaba repose sur le principe de partage des pertes et profits. La part de profit de chacun étant fixée préalablement à la signature du contrat.

L'on considère ici que l'apport en industrie du mudhareb et l'apport en capital du rab al-mâl ont le même poids. Par conséquent, si l'entreprise dégage des pertes, elles seront supportées par le seul bailleur de fonds car l'on considèrera que le mudhareb aura perdu son propre apport, en l'occurrence son temps et le fruit de son travail.

Il est à noter qu'il existe des formes dérivées de la mudharaba, en l'occurrence la muzaraâ (du verbe zaraâ, yazra'u : semer des graines), la mugharassa (qui renvoie à l'action de planter) et la mussakât (du verbe saqâ, yasqî qui signifie arroser), mais ces contrats sont basés sur le même mécanisme que celui de mudharaba et s'appliquent spécifiquement au domaine de l'agriculture.

Le contrat de mudharaba est un contrat ancien qui remonte à la période antéislamique. Il a donc fait partie des contrats utilisés et développés, dès la naissance du droit musulman (§1). Avec le développement des banques islamiques au vingtième siècle, l'on a assisté à une recrudescence du recours à ce contrat sous une forme complexifiée et adaptée afin de s'insérer dans le système bancaire contemporain (§2).

§1 Le contrat de mudharaba en droit musulman

A l'origine, il a été décrit par les fuqahas comme un contrat d'association entre deux parties au moins en vertu duquel l'une d'elles apporte son capital, l'autre son travail ou son industrie dans une perspective de partage des bénéfices réalisés1. L'origine du contrat remonte à l'époque où le Prophète s'était associé à celle qui deviendrait sa première épouse, Khadija.

1 OBEIDY Z., La banque islamique-une nouvelle technique d'investissement, thèse de doctorat soutenue à Beyrouth, Dar ar-Rashad al-islamiyya, 1988, p.76

C'était une riche femme d'affaires qui proposa au prophète de mener son caravansérail jusqu'à une autre ville, moyennant une part des bénéfices qu'il retirerait des ventes qu'il ferait pour son compte à son arrivée. Le capital humain, c'est-à-dire le travail fourni par le Prophète et son expérience de commerçant, a le même statut que le capital financier, en l'occurrence les marchandises destinées à la vente et l'argent pour le voyage qui ont été fournis par Khadija.

Le contrat de mudharaba doit obéir à plusieurs conditions pour être conforme à la Chari'a (A) et peut être comparé à la société en commandite de droit français (B).

A Conditions de validité

Les conditions de validité se rapportent notamment au capital investi.

Selon l'article 1409 alinéa 2 du Medjellé ottoman1, l'apport du rab al-mâl doit être en numéraire. Cependant, il peut en théorie s'agir d'un capital financier, d'un capital en nature ou des deux : selon les Malékites, il peut s'agir d'une marchandise que le mudhareb va revendre. Le prix récolté sera la contribution du rab al-mâl. Cette possibilité est réfutée par les Chaféites selon lesquels la société ne peut être exploitée dans ce cas car le capital reste incertain jusqu'à la réalisation de la vente et la constatation du prix récolté, avec les aléas des marchandises invendues et de la baisse des prix du marché entre le moment de la conclusion du contrat et le moment de la vente.

Au final, l'option pour le rab al-mâl de faire un apport en marchandises est possible à condition que le contrat précise s'il faut considérer comme apport la valeur des marchandises au moment de la conclusion du contrat ou à l'issue de la vente.

Ensuite, le capital financier investi doit être exprimé dans la monnaie de circulation. Le capital humain également doit être évalué dans la même monnaie et les deux montants doivent être précisés dans le contrat. Il est essentiel que le capital soit certain et déterminé comme dans toute société afin de pouvoir déterminer les quotes-parts de chacune des parties au début de l'opération et de pouvoir calculer les bénéfices et les pertes à la fin de l'opération.

Ces apports doivent être disponibles. En l'occurrence il doit s'agir d'argent comptant et non
de créances ou d'argent indisponible ou de dettes du mudhareb. Si l'apport du rab al-mâl était

1 Bâz S., Charh al-majalla (Medjellé ottoman, traduction en Arabe commentée), 2 volumes, Beyrouth 1988-89

constitué d'une dette du mudhareb envers le rab al-mâl, la mudharaba cacherait sans doute un bénéfice usuraire détourné : le profit réalisé avec l'argent du rab al-mâl, qui constitue un pourcentage de la somme, retournerait au rab al-mâl, ce qui est une forme explicite de riba. Par contre, le rab al-mâl peut donner au mudhareb une créance à encaisser pour son compte qui sera considérée comme un apport.

Le capital doit être livré effectivement entre les mains du mudhareb. Il s'agira alors d'un contrat de consignation qui sera effectif par la remise de l'objet, en l'occurrence l'argent. Le mudhareb doit disposer librement et inconditionnellement du capital pour mener à bien son activité.

Les autres conditions de validité se rapportent à la nature du travail du mudhareb puisqu'il ne doit pas y avoir de lien de subordination entre les parties. Autrement, l'opération se transformerait en contrat de travail.

Quant à l'exploitation du capital, elle se caractérise, en principe, par l'absence de toute ingérence du bailleur de fonds, sauf faute de gestion de la part de l'entrepreneur.

Au terme de l'opération de financement, si l'entreprise commune ne dégage aucun profit, ou qu'elle enregistre une perte sans que la faute du mudhareb ait été prouvée, l'entrepreneur n'aura perdu que son effort et en contrepartie, il ne touchera pas de salaire pour la gestion de l'entreprise.

La mudharaba prend fin avec la décision de dissolution de la société ou toute autre cause d'extinction de la société (règlement judiciaire, décès de l'un des associés, etc.).

Les auteurs occidentaux et de tradition romano-germanique ont souvent comparé cette forme de société à la société en commandite, simple ou par actions.

B Assimilation à la société en commandite

Pour être valide, toute société doit être consignée au registre du commerce ou son équivalent du pays dans lequel elle va s'établir. Pour ce faire, elle doit prendre la forme d'une société admise par la législation de ce pays. En France, il semble que la forme la plus adéquate avec le contrat de mudharaba soit la société en commandite, simple ou par actions.

A titre de rappel, la société en commandite simple est une société de personnes, commerciale par la forme, et connue du public sous une raison sociale, qui comprend deux sortes d'associés : un ou plusieurs associés indéfiniment et solidairement tenus des dettes sociales, appelés commandités ou gérants qui ont tous la qualité de commerçant et dont le nom figure dans la raison sociale (à moins que celle-ci ne comprenne le nom d'un ou plusieurs d'entre eux suivi de l'expression « et Cie ») ; un ou plusieurs associés tenus seulement dans les limites de leur apport, appelés commanditaires ou bailleurs de fonds, exclus de la gérance et qui n'ont pas la qualité de commerçant.

Quant à la société en commandite par actions, il s'agit d'une société commerciale par la forme comprenant les deux catégories d'associés de la société en commandite simple mais dans laquelle l'apport des commanditaires (dont le nombre ne peut être inférieur à trois) est représenté par des actions1.

Dans la mudharaba aussi, il existe deux catégories d'associés : le rab al-mâl est assimilé au commanditaire car il ne s'occupe pas de la gestion de la société, et a seulement un droit de surveillance et de contrôle sur les affaires internes. Le mudhareb pour sa part est assimilé au commandité et assure librement la gestion de la société.

L'apport du rab al-mâl tout comme celui du commanditaire est remis aux mains du partenaire chargé de la gestion et le mudhareb tout comme le commandité ne peut garantir au bailleur de fonds la restitution de son apport en le déchargeant de ses pertes.

De plus, les deux contrats de mudharaba et de société en commandite sont des contrats intuitu personae : le partenaire chargé de la gestion doit remplir personnellement son mandat consistant à mener à bien l'entreprise commune.

Cependant, certaines différences empêchent de confondre les deux types de contrats : dans la mudharaba, le mudhareb fait un apport en industrie seulement alors que dans la société en commandite, rien n'empêche le commandité de souscrire à une partie du capital. De plus, le commanditaire ne supporte les pertes qu'à hauteur de son apport tout comme le commandité tandis que dans la mudharaba, si les profits sont partagés au prorata des apports, les pertes financières, elles, ne sont supportées que par le rab al-mâl. Enfin, la société en commandite a

1 Sur la définition des deux types de sociétés en commandite, voir CORNU G., Vocabulaire juridique, PUF, 6ème édition, 2004, p.856

vocation à durer dans le temps alors que la société de mudharaba est sensée être dissoute dès que le mudhareb aura fini de racheter au bailleur de fonds ses parts, c'est-à-dire de le rembourser.

Quoiqu'il en soit, dans les pays où la société en commandite est règlementée par le législateur (par exemple en Tunisie), c'est cette forme qui a été reprise par les banques islamiques pour les contrats de mudharaba.

Le contrat de mudharaba a été adopté dès les années soixante-dix par les banques islamiques et adapté afin d'être utilisé en tant qu'instrument de financement à moyen et à long terme.

§2 Les différents modèles de mudharaba dans la pratique des banques islamiques

La mudharaba a été utilisée comme instrument de crédit à moyen et long terme, par exemple comme substitut à l'émission d'obligations conventionnelles dans les années quatre-vingt au Pakistan : les PTC (participation term certificates) ont tendu à remplacer le financement par dettes basées sur l'intérêt. Il s'agit d'instruments transférables basés sur le principe de partage des pertes et des profits, désignés pour remplacer les dettes par emprunt en monnaie nationale à moyen et long terme contractées par le secteur industriel. Ces certificats ont été utilisés notamment pour la construction de bâtiments publics.

La mudharaba telle que prévue en droit musulman est difficile à appliquer car le contrat exige à la base une relation de proximité et de confiance entre les parties, condition qui ne caractérise pas forcément la banque et son client. De plus, dans la mudharaba, le partage des profits doit se faire à la fin de l'opération de financement alors que l'investissement bancaire repose à la base sur la continuité de l'opération et la répartition périodique des bénéfices, ce qui empêche une liquidation totale des bénéfices éventuels à chaque échéance.

Pour toutes ces raisons, l'on a déduit que la mudharaba était difficile à appliquer aux financements de projets. Elle est plutôt utilisée pour la mise en place de fonds d'investissements destinés à financer diverses activités. En France, elle est un bon substitut aux fonds d'investissement que le droit français règlemente de manière ponctuelle tels que la titrisation ou encore les fonds communs de placement, la fiducie ne faisant pas, à ce jour, partie de l'arsenal juridique français.

Deux types de contrats de mudharaba sont proposés aux clients désirant investir leur argent. Ils peuvent d'une part confier leur argent à la banque sans aucune restriction ou droit d'ingérence concernant la destination des fonds. C'est la mudharaba mutlaqa ou mudharaba libre. Elles peuvent aussi choisir par l'insertion d'une clause dans le contrat la destination exacte de leurs fonds, c'est la mudharaba muqayyada ou mudharaba restreinte.

Le partenariat s'achève lorsque le mudhareb a remboursé à la banque les fonds investis et qu'elle a pu retirer de l'opération une marge de profit.

A la fin de l'opération de financement, le compte du mudhareb est soldé et la banque prélève sa commission. Ensuite, on solde les comptes des déposants selon les résultats obtenus et le type de compte détenu : s'il s'agit de comptes de titres, de placement, ou à vue, le déposant ne percevra aucune rémunération mais ne risque pas non plus de subir de pertes. Par contre, s'il s'agit d'acquisition de certificats nominatifs ou au porteur, partage des profits dégagés par les investissements entrepris dans le cadre de la mudharaba.

L'on a constaté deux formes de mudharaba pratiquées par les banques islamiques, la première est la mudharaba « two-tier » dans laquelle la banque endosse à la fois le rôle du mudhareb et du rab al-mâl (A) et la deuxième est la mudharaba dans laquelle la banque est uniquement intermédiaire entre ses clients en besoin de financement et ses déposants (B).

A La mudharaba « two-tier »

Dans ce type de mudharaba qui est le plus usité par les banques islamiques, l'on est en fait en présence de deux contrats de mudharaba.

Le premier est conclu entre les déposants et la banque islamique, le déposant étant le rab almâl et le mudhareb, la banque, Ce choix s'explique par le manque de fonds propres de la banque islamique pour pouvoir répondre à toutes les demandes de financement. C'est la raison pour laquelle elle va plutôt utiliser les fonds de ses déposants. Ces déposants sont collectivement considérés comme le rab al-mâl, ce qui signifie que les fonds ne sont pas pris individuellement chacun pour une opération précise. La banque islamique est le mudhareb, titulaire du savoir-faire en matière d'investissement, elle fait un apport en industrie consistant en la sélection et le suivi des investissements.

Au terme de chaque exercice, l'on soustrait des bénéfices les dépenses et les réserves légales imposées par la banque centrale. Le reste est distribué entre la banque et les déposants à un prorata prédéterminé. La rémunération est variable en fonction du type de compte ouvert. Par exemple, les comptes à vue ne sont pas rémunérés car ils sont garantis à cent pour cent et le refus du partage des risques ne donne pas droit à une part des bénéfices. Par contre, les comptes de placement ne garantissent pas la valeur nominale du dépôt et donnent droit à une part des bénéfices.

Généralement, il s'agit d'une mudharaba mutlaqa, la banque est libre quant au choix de la destination des fonds. En plus des fonds de ses déposants, la banque peut éventuellement ajouter une partie des fonds de ses actionnaires.

Le deuxième contrat de mudharaba est passé entre la banque islamique et l'entrepreneur en besoin de financement. La banque islamique devient alors le rab al-mâl et l'entrepreneur devient le mudhareb. Le partage des bénéfices se fait au prorata convenu et les pertes sont uniquement assumées par la banque sauf cas de mauvaise gestion du mudhareb. Généralement, la banque étant en position de force par rapport au demandeur de fonds, elle va lui imposer un contrat de mudharaba muqayyada. De ce fait, elle choisira avec minutie le mode d'emploi des fonds avancés et exercera un contrôle rigoureux sur l'activité du mudhareb. Cependant, elle peut éventuellement lui laisser les mains libres si le projet lui semble particulièrement rentable.

Si au terme de l'opération, l'entreprise commune enregistre des pertes, le mudhareb n'aura pas à garantir le capital et s'il n'y a pas de bénéfices, le mudhareb ne touche aucune rémunération, et ce en conformité avec la mudharaba telle qu'élaborée en droit musulman.

Les banques islamiques éprouvent une grande difficulté à contrôler l'emploi des fonds avancés et les risques sont parfois trop difficiles à assumer, c'est pourquoi certaines de ces banques préfèreront se contenter d'un rôle d'intermédiaire entre les déposants et les entrepreneurs demandeurs de financement.

B La banque, intermédiaire entre le mudhareb et le rab al mâl

Dans le cas présent, la banque endosse uniquement la responsabilité d'intermédiaire entre les demandeurs de financement et les déposants.

Un seul contrat de mudharaba est conclu sur la base d'un contrat de mandat : la banque est mandataire salariée de ses clients, c'est-à-dire qu'elle touche une rémunération pour son travail mais n'a pas droit à une part des bénéfices. Les clients sont le rab al-mâl et la banque investit leur argent en leur lieu et place pour des entrepreneurs qui ont la qualification de mudhareb.

En fait, selon les fuqahas, ce type de mudharaba est un contrat complexe qui se subdivise en deux étapes : il y a d'abord contrat de dépôt (wadi'a) par lequel le client, en tant que dépositaire, fait confiance à la banque et lui confie son argent à charge pour celle-ci de lui restituer l'objet, en l'espèce l'argent, au terme du contrat. Ensuite, c'est par l'intermédiaire d'un contrat de mandat (wakala) que le client charge la banque d'investir l'argent qu'il lui a confié, et ce dans la limite des pouvoirs qu'il lui a accordé.

A priori, rien n'empêche la banque d'être un investisseur direct et de partager par conséquent les bénéfices avec les épargnants mais dans ce cas, la banque devra garantir aux déposants la somme déposée, même pour les comptes d'investissement dont la valeur nominale n'est à l'origine pas garantie. Cela dit, ce comportement est critiquable dans la mesure où s'il est vrai que la banque agit avec l'argent des épargnants sans leur demander leur avis, les clients tout de même auront droit à une part des bénéfices sans pour autant prendre le risque de devoir assumer les pertes, ce qui constitue une injustice réprouvée par les principes de droit musulman envers la banque.

La banque sera responsable vis-à-vis de son client en cas de faute dans le choix du mudhareb, alors même qu'elle n'intervient pas dans la gestion des activités financées. C'est cette trop grande responsabilité qui rend les banques islamiques aussi « frileuses » dans le choix de cet instrument comme mode de financement.

Le meilleur moyen pour les banques islamiques de s'assurer de la profitabilité des projets qu'elle finance dans le cadre du partage des pertes et des profits semble être d'exiger un rôle plus actif dans la gestion de l'entreprise qu'elle finance. La mucharaka semble alors plus appropriée.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo