SECTION II La participation aux résultats de
l'entreprise
Le principe de partage des profits et des pertes est
assurément l'élément le plus significatif et le plus
caractéristique en matière de financement islamique mise à
part la prohibition du riba ou usure.
Les règles de partage des résultats sont le plus
souvent prévues dans les statuts, mais elles sont en droit musulman
obligatoires, « d'ordre public » (§1).
Les instruments reposant sur le partage des
bénéfices et des pertes ont été comparés au
système de capital-risque dans la mesure où les partenaires
assument solidairement les pertes et les profits selon un ratio
préétabli (§2).
§1 Le partage des profits
A titre de rappel, le profit a été défini
par une majorité de fuqahas comme étant la
différence entre la somme dégagée en fin d'exercice et la
somme investie au départ.
Le profit est l'essence même de l'entreprise, c'est
l'objet et le but du contrat. C'est pourquoi l'ignorance des termes du contrat
entraîne sa nullité. Les parties doivent dès le
départ se mettre d'accord sur le mode de partage des profits.
En un premier temps, il convient de déterminer quels
éléments entrent dans la catégorie de profit (A). Par la
suite l'on pourra procéder au partage entre les partenaires (B).
A Modalités de calcul du profit
Il faut déterminer quels éléments au
juste sont comptabilisés comme profit. Dans certains textes
d'économistes musulmans à vocation théorique, le profit
est défini comme la valeur de la productivité marginale du
capital. En pratique, l'observation suggère qu4il s'agit tout simplement
du résultat d'exploitation, au sens comptable du terme.
Cette question pose problème car il y a un manque
d'harmonisation des règles comptables.
Par exemple, la banque Al Rajhi Banking and Investment Corp
utilise les normes IFRS (International Financial and Reporting Standards),
la Bank Islam Malaysian Berhad, quant à
elle, a recours aux normes d'audit comptable malaises.
L'Islamic Bank of Britain a adopté les règles comptables
britanniques (United Kingdom Generally Accepted Accounting Principles).Par
contre, Al Baraka Islamic Group utilise les normes AAOIFI. Ces normes
élaborées par une institution islamique sont encore loin d'avoir
conquis toutes les institutions bancaires et financières islamiques,
d'où des différences considérables dans la
détermination du profit net1.
Ainsi, si certaines banques considèrent le salaire
éventuel du promoteur comme une charge, d'autres ne le comptabilisent
pas comme tel et l'incluent dans le profit à partager entre les
partenaires.
Par conséquent, les litiges sont importants en
matière de partage du profit puisqu'il ne sera pas du même montant
selon le type de règles utilisées.
B Le partage à un prorata
prédéterminé
La rémunération doit être exprimée
en part, c'est-à-dire en pourcentage du profit total et non en somme
fixe car on ne sait jamais à l'avance s'il y aura profit et à
combien il se montera. La distribution des bénéfices se fait en
gros après paiement des dettes et prélèvement du capital
par la banque, au prorata des apports. L'apport en industrie du promoteur doit
être évalué avec précision par des experts et
précisé dans les statuts de la société, tout comme
le montant apporté par la banque.
En principe, le partage des profits doit se faire de
façon équitable. Cependant, les profits peuvent être
répartis en parts inégales, puisqu'il faudra, d'après les
jurisconsultes Hanafites et Hanbalites qui conseillent les banques islamiques,
tenir compte de la valeur que l'on reconnaît à l'apport du chef du
projet, qui a mené à bien l'entreprise, ce qui autorise une
répartition des bénéfices qui ne seront pas proportionnels
au capital investi. Généralement, si le promoteur est seul
chargé de la gestion, il sera rémunéré en tant que
gérant. Si la mission de gestion est conjointement assumée par
lui et par la banque, son seul revenu sera sa part de
bénéfices.
Si le partage des profits se fait au prorata des apports, le
partage des pertes lui se fait au prorata du capital investi.
1 RUIMY M., op. cit., pp.86 et suiv.
§2 La participation aux pertes
Les pertes sont constituées par l'excédant de
l'ensemble des charges d'un exercice sur les produits de celui-ci. Elles
figurent au passif du bilan, dans les capitaux propres eux-mêmes contenus
dans le compte "de résultat de l'exercice".
Dans leur structure conventionnelle, ces financements
impliquent une répartition des risques sur les parties les plus à
même de les supporter, compte tenu de leurs rôles respectifs dans
le projet.
Le principe de partage des pertes repose sur une conception
déterminée de la justice selon laquelle deux partenaires ne
peuvent avoir de rapport commercial sain à moins de supporter ensemble
les risques liés à leur entreprise commune (A). Cependant, les
banques islamiques ont réussi à contourner la règle les
obligeant à supporter les pertes (B).
A L'interdiction des clauses léonines en droit
musulman
Elle est définie comme une clause privant un
associé de tout droit aux profits de la société ou lui
attribuant la totalité des pertes ou l'exonérant de toute
contribution au passif social. Cette clause est réputée non
écrite dans le contrat de société.
La contribution aux pertes ne concerne que les rapports entre
associés, et non le droit de poursuite des créanciers. C'est
à la clôture de chaque exercice comptable de la
société que se déterminera la contribution de chaque
associé aux pertes éventuelles. L'associé qui aura
payé plus que sa part dans les statuts aura un recours contre ses
coassociés. En droit français, chacun contribue en principe aux
pertes proportionnellement à la part de capital qu'il détient
dans la société, mais une répartition inégalitaire
peut être permise, dès lors qu'elle n'est pas léonine. Le
droit musulman ne permet pas une telle souplesse même avec l'accord
commun des parties.
En France, les clauses léonines sont
réputées non écrites : la nullité de la clause
n'entraîne pourtant pas celle la société, la règle
de partage des résultats proportionnellement aux apports se substitue
automatiquement à la clause léonine. Par contre, selon les
jurisconsultes musulmans, une telle clause entraîne la nullité de
la société même. Cette solution a été
jugée très sévère et constitue actuellement un
frein au développement des entreprises ayant recours au financement par
participation des banques islamiques.
Les banques islamiques sont réticentes à assumer
seules les risques financiers. C'est pourquoi elles tentent de contourner
l'interdiction des clauses léonines.
B Le contournement de cette règle par les banques
islamiques
Lorsque le niveau de risque est jugé
élevé, en fonction de l'assise financière et
immobilière du promoteur et afin de dissuader les abus, la mauvaise foi
et la mauvaise gestion, la banque peut accepter des garanties de toute nature.
Elle ne peut cependant les réaliser qu'à condition que le
promoteur ait enfreint ses obligations.
De façon générale, des montages
spécifiques sont mis en place par les banques islamiques pour garder un
niveau de risque comparable à celui prévu dans la documentation
des banques commerciales, ce qui nécessite un contrôle
étroit et un accord de ces dernières. En raison du faible niveau
ou de l'absence de garanties extérieures au projet, les banques
commerciales ne supporteront généralement que les risques
liés à la rentabilité du projet.
Il convient de noter que le droit musulman permet la mise en
place d'un certain nombre de sûretés similaires au gage, au
nantissement ou à l'hypothèque. Cependant, il est impossible
d'octroyer une quelconque sûreté sur un bien n'existant pas au
moment de la constitution de la sûreté, ce qui pose parfois
problème lorsque par exemple, le promoteur souhaite hypothéquer
l'immeuble qu'il compte construire grâce au financement de la banque.
Au final, en plus des risques classiques, le financement
participatif comporte de très nombreux périls pour les banques
islamiques. En effet, il sera plus difficile pour la banque de se retirer du
partenariat si le promoteur s'avère ne pas être à la
hauteur : la cession de parts sociales ou actions d'une société
en mauvaise santé, ou encore la dissolution de la société
sont des procédures beaucoup plus lourdes que la simple
résolution ou résiliation d'un contrat.
C'est ce qui explique la faible part de financement par des
instruments reposant sur le partage des pertes et des profits dans
l'activité des banques islamiques. Ce manque de recours aux instruments
de financement participatif explique qu'il y ait eu peu d'innovation en la
matière et que le nombre de contrats aujourd'hui utilisés est
limité.
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