Les contrats de financement dans les banques islamiques( Télécharger le fichier original )par Malika Amri Toulouse 1 - Master 2 droit international et comparé 2009 |
SECTION I Le rôle actif de la banque dans le projet communContrairement aux banques conventionnelles, la banque islamique sélectionne avec rigueur les projets qu'elle souhaite financer pour minimiser les risques de perte (§1). Elle doit ensuite surveiller constamment l'entreprise commune pour s'assurer de la rentabilité optimale du projet (§2). §1 Une mission de sélection a priori Cette sélection des projets revient à un conseil que la banque islamique met en place en son sein et qui est le comité de la Chari'a, en Anglais le Shari'a board (A). Ce conseil est chargé de la sélection des projets sur la base de plusieurs critères économiques et religieux (B). A L'autorité chargée de la sélection : le comité de la Chari'a Ce comité est un organe indépendant composé de juristes spécialisés en fiqh al mouamalat (doctrine commerciale islamique). Des théologiens se voient donc proposer des fonctions de conseillers religieux ou de membres des bureaux de supervision éthique sur la base de critères de compétences contemporaines en fiqh et en finance. Il comprend en général de quatre à sept membres qui se réunissent à la fin de chaque année financière pour un audit religieux des opérations financières et d'investissement de la banque. A l'issue de cet audit le conseil remet son rapport aux actionnaires et investisseurs de la banque1. Sa mission est d'orienter, d'examiner et de superviser les activités d'une institution financière en vue de leur conformité aux principes de la Chari'a. Le comité prend ainsi acte du respect par les dirigeants et par la banque de l'éthique islamique. Il va étudier les demandes de financements qui lui sont soumises et déterminer au cas par cas leur conformité ou non avec les principes de droit musulman. La valeur des réponses données par le comité sont 1 Voir par exemple le rapport annuel du comité de la Chari'a de l'ABC bank, Shari'a supervisory board report, report of the board of directors and consolidated financial statements, 31 december 2007 http://www.arabbanking.com/world/IslamicBank/En/Investment/Documents/ABC%20Islamic%20FS%202007% 204Q.pdf contraignantes lorsqu'elles concernent la légalité c'est-à-dire la conformité à la Chari'a. Lorsqu'il s'agit d'autres questions, leur avis n'est que consultatif. De plus, le comité a un rôle de légitimation crucial pour faire accepter le produit mis sur le marché qui va décroître au fur et à mesure que l'utilisation de cet instrument va se généraliser. En effet, tout commence avec le besoin que vont éprouver les institutions financières d'un produit conventionnel non conforme à la Chari'a et pour lequel il n'existe pas encore de produit alternatif. Le comité de la Chari'a va participer aux recherches et aux débats qui vont aboutir à la création de nouveaux instruments de financement. Enfin, le recours à un comité de la Chari'a par les banques islamiques a un rôle informel mais non moins important de marketing puisque l'aval de ces comités constitue un élément déterminant pour les clients qui souhaitent investir leur argent de façon halal ou conforme à ce que leur dicte leur religion. La méthode utilisée par les jurisconsultes de ce comité pour avaliser une opération consiste à répondre aux questions suivantes : - Les termes de la transaction sont-ils conformes à la Chari'a ? - S'agit-il du meilleur investissement possible pour le client ? - Cet investissement va-t-il apporter une valeur ajoutée pour tous c'est-à-dire servir l'intérêt général ? - Est-ce que la banque y investirait son propre argent ? Si le comité répond par la positive aux quatre questions sans exception, l'opération sera déclarée conforme à la Chari'a1. Si certaines banques ont leur propre comité de la Chari'a, d'autres font appel de manière ponctuelle à des conseillers en Chari'a. Ce sont donc des consultants externes, rémunérés en fonction de la prestation qu'ils effectuent et sont donc assimilés à des experts externes. En France, le premier comité de conformité
francophone de la finance islamique est apparu 1 MOORE P., Islamic finance, partnership for growth, Euromoney publications, London, 1997 Il est placé dans la perspective d'un développement important depuis quelques mois de la finance islamique en France et de l'absence d'institutions francophones, ce qui posait une barrière importante pour l'accès des acteurs français aux informations nécessaires dans le domaine. Le comité nommé ACERFI (Audit, conformité, éthique et recherche en finance islamique) se propose selon le secrétaire général d'AIDIMM, "de travailler avec les institutions francophones et les acteurs de la finance sur le développement de la finance islamique en France", et de "d'apporter son expertise en droit musulman et son savoir-faire sur les produits financiers dits Chari'a-compatibles". Ainsi, ces comités ont une lourde responsabilité dans la légitimation des instruments de financement utilisés et la réputation des banques islamiques. Cependant, la question qui semble s'imposer, vu l'hétérogénéité des interprétations du droit musulman, est de savoir s'il existe des critères précis et stables d'appréciation des instruments de financement et de quelle nature ils sont. B Les critères de la sélection L'on peut classer les critères de sélection utilisés en deux catégories : d'abord les critères moraux et religieux et ensuite les critères économiques. Concernant la première catégorie, le principal problème, en plus du fait qu'il existe déjà des divergences d'interprétation de la Chari'a au niveau des écoles de pensée, est qu'il existe presque autant de comités de la Chari'a que d'institutions financières et que chacune rend ses avis de façon indépendante. Il suffit parfois de changer de banque pour que le projet considéré comme illicite devienne licite. Par exemple, un investissement du Al Dar Islamic Fund pour le groupe de cosmétiques L'Oréal a été jugé non conforme par les « sages » du Sharia Board qui ont estimé que la loi islamique interdit aux femmes d'utiliser des produits de beauté devant des étrangers, alors que d'autres experts considèrent qu'un tel investissement n'est pas interdit puisque les femmes se maquillent ou se parfument uniquement chez elles1. 1 BATCHELOR C., Investors unsure about sharia, Financial Times, 12 mai 2004 Par ailleurs, comme évoqué précédemment, des Sharia Board considèrent comme légal le Tawarruq1 alors que d'autres l'estime prohibé, car complètement en contradiction avec la philosophie même de la finance islamique. C'est ainsi que la Shariah board de la banque islamique d'Abou Dhabi a autorisé la commercialisation du Tawarruq, malgré son interdiction officielle par l'académie de jurisprudence islamique basée à Djedda2. C'est en réponse à ce manque de coordination qu'est apparu le comité de la Chari'a de l'AAOIFI3. Il est composé de 20 membres et a pour rôle de : - Veiller à l'harmonisation et au rapprochement des concepts et leur application généralisée pour éviter les contradictions et les inconsistances entre décisions des différents comités de la Chari'a ; - Aider au développement d'instruments conformes à la Chari'a et à leur diversification et s'aligner sur les besoins actuels du monde de la finance et des investissements ; - Se prononcer sur les demandes d'avis qui lui sont adressées par les institutions bancaires et financières et arbitrer les différends d'interprétation ; - Contrôler les normes, standards et codes éthiques publiés par l'AAOIFI pour s'assurer de leur conformité à la Chari'a4. Cette tentative d'harmonisation n'a toujours pas eu l'effet escompté mais l'uniformité des décisions est en cours de progression. Quant aux critères économiques, il doit là
encore s'agir d'une activité produisant des revenus 1EL GAMAL M.A., Islamic finance, law, economics and practice, Cambridge university press, 2006, p.68. Le mécanisme du tawarruq y est expliqué comme suit : « Si un client veut emprunter 10 000 dollars et payer 5% d'intérêt, et si la banque souhaite lui prêter la somme à ce taux d'intérêt, la banque a seulement besoin d'acheter l'équivalent de 10 000 dollars en platine chez un commerçant, de les revendre à son client sur la base d'un crédit pour 10 500 dollars à payer ultérieurement, puis revendre la platine au commerçant pour le compte de son client pour arriver au résultat souhaité ». (Traduction personnelle de l'Anglais). 2 REUTERS, Organized tawarruq valid under sharia, Alroyya al-iqtissadiya, 25 July 2009, Manama 3 L'AAOIFI (Accounting and Auditing Organization for Islamic Financial Institutions) est une organisation à but non lucratif islamique internationale autonome chargée de la comptabilité, de l'audit, gouvernance, éthique et standards de la Chari'a pour les institutions financières islamiques et l'industrie. Mise en place de standards, dont de normes comptables et assure leur application 4 http://www.aaoifi.com/sharia-board.html endettée au plus du tiers de ses actifs. Dans l'identification des entreprises méritant le partenariat de la banque islamique, le comité de la Chari'a va travailler en collaboration avec le banquier chargé de la sélection des entreprises. Le client propose le projet à la banque avec les documents nécessaires et une étude de faisabilité du projet. Cette étude doit comporter une délimitation du marché ciblé, l'environnement dans lequel l'entrepreneur opèrera, les produits qu'il compte offrir et leurs spécificités, les objectifs industriels, de marketing et financiers qu'il cherche à atteindre. De plus, l'expérience professionnelle, la crédibilité et les qualités personnelles des dirigeants de l'entreprise demandeuse de financement sont des éléments déterminants dans la décision. Cette étude est ensuite soumise au comité de la Chari'a. Celui-ci donne ou non son accord de principe et l'étape suivante est la rédaction des contrats. Ensuite, le comité doit de nouveau contrôler la conformité du projet de contrats de partenariat avant de donner son aval définitif. La banque islamique prend donc beaucoup plus de risques en s'associant avec le demandeur de financement qu'en lui avançant simplement des fonds car elle endosse les responsabilités d'un associé. Elle doit donc veiller à étudier en profondeur la santé des entreprises avec lesquelles elle s'engage et minimiser les risques dus au manque de transparence et d'information sur ses futurs partenaires. Une fois l'association commencée, la mission de contrôle de la banque ne s'arrête pas là : elle doit constamment contrôler l'activité financée afin de veiller à la rentabilité du projet. §2 Une mission de contrôle a posteriori La mudharaba est un contrat de nature fiduciaire : le mudhareb gère en principe les fonds en toute liberté. La banque exerce néanmoins un droit de supervision sur l'activité du mudhareb, ce qui nécessite une bonne connaissance du domaine dans lequel les fonds sont investis. La banque doit s'assurer au fur et à mesure de la rentabilité du projet dans lequel elle a investi. C'est pourquoi elle doit avoir en son sein une équipe de chargés d'affaires, chacun responsable de plusieurs projets. Leur mission consiste à se charger du suivi et du contrôle de l'entreprise commune. Ces chargés d'affaires vont mettre en place de nombreux dispositifs pour remplir leur fonction (A). Quant à l'entrepreneur, il doit certes se montrer à la hauteur de la confiance qui lui a été accordée et faire tout son possible pour la réussite du projet mais il n'a qu'une obligation de moyen envers la banque islamique (B). A Les modalités du contrôle La banque étant associée dans l'entreprise commune, elle a besoin de se prémunir contre les risques de perte et de mauvaise gestion par le promoteur. Or, les financements dans le cadre de la banque islamique sont, en théorie, effectuées sans les sûretés ordinaires, les seules sûretés étant la réputation du promoteur, le potentiel du produit, le marché ou encore le marché visé. La banque n'ayant pas un simple statut de créancier mais de partenaire, les fonds qu'elle apporte sont considérés comme étant des fonds propres et non comme un emprunt. Par conséquent, il apparaît logique d'exclure la constitution de garanties conventionnelles au profit de la banque. C'est pourquoi il s'est avéré nécessaire de mettre en place des moyens de contrôle détaillés et rigoureux, afin de minimiser les risques assumés par la banque. Les modalités du contrôle sont de plus en plus uniformes à travers les différentes banques islamiques et sont prévues dès le départ dans le contrat. Le suivi débute à la phase de réalisation ou du déblocage des fonds : le chargé d'affaires doit veiller au respect de la décision de financement en s'assurant de la bonne utilisation du capital social dans les postes d'investissement. L'accord du chargé d'affaires est nécessaire pour chaque montant débloqué et ce, pour être sûr de la destination du capital et pour éviter de faire des dépassements au niveau des postes d'investissement. Le chargé d'affaires doit ensuite établir avec le promoteur un système d'information périodique : au moins une fois tous les trois mois, l'entreprise financée informera la banque des principaux indicateurs de gestion : éléments commerciaux, humains, financiers et de production. La mise en place de ce système d'information et son contenu sont décidés d'un commun accord au moment du déblocage des fonds. Le promoteur a a priori les mains libres tant qu'il se conforme à la ligne de conduite tracée et ce qui a été convenu de faire dans l'étude ou les budgets prévisionnels. Cependant, le degré d'intervention de la banque varie selon le type de contrat envisagé. Par contre, l'association du chargé d'affaires aux grandes décisions stratégiques (modification du plan de développement) ou à la préparation du budget est obligatoire. L'objectif essentiel du système d'information est la maîtrise de la trajectoire de l'affaire, qui implique que l'on puisse à tout moment rapprocher les valeurs prévisionnelles des valeurs réelles. Il faut sans cesse (au moins tous les trois mois) rapporter les réalisations aux prévisions financières, afin de mesurer les écarts et prendre les décisions correctives nécessaires. Toutes les informations recueillies par le chargé d'affaires doivent être traitées et synthétisées dans un tableau de bord qui sera constitué par un ensemble de tableaux et de graphiques et autres documents qui présentent sous forme condensée les informations et les variables d'actions relatives aux quatre dimensions du suivi de l'affaire (commerciale, humaine, financière, production). A côté de la récolte d'information, le chargé d'affaires doit effectuer des visites périodiques sur les lieux du projet, généralement deux fois par mois pour le premier semestre de démarrage et une fois par semestre ensuite, dans le but de suivre le déroulement et l'état d'avancement de l'affaire sur le champ. C'est le suivi et le contrôle physique. Il doit être soldé par un rapport de visite. Si le promoteur est tenu de transmettre les informations au chargé d'affaires, ce dernier est quant à lui tenu de présenter des rapports périodiques au comité de direction de la banque sur l'état d'avancement des affaires. Ces rapports doivent être impérativement étudiés. Le chargé d'affaires doit consacrer le temps et le soin nécessaires à cette tâche même si elle ne lui sert pas directement ou qu'elle met en évidence des erreurs commises. Quelle serait alors la sanction du non respect de cette modalité au vu de l'interdiction du recours à l'intérêt et la difficulté pour la banque dans le cadre sociétaire de se dégager rapidement de sa participation ? Le non respect des règles de contrôle exigées par la banque a pour conséquence un système implicite de rétribution/sanction : si l'entrepreneur ne respecte pas ses engagements de transparence et de coopération, il pourra être mis sur une « liste noire » et aura toutes les difficultés du monde à retrouver un bailleur de fonds. Dans la pratique, ce système se heurte en effet à
la réticence des entrepreneurs à partager leurs la banque et le client, condition qui ne se rencontre pas forcément. De plus, le système souffre encore du manque de règles uniformes en matière comptable ayant pour effet des litiges concernant la répartition des bénéfices et des pertes. Pour autant, le client promoteur n'a pas d'obligation de résultat vis-à-vis de la banque. B L'obligation de moyen de l'entrepreneur partenaire de la banque Avec la remise de l'argent nécessaire au promoteur, la banque islamique ne voit pas pour autant les risques de perte transférés au promoteur comme c'est le cas dans un prêt conventionnel. L'institution supporte tous les risques liés à la perte de la somme investie et le promoteur tous les risques liés à la perte de son effort. Pour déterminer la nature du devoir qui lie le promoteur à la banque, il faut prendre en considération différents critères, notamment la manière dont l'obligation est exprimée dans le contrat et le degré d'aléa normalement présent dans la poursuite du résultat recherché. Ces éléments permettent de qualifier l'impératif d'obligation de moyen ou d'obligation de résultat. Dans le cas des contrats de financement participatif, il est précisé que le promoteur est sensé faire tout son possible pour assurer la rentabilité du projet. Il est tenu d'apporter à l'exécution de sa prestation la prudence et la diligence d'une personne raisonnable de même qualité placée dans la même situation que son associé et doit donc fournir tous les efforts nécessaires pour la réussite de l'entreprise commune. Cependant, la réussite d'un projet dépendant également de facteurs extérieurs, il n'est pas tenu responsable des échecs ne découlant pas d'une faute de sa part. C'est la solution classique lorsque l'exécution d'une obligation par une partie implique normalement un haut degré d'aléa, en l'occurrence les aléas du marché qui sont licites en droit musulman. Il faut s'attendre à ce que cette partie n'entende pas garantir un résultat, et que l'autre partie n'attende pas une telle garantie. La constatation de l'inexécution d'une obligation de moyens conduit à un jugement moins sévère que dans le cas d'une obligation de résultat où une issue spécifique et positive est attendue. Les fautes assimilées à une inexécution par le promoteur de son obligation de bonne gestion sont les suivantes : - Les infractions aux dispositions législatives ou réglementaires d'une part, et aux règles de la Chari'a d'autre part ; - Les violations des clauses du contrat de joint venture créée ou des statuts de la société créée pour l'entreprise commune ; - Les fautes commises dans la gestion de la société, de la simple négligence ou imprudence, aux manoeuvres frauduleuses. Par conséquent, l'obligation du client promoteur envers la banque remplit les conditions d'une obligation de moyens et non de résultat : le promoteur est tenu d'apporter à l'exécution de sa prestation la prudence et la diligence d'une personne raisonnable de même qualité placée dans la même situation et doit donc fournir tous les efforts nécessaires pour la réussite de l'entreprise commune. La responsabilité du gérant de l'entreprise, qu'il s'agisse du promoteur seul ou qu'il s'agisse d'une gestion commune opérée par les deux parties, est donc engagée en cas de faute, même lorsque l'élément d'intentionnalité ne se retrouve pas. La preuve de la faute est à la charge de celui qui s'en prévaut. La sanction en cas de faute de l'entrepreneur peut aller jusqu'à l'obligation de rembourser intégralement le montant investi par la banque. Lorsque la gestion est assurée par les deux parties, ils supporteront ensemble les risques financiers. De façon générale, les contrats de financement participatif reposent sur un principe fondamental qui fait leur originalité par rapport aux instruments conventionnels de financement : le partage des pertes et des profits. |
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