SECTION I Les contrats portant sur l'acquisition de
biens
Dans ce type de contrats, le client a besoin d'acquérir
des biens dans le cadre de l'exploitation de son entreprise et n'a pas les
fonds nécessaires pour les financer. Plutôt que d'emprunter de
l'argent, il s'associe à sa banque et lui expose ses besoins pour
qu'elle accepte de l'aider dans son projet. Ce financement va prendre la forme
soit d'une vente (§1) soit d'une location de bien par l'entrepreneur dont
le propriétaire sera, entre temps, devenu la banque
(§2).
§1 L'achat différé de
biens
Il existe de nombreux contrats reposant sur une double-vente mais
les plus utilisés sont d'une part le contrat de murabaha (A) et
d'autre part le contrat de vente salam (B).
A La murabaha
La murabaha, qui peut être traduite par «
gain réciproque » ou « profit réciproque », est un
type de vente reposant à l'origine sur la confiance qui lie les parties.
Le client désirant s'approprier un bien va donner l'ordre à
l'autre partie au contrat (ici la banque) de lui trouver et de lui acheter le
bien à un tiers. Le client va se voir revendre le bien au prix
d'acquisition majoré d'une marge
bénéficiaire. Le paiement effectué par le
client au profit de la banque peut être échelonné ou
exigible à terme échu. Le client fait alors une demande
écrite d'achat à la banque, en identifiant le bien à
acheter ou ses caractéristiques, s'il s'agit d'un bien fongible, et en
fixe les conditions de livraison. La banque achète alors le bien puis le
revend à son client1.
Il s'agit en fait de trois opérations
réalisées simultanément : la promesse d'achat du client
dont le contrat peut stipuler qu'elle sera contraignante, la promesse de vente
à la banque, et le contrat de vente avec bénéfices qui ne
peut être passé qu'après l'entrée en jouissance de
la marchandise par l'acheteur.
1 BANQUE ISLAMIQUE DE DEVELOPPEMENT, Introduction
aux techniques islamiques de financement, recueil des
communications données dans le cadre du séminaire conjointement
organisé par l'Institut islamique de recherches et de formation et la
banque Al Baraka mauritanienne islamique, 5-9 décembre 1992, pp.62 et
suiv.
Ce contrat obéit à des conditions de
validité spécifiques. D'abord, l'acquisition du bien doit
être préalable à la revente au client, la banque doit
déjà être en possession du bien au moment de conclure la
deuxième vente avec son client, et ce, sur la base du principe
charaïque de l'interdiction de la vente de choses futures. Cependant, rien
n'empêche la banque de mandater un tiers y compris l'acheteur pour
recevoir le bien à sa place.
La marge de bénéfice de la banque doit
être préalablement fixée d'un commun accord entre les
parties et peut constituer un pourcentage du prix du bien.
Ensuite, le client doit avoir eu préalablement
connaissance du prix de revient ainsi que des modalités et circonstances
de la première vente : comptant ou à crédit, argent ou
libération d'une dette. Le silence du revendeur sur le prix auquel il a
acheté le bien entraîne un vice dans le contrat.
Les fuqahas divergent quant à la sanction de
ce dol par réticence : pour les Hanéfites, l'acheteur doit avoir
le choix entre confirmer le contrat tel quel ou le résoudre
complètement. Pour les Malékites par contre, l'acheteur peut
annuler le contrat mais le vendeur peut le rendre définitif en
restituant la différence entre le prix déclaré et le prix
réellement payé. Enfin, pour les Chaféites et les
Hanbalites, l'acheteur n'a pas la possibilité d'annuler le contrat mais
il peut déduire de sa dette la majoration dolosive1.
La somme due par le client comprend également les frais
effectifs supportés par la banque pour l'acquisition des biens objet du
contrat : frais fiscaux, transport, stockage, courtage, etc.
Selon les Malékites, il y a trois catégories de
frais, dont le sort diffèrera selon leur effet sur la chose vendue. S'il
s'agit d'un élément qui transforme ou améliore la chose
vendue, il sera remboursé à la banque. Cette plus value sera
comptabilisée dans le calcul de la part de bénéfices de la
banque. Si la transformation du bien par la banque n'affecte pas la substance
de la chose, aucune révision des frais ou du bénéfice de
la banque n'aura lieu. Enfin, concernant les frais de transport et de stockage,
ils seront remboursés par le client à la banque mais n'ajoutent
aucune valeur au bien, la marge bénéficiaire de la banque restera
inchangée2.
1 ABI HAIDAR, op. cit.
2 Ibid
Avec le contrat murabaha, la banque se
rémunère par le profit sur une vente simple. Elle s'interdit de
réviser sa marge bénéficiaire à la hausse en
contrepartie du dépassement du délai de paiement par son client,
ce qui serait assimilable à des intérêts moratoires.
Cependant, elle peut lui appliquer des pénalités de retard qui
seront portées dans un compte spécial : « produits à
liquider ». Si le client est de mauvaise foi, la banque peut demander en
plus des pénalités un dédommagement des
échéances non honorées1.
Dans la pratique, l'on a constaté que la vente
murabaha était utilisée par les banques islamiques comme
instrument de financement à court terme (entre trois et six mois) pour
financer les besoins d'exploitation de leur clientèle (stocks,
matières, produits intermédiaires) ainsi que des acquisitions
immobilières. Cette technique a été également
fréquemment employée dans le financement d'opérations de
commerce international, à l'origine par les compagnies aériennes.
Certains auteurs la proposent comme substitut au crédit
documentaire2. Il s'agit du contrat le plus fréquemment
utilisé, atteignant 80% des opérations de plusieurs banques
islamiques
Cette technique de financement a certes connu un grand
succès mais certaines critiques lui ont été
adressées. D'abord, d'un point de vue financier, la banque prend de gros
risques car l'achat des marchandises par le donneur d'ordre n'est pas une
obligation légale. Le client risque de ne pas accepter la marchandise et
la banque devra alors assurer elle-même son écoulement. De plus,
elle devra gérer le risque de retard de paiement ou le non paiement par
le client. Les pénalités de retard instaurées ressemblent
étrangement à des intérêts moratoires, pourtant
interdits par la Chari'a.
De façon plus générale, l'on reproche,
à raison, à ce type de contrat de contourner hypocritement
l'interdiction du riba en instaurant une marge
bénéficiaire qui s'y apparente étrangement.
Pour les partisans de la murabaha, la marge
bénéficiaire de la banque est un profit licite et non un
intérêt déguisé, pour la simple raison qu'il s'agit
d'une vente et non d'un prêt, l'argent restant en possession de la
banque. De surcroît, la marge bénéficiaire payée
à la banque ne
1 RUIMY M., La finance islamique,
Arnaud Franel éditions, 2008, pp.112-113
2 AG-GUNDI, `Aqd al-murabahat bayn al-fiqh al-islami
wa-l ta'amul al-masrafi, Le Caire, Dar an-Nahda al`arabiyya,
1986, p.190
compenserait pas l'utilisation de l'argent mais correspondrait
à la rémunération du service de la banque qui consiste
à rechercher et à acheter le bien au meilleur prix pour son
client.
Enfin, le montant de la marge bénéficiaire est
fixé à l'avance, il ne dépend pas de variables
économiques externes alors que le taux d'intérêt des
banques conventionnelles dépend du comportement de la courbe des taux
à l'époque de l'octroi du prêt. Cependant, le temps doit
être compensé dans une opération donc plus le temps passe,
plus la marge de bénéfice augmente. Cette augmentation de la
marge en fonction du délai de paiement amincit davantage la
frontière entre taux d'intérêt illicite et profit
licite.
La murabaha est de loin le mode de financement le
plus utilisé et représente jusqu'à 80% des
activités de nombreuses banques islamiques. Cependant, il est
concurrencé par un autre type de financement reposant lui aussi sur
l'achat différé de biens : la vente salam.
B La vente salam
Le terme salam signifie « paix » mais il
signifie également l'action de remettre quelque chose à
quelqu'un.
Les droits jordanien, libanais et koweitien définissent
la vente salam comme étant « la vente d'un bien à
livrer moyennant paiement comptant »1.
Il s'agit d'une autre technique de substitution au
crédit conventionnel sous la forme d'une vente dont l'objet sera
livré à un terme ultérieur fixé à l'avance
contre un prix payable immédiatement.
Ici, contrairement à la murabaha, la banque
n'intervient pas comme vendeur à crédit de la marchandise acquise
sur commande de son client mais plutôt comme acquéreur, avec
paiement comptant d'une marchandise qui lui sera livrée à terme
par son partenaire. Dans les codes récents, le paiement se fait en
numéraire seulement alors que selon les fuqahas, il peut s'agir de
n'importe quel bien.
En principe, l'objet de la vente doit être
matériellement existant au moment de la conclusion du contrat et doit
déjà être dans le patrimoine du vendeur, puisque la
conclusion entraîne un
1 Code civil jordanien, article.532
transfert de propriété à l'acheteur, et
ce, selon le principe de la prohibition de la vente de la chose future
considérée aléatoire. Les fuqahas ne distinguent pas entre
chose inexistante et chose qui existera plus tard. Cette rigueur a
entraîné un problème de blocage de la vie commerciale
actuelle, d'où la tolérance de la vente salam, dont
l'objet est délivré dans le futur.
Les jurisconsultes musulmans fondent la licéité de
cette technique sur le verset suivant : Lorsque vous contractez un
prêt à terme, il devra être consigné par
écrit...1
Ibn Abbas, un compagnon du prophète, a rapporté le
hadith suivant :
« Que celui qui vend des dattes à terme le fasse
pour une quantité déterminée à la jauge (ou au
poids) et pour un terme fixé »2.
Le Prophète aurait également affirmé :
« Quiconque pratique le bai' al salam, qu'il
spécifie sa marchandise pour un volume connu, pour un poids connu et
pour un délai connu »3.
Ainsi à l'origine, la vente salam ne peut
consister en l'échange de denrées de même nature, tel que
le rapporte le hadith rapporté par Muslim évoqué
précédemment « Echangez l'or contre l'or... le blé
contre le blé... »4.
Par contre, il peut s'agir d'un échange de
denrées de genres différents, comme par exemple remettre de l'or
immédiatement contre la remise de blé ultérieurement. Il
n'en demeure pas moins que si les choses échangées sont de
même espèce, cette opération peut s'apparenter à un
prêt à intérêt.
Afin que le contrat de vente salam soit valide, il
doit être soumis à plusieurs conditions de validité
destinées à limiter rigoureusement l'aléa. D'abord, une
détermination stricte de l'objet de la vente doit être
effectuée : genre, espèce, qualité, quantité, ainsi
que l'époque et le lieu de
1 Sourate 2, La Vache, verset 282
2 AL BOKHARI, traduction de Houdas et Marsais, Tome II, p.56,
rectifiée par Abi Haidar, op. cit.
3 Hadith rapporté par M. RUIMY, op. cit., p.116, source
non spécifiée.
4 Ce hadith est déjà cité aux pages 24-25
livraison. L'objet doit être disponible au moment de la
livraison, même s'il ne l'est pas pendant l'intervalle séparant la
conclusion du contrat et le moment de la livraison, c'est du moins l'avis des
fuqahas à l'exception des Hanéfites pour qui
l'inexistence de l'objet au moment de la conclusion rend le contrat
nul1.
Ensuite, vu que l'opération ne doit pas cacher une
opération usuraire, le paiement doit précéder la livraison
des biens. Le versement du prix doit avoir lieu au cours de la séance
contractuelle pour éviter la coïncidence de deux crédits, ce
qui serait assimilable au riba.
Le délai de livraison doit être fixé
à l'avance et doit être supérieur à quinze jours
pour les Malékites afin de permettre au cours de varier. Les
Hanéfites étendent ce délai à un mois minimum.
Néanmoins aucun délai maximum n'est stipulé, mais tous les
auteurs s'accordent à dire qu'il ne doit pas être trop long afin
de tenir compte de la variation des cours du marché. Le Code civil
libanais dispose que si le délai n'est pas déterminé par
les parties, l'on peut recourir à l'usage des lieux2.
L'opération se déroule comme suit : le client
demande à la banque de lui avancer de l'argent, celle-ci passe une
commande à ce client selon ses besoins de financement. Il adresse alors
à la banque une facture avec les quantités et le prix. Si les
conditions de la transaction sont acceptées par les deux parties, elles
vont conclure un contrat salam reprenant les clauses convenues.
Parallèlement, les parties signent un contrat de vente par procuration
par lequel la banque autorise le vendeur à livrer ou à vendre,
selon les cas, la marchandise à une tierce personne. La banque peut
s'assurer de la livraison de l'objet par le commerçant au moment venu en
exigeant une caution ou toute autre garantie réelle ou personnelle. Il
devra alors entreposer la marchandise dans le magasin général de
la banque qui se chargera de la revente.
Autrement, pour qu'elle n'ait pas à écouler
elle-même les stocks de marchandises par la suite, la banque peut aussi
mandater le vendeur pour le faire moyennant éventuellement une
commission. Le vendeur s'engage bien entendu, à recouvrer et à
verser le montant de la vente à la banque. Ce système permet
à l'institution bancaire de garder sa clientèle habituelle et
d'assurer la pérennité de son entreprise. Le Client pourra exiger
alors des acheteurs qu'ils
1 SANHOURY A., les sources du droit dans le fiqh
islamique, le livre de la vente, p.183
; al wassat fi sharh al qanoun al madani, 1960,
pp.224 et suiv.
2 Code des obligations et des contrats libanais, article 489
fassent viser les bons d'enlèvement aux guichets de la
banque (afin que celle-ci puisse suivre et contrôler
l'opération.)
Dans la pratique des banques islamiques la vente
salam est utilisée pour remplacer les produits
dérivés dans la finance islamique : contrats à terme,
options, futures entre autres. Cependant, dans le contrat à terme, rien
n'est échangé avant l'expiration du délai alors que dans
la vente salam, la validité du contrat est soumise au paiement,
ce qui rend l'opération licite. La vente salam a aussi remplacé
la pratique de l'escompte commercial et des autres moyens de crédit
à court terme : les effets en possession du client seront pris à
titre de garantie du financement salam que la banque pourrait lui
consentir.
C'est un moyen utile de financement des fonds de roulement et
de certaines charges d'exploitation comme les salaires, ou les impôts par
exemple. Il est d'usage chez les petites et moyennes entreprises, notamment
pour financer l'agriculture et l'artisanat.
Un débat doctrinal continue d'opposer les fuqahas quant
à la nature juridique du contrat salam.
Pour une partie des jurisconsultes, il s'agit d'un prêt
légitimé, la vente salam est d'ailleurs aussi
appelée vente salaf, ce terme signifiant prêt en Arabe.
Le vendeur veut en fait emprunter de l'argent et l'acheteur va lui en fournir.
Le prix ne constitue en réalité, qu'une garantie pour limiter les
risques d'insolvabilité du débiteur à
l'échéance. Cependant, cette thèse est critiquable car la
vente salam est un échange de biens différents alors que
dans le prêt, les prestations doivent être identiques : argent
contre argent.
Pour d'autres ulémas, la vente salam
est considérée comme un contrat de nature mixte qui change de
physionomie dans l'intervalle : en un premier temps, c'est un contrat de
réciprocité mais dès que l'acheteur, en l'occurrence la
banque, paie le prix, l'opération se transforme en une obligation
unilatérale du livreur. Juridiquement c'est une vente mais
économiquement c'est un prêt1.
Pour un dernier groupe de penseurs, la vente salam est
un contrat sui generis.
Il existe une forme dérivée de la vente
salam qui est la vente par istisna'. La vente par
istisna' a été définie comme étant
« un contrat d'entreprise en vertu duquel une partie (la banque)
1 S. JAHEL, cours magistral paris II Panthéon Assas, 1987
1988, rapporté par A. Abi Haidar
demande à une autre (l'entrepreneur) de lui fabriquer
ou de lui construire un ouvrage moyennant une rémunération
payable d'avance ou à terme ou de manière fractionnée
selon un échéancier convenu entre les parties ». Sa
validité a été admise par analogie avec le contrat
salam : le prix du bien est payé graduellement tout au long de
sa fabrication, comme par exemple dans l'immobilier. L'objet de la transaction
ne porte pas sur des marchandises achetées en l'état mais sur des
produits finis ayant subi une transformation. L'obligation du vendeur client de
la banque est assimilée à celle du maître d'ouvrage dans le
contrat d'entreprise. L'opération est plus périlleuse que la
vente salam à cause des risques afférant à
l'exécution des travaux.
Toutes les techniques de substitution au crédit
évoquées ci-dessus reposent sur des contrats de vente, mais il en
est d'autres qui reposent sur un contrat de location, ce sont les contrats
d'ijara.
§2 La mise en location de biens :
l'ijara
Pendant longtemps en droit musulman, l'ijara, ou
location, a été assimilée à la vente : vente de
l'usage de la chose. Or, par définition, la vente est une
aliénation de la chose dans tous ses aspects : usus, fructus et abusus,
tandis que la location n'aliène que la jouissance de la chose seulement.
Les banques islamiques offrent des moyens de financement par la mise en
location simple (A) mais elles peuvent aussi proposer une sorte de
location-vente (B).
A L'ijara simple
Il s'agit d'un contrat par lequel l'une des parties s'engage
soit à faire jouir l'autre d'une chose, soit à lui procurer ses
services ou son industrie temporairement, moyennant un certain prix. Ce contrat
est assimilé à un crédit-bail1.
On retrouve trois acteurs dans cette opération : le
fournisseur, fabricant ou vendeur du bien ; le bailleur, en l'occurrence la
banque qui achète le bien pour le louer à son client et
le
1 ZIED C. & PLUCHART J.J., Proposition de
communication, La gouvernance de la banque islamique
Université de Picardie - CRIISEA, février 2006, p.5
locataire qui loue le bien en se réservant l'option de
l'acquérir définitivement au terme du contrat de
location.
Les fuqahas fondent sa licéité sur le
fait qu'il s'agit d'un loyer fixe versé pour un bien existant et non
d'un rendement fixe sur des avoirs financiers.
Quelque soit le type d'ijara (ijara simple
ou ijara wa iqtina'), la demande de financement se fait pas l'envoi
d'un dossier comprenant au moins les éléments suivants : la
demande de financement accompagnée des factures pro forma des biens
à acquérir, les documents juridiques de l'entreprise, les
états financiers des trois dernies exercices ainsi qu'une étude
de rentabilité du projet.
Après acceptation par la banque, on procède
à la rédaction du contrat. Il est alors
impératif de déterminer avec précision l'objet afin que le
contrat soit valide.
La propriété de la chose doit rester entre les
mains de celui qui donne le bien en location. La banque doit contrôler la
« leasibilité » du matériel avant d'accepter de
financer le bien : il doit s'agir d'un bien durable, car seul l'usufruit est
transmis au client et il doit être facilement démontable et
transportable afin de limiter les risques dus au transport et au stockage et
que l'institution bancaire puisse le saisir pour le revendre au cas où
le client ne peut plus honorer ses engagements.
La propriété doit rester entre les mains de la
banque jusqu'à la fin de la transaction et le terme de la location ne
peut être modifié sauf si une telle clause a été
prévue dès le départ. La banque assume la
responsabilité découlant de la propriété, le
locataire celle découlant de l'utilisation de la chose. C'est en cela
que l'ijara diffère du contrat de prêt, où
l'emprunteur assume la responsabilité et les risques de la chose
empruntée jusqu'à sa restitution car il s'agit d'un transfert
temporaire de propriété.
Dans le crédit-bail, la possibilité de se porter
acquéreur pour le client est l'élément essentiel du
contrat alors que dans une simple location, le rôle du locataire est
limité à l'utilisation de la chose, à son exploitation
éventuelle, si les clauses du contrat le permettent.
Comme dans le crédit-bail (le terme leasing n'est
utilisé que pour le crédit-bail mobilier), le locataire a une
obligation fixe de payer le loyer quelque soit le résultat de son
entreprise et la banque n'assume que le risque de traiter avec des mauvais
payeurs. Cependant, et contrairement au crédit-bail
classique, le manquement à un paiement ne peut entraîner une
indemnité en pourcentage du total dû car ce
serait assimilé au riba. La sanction est donc à
déterminer au début du contrat. La banque demande
généralement la restitution du matériel et le paiement des
loyers échus, ainsi qu'une indemnité correspondant à la
valeur des loyers restant à courir.
Sur le plan formel, la banque ne peut donner au client une
option d'acheter la chose louée au cours de la location ou à
l'échéance, car la doctrine estime que l'option accordée
au locataire serait alors entachée d'aléa ; La
nécessité d'attendre l'échéance du contrat est
sensée laisser une marge de manoeuvre à l'entrepreneur pour lui
permettre de décider, au moment opportun, du choix le plus
approprié en fonction de la situation et des besoins de son
entreprise.
A la fin du contrat, il peut soit restituer le bien, soit
opter pour une seconde location du bien. Il peut enfin décider
d'acquérir ce bien, mais cela doit être l'objet d'un contrat de
vente distinct du premier.
B L'ijara wa iqtina ou
location-vente
Ijara wa iqtina' signifie littéralement «
location et achat ». Le client a dès le départ, une
obligation d'achat dont le prix est fixé à l'avance. Chaque loyer
versé comprend une partie du prix d'achat du bien loué. Les
versements complémentaires effectués par le client- locataire
seront logés dans un compte d'épargne. Les profits
résultant éventuellement de la gestion des fonds
déposés sur ce compte seront, à l'échéance,
affectés par le client au paiement du prix d'achat de la chose
louée. Ce contrat est assimilé à une location-vente.
Le client identifie le bien immobilier qu'il souhaite
acquérir et donne l'ordre à la banque d'acheter l'immeuble qu'il
aura désigné. Le client signe deux contrats simultanément
La location et la vente ne peuvent être mis dans le même contrat et
la location doit précéder la vente, alors que dans le
crédit-bail, les deux peuvent se confondre.
Le client s'engage par une promesse d'achat, à un prix
déterminé, réalisable à l'issue de la
période de location. Il acquiert la propriété pour le
montant initial payé par la banque et rembourse le montant avancé
par elle graduellement sur échéancier de 7 ans et 6 mois minimum
et 25 ans maximum, sans que la banque ne fasse de profit sur la revente du
bien. Cette promesse crée une créance à la faveur de la
banque qui pourra demander un dédommagement en cas de changement d'avis
du client mais en aucun cas elle ne pourra
demander d'intérêts moratoires en cas de retard
de paiement, ce qui constitue un risque supplémentaire pour
l'institution.
D'autre part, le client signe un contrat de location et verse
tous les mois un loyer à la banque pour occupation des lieux. Le montant
du loyer peut être déterminé annuellement et
représente, lui, la marge bénéficiaire de la banque. Il
doit contenir toutes les informations déterminantes : la valeur de
l'objet, le prix de sa location, sa durée, le délai de paiement,
le montant du loyer et la périodicité. Les parties peuvent
convenir de la révision du loyer, de la durée ou toute autre
clause du contrat. La dégradation du bien loué du fait
indépendant de la volonté de l'utilisateur n'engage sa
responsabilité que s'il est établi qu'il n'a pas pris les mesures
nécessaires pour la conservation du bien avec le soin d'un « bon
père de famille ». Le propriétaire doit assurer l'entretien
et tous les devoirs qui lui incombent ainsi que toutes les charges locatives
antérieures à la location.
Au final, le client va payer des loyers afin que la valeur
résiduelle à la fin du contrat soit la moins élevée
possible et faciliter ainsi l'achat.
Cette technique est particulièrement délicate
pour la banque qui supporte les risques du propriétaire alors que le
locataire ne supporte que les risques d'utilisation de la chose louée
jusqu'à la signature du contrat de vente définitif.
Sachant que, dans les contrats de crédit-bail
conventionnels, le locataire est en principe, tenu de payer des loyers,
même dans l'hypothèse où la chose louée est rendue
impropre à l'usage. L'on observe, dans l'ijara, que si la chose
louée est rendue impropre à l'usage pour lequel elle a
été louée, le client est déchargé de son
obligation de payer le loyer. C'est pourquoi les banques islamiques tentent
actuellement de se protéger en obtenant l'engagement du client
d'utiliser la chose louée conformément à des conditions
convenues à l'avance et en se réservant le droit d'inspecter la
chose louée de manière périodique afin de vérifier
que le client respecte son engagement. En outre, la banque souscrit
généralement une police d'assurance multirisques souscrite
à son nom mais qu'elle se fera rembourser en incluant les droits
d'assurance dans le montant du loyer. Or, les assurances classiques sont
également interdites par la Chari'a car constituent un contrat
aléatoire, d'où l'apparition du takaful,
signifiant littéralement solidarité, qui est une
forme d'assurances compatible avec les exigences du droit
musulman1
La technique de l'ijara wa iqtina' est souvent
utilisée dans des montages complexes aux Etats-Unis pour des
acquisitions immobilières, l'un des exemples les plus
emblématiques étant le financement du projet Maconda Park
Apartments au Texas2. Elle sert aussi à
financer l'acquisition de machines-outils et de moyens de transport routier et
aérien.
La banque islamique parait être la meilleure
manière d'intégrer des projets comprenant des financements
commerciaux à taux variables, a priori interdits par la Chari'a
du fait de leur caractère aléatoire : bien que les
échéances des loyers soient fixes, l'opération ne portant
pas sur des sommes d'argent mais sur des actifs immobiliers ou mobiliers, il
est possible de prévoir licitement des ajustements de
rémunération qui ont les mêmes effets que les taux
variables.
A côté des contrats à titre onéreux
que propose la banque islamique pour financer les entreprises et sur lesquels
elle touche une marge de profit, elle remplit un second rôle, inattendu
pour une banque dont la vocation est avant tout commerciale, et qui fait toute
la particularité du système bancaire islamique. Elle remplit
à titre gracieux un rôle éthique visant à
rétablir la justice sociale et à encourager la solidarité
entre les Musulmans.
1 KASSIM Z.A., Takaful : the Islamic way of
insurance, www.takaful.info
22 ZIED C. & PLUCHART J.J., Proposition de
communication, La gouvernance de la banque islamique
Université de Picardie - CRIISEA, février 2006, pp.11-13
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